La passion amoureuse renferme-t-elle nécessairement de l'amour ?
Extrait du document
«
Etre amoureux c'es t élire une personne par rapport à toutes les autres.
Q uand je s uis amoureux je considère l'autre comme un Bien, comme un A bsolu dont
la seule présence me réjouit.
Etre amoureux c'es t aus si être prêt à tout pour celle ou celui qu'on aime.
L'amour est donc un sentiment qui s'apparente à une
puissance qui nous pous se à agir, qui nous pous se à entreprendre mille actions pour celui qu'on aime.
Le sens commun a tendanc e à c roire qu'un tel amour
est de l'ordre de la passion, tant est s i bien que on l'érige en modèle : mais en est-il ainsi ? L'amour passion doit-il être ériger en modèle.
Par conséquent
l'amour doit-il être passionnel ? C ertes la passion nous pousse à agir, mais elle possède aussi une dimension passive, car on peut affirmer que le passionné
est enfermé, clôturé dans sa pass ion, en ce sens qu'il l'a subie.
Or si l'amour est un sentiment dans lequel je me donne à l'autre, peut-il encore reposer s ur
la pas sion ? L'amour pas sionnel n'implique-t-il pas la négation de l'autre ?
I L'amour comme passion.
A : Dans l'amour passion, toutes mes pensées sont tournées vers l'être aimé(e).
M ais ce que je veux avant tout c 'est poss éder celui que j'aime car il
incarne tout ce que je désire.
La passion naît de l'exc lusivité du dés ir sur un objet.
L'amoureux passionné est donc enfermé dans sa passion qui constitue un
monde dans lequel les objets sont valorisés non pas pour ce qu'ils sont intrinsèquement mais pour ce qu'ils représentent, c'es t-à-dire mes désirs, mes
fantasmes.
Donc c o m m e l e suggère Ferdinand A lquié, « tout amour passion, est illusion d'amour et est en fait amour de soi-même ( …) il est désir
d'assimiler autrui, et non de se donner à lui » ( F.
A lquié, Le désir d'éternité ).
C 'est à la psychanalyse qu'on peut emprunter l'explication la plus profonde de l'amour et des passions.
Si la pass ion apparaît à celui-là même qui la subit
comme une force étrangère qui s e déploie « en lui, s a n s lui, et malgré lui », s i nous sommes impuis sants à n o u s reconnaître en nos pas sions , c ' e s t
précisément parce que la source des passions est incons ciente.
La « transcendance » des passions, c'est la trans cendance de notre enfance oubliée dont
les péripéties ont noué en nous, à notre insu, les complexes dont nous souffrons .
M .
A lquié a brillamment illustré la thèse psyc hanalytique en son Désir
d'éternité.
Le « désir d'éternité », le « refus du temps » dont parle M.
A lquié à propos des pass ions, c'est la fixation du pas sionné à des circonstances de
son p a s s é d o n t i l est d'autant plus l'esclave qu'il n'en prend pas u n e c o n s c i e n c e claire.
L e s passionnés, « prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne
parviennent pas à évoquer à leur cons cienc e claire s ont c ontraints par ce souvenir à mille gestes qu'ils recommencent toujours, en s orte que toutes leurs
aventures semblent une même his toire perpétuellement reprise.
Don Juan est si certain de n'être pas aimé que toujours il séduit et toujours refuse de croire
à l'amour qu'on lui porte, le présent ne pouvant lui fournir la preuve qu'il cherche en vain pour guérir sa blessure ancienne.
De même, l'avarice a s ouvent
pour caus e quelque crainte infantile de mourir de faim, l'ambition prend s ouvent s a source dans le désir de compenser une ancienne humiliation...
Mais c es
souvenirs n'étant pas conscients et tirés au clair, il faut sans cesse recommencer les actes qui les pourraient apais er ».
Il en est de même de la passion du vol ou kleptomanie.
Elle semble liée à une frustration inconsciente qu'elle c hercherait dés espérément à compenser.
A insi, tel jeune voleur, appartenant à une famille dis sociée, s ouffre d'avoir perdu l'affection maternelle et ne cess e de dérober stylos, montres en or, qui
symbolisent obscurément pour lui l'amour maternel perdu, objet précieux entre tous.
Et c'est parc e que ses larcins ne lui donnent pas ce qu'il cherc he
réellement que, toujours insatisfait, il c ontinue de voler.
La conception de M .
A lquié a été dis cutée par M .
P radines.
M .
P radines, tout en reconnaissant que nos premières émotions sont parfois susceptibles
d'orienter définitivement nos tendances, se refus e à voir en toute passion l'emprise inc onsciente du pass é.
Le plus souvent, la passion se présente « plutôt
comme l'appétit de sensations inc onnues que comme le désir de renouveler d'anc iennes expériences ».
La pas sion charnelle n'es t-elle pas « révolte contre
l'habitude »? Sans doute, en sa c onscience claire le passionné as pire à éprouver des sensations nouvelles.
Dans le « coup de foudre » la pas sion éclate
brusquement, s'éprouve comme une découverte que rien ne laissait prés ager.
Mais le témoignage de la conscience du passionné ne nous semble nullement
décisif.
Les « découvertes », les « révélations » de la pas sion sont la répons e à une angois se qui leur pré-exis te et qui ne trouve sa s ignification claire que
dans les événements de notre passé.
Le « c oup de foudre » ne nous introduit pas dans un monde réellement nouveau, mais réveille une anc ienne nos talgie.
Si ce visage, inconnu encore de nous il y a seulement quelques instants, nous trouble si fort, n'est-ce pas, c omme le dit M .
A lquié, que « nouveau en luimême, il devient pour nous l'image et le symbole d'une réalité que notre pass é a c onnue »? Dans le P hèdre, Platon a parlé de l'émotion amoureuse de l'âme
qui tombe en extas e devant la beauté.
M ais cette extase soudaine n'est que le retour d'un souvenir.
Réveillée par la présence du Beau, l'âme se souvient
moins obscurément de son passé lumineux, avant l'incarnation, au paradis des Idées .
Il est permis de reconnaître en ce mythique paradis, magiquement
r e s s u s c i t é p a r une belle apparition, le symbole métaphysique du « vert paradis » d e n o s « amours enfantines » dont nos pass ions adultes ne sont
obscurément que la résurrection nostalgique.
De la théorie psychanalytique, nous retiendrons ess entiellement le caractère incons cient des processus passionnels .
L'objet de la passion résulte d'un
trans fert, ou d'une compens ation, ou d'une sublimation.
Les vraies c a u s e s d e la passion sont en nous-mêmes e t non réellement dans les objets qui
paraissent les sollic iter.
Dans les c as extrêmes — qui sont des cas presque pathologiques — cette méprise passionnelle peut aller fort loin.
P roust écrit par exemple : « Q uelquefois,
l'angoisse est due à un médicament qu'on a pris et on croit être anxieux à cause de celle qui ne vient pas! L'amour naît dans ce c as comme certaines
maladies nerveuses de l'explication inexacte d'un malaise pénible.
»
II L' amour comme dévotion
A : Le véritable amour est donc celui dans lequel je ne cherche pas à posséder l'autre mais plutôt dans lequel je veux son bien et non pas mon bien.
A imer un
être c'est aimer ce qu'il est et non pas ce qu'il me permet d'obtenir.
De plus ce qu'il y a de merveilleux, c'est qu'en voyant l'autre heureux je le suis d'autant
plus, ce qui signifie que mon bonheur passe par celui de l'aimé(e) comme le souligne Leibniz dans les Nouveaux essais sur l'entendement humain : « aimer
c'est être porté à prendre du plaisir dans la perfection, bien ou bonheur de l'objet aimé.
»
III L'amour comme dévotion en question
A : C omme le souligne Des cartes l'amour comme dévotion c 'est estimer l'autre plus que soi c'es t-à-dire le considérer
comme un bien ou une perfec tion plus grande.
D ans un amour de dévot je donne ce que j'ai et je ne projette pas ce que je
veux.
Dans cet amour l'aimant est prêt à tout pour son aimé(e) même à s ubir les pires maux, puisque l'amour c ompense le
malheur de la déréliction comme on peut le constater dans la troisième lettre de Guilleragues : « J'aime bien mieux être
malheureuse en vous aimant que de ne vous avoir jamais vu.
» ( Guilleragues, Lettres portugaises et autres roman par
lettres ).
M ais l'amour c omme dévotion n'est-il pas lui-même illusoire dans la mesure où il s'agit de porter au pinacle un
être fini.
L'amour comme dévotion est amour de l'A bsolu .
M ais l'A bsolu est-il de c e m o n d e ? P ar conséquent l'amour
comme dévotion n'est-il pas lui-même un amour passionnel dans lequel l'agent subit une illusion dans la mesure où il
s'enferme dans un monde qui croit à l'A bsolu ?
Conclusion :
A la question l'amour doit-il être passionnel, on constate que la question fait problème dans la mesure où le sujet demande
si l'amour comme passion incarne le modèle de tout amour.
O r la passion loin d'ouvrir le passionné sur l'être aimé(e), le
renferme au contraire sur lui-même et exige de l'aimé(e), qu'elle ou il s atisfasse ses désirs.
L'amour comme pass ion est
donc un amour captatif dans lequel je désire posséder un être fantasmé.
En revanche le véritable amour semble être de
l'ordre de la dévotion càd un amour dans lequel je me donne à l'autre pour s on bien qui par la même occasion me permet
d'obtenir le mien.
C ependant un tel amour implique que l'aimé(e) soit considéré(e) comme s upérieur(e) à l'amant.
D ans un
amour de dévot l'aimé(e) incarne l'A bsolu.
M ais comment un être fini peut-il être l'objet d'un amour infini ? Le dévot n'es til pas lui-même victime de sa pass ion de l'absolu ? Il semble donc que la passion soit à la base de tout amour..
»
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