La notion de vertu
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«
Vertu:
Du latin virtus, « force d'âme », « qualités viriles », « mérite ou qualité ».
a) Principe agissant, qualité qui rend une chose propre à produire un certain effet (exemple : la vertu dormitive de
l'opium).
b) En morale, disposition réfléchie et volontaire à faire le bien.
c) Chez Machiavel (traduction de l'italien
virtù), clairvoyance et habileté du prince, génie politique.
d) Vertus cardinales : la sagesse, le courage, la
tempérance et la justice, que les morales antiques considèrent comme la condition de possibilité de la vie heureuse.
I.
L'idée païenne — et singulièrement : grecque — de vertu, c'est l'idée d'une fonction naturelle qui s'accomplit
pleinement et harmonieusement.
Pour Aristote, par exemple, la vertu de l'oeil est de bien voir, la vertu du cheval est
de bien courir.
Et lorsque Platon nous dit que la vertu de la sensibilité est la tempérance, la vertu de la volonté est
le courage, la vertu de l'intelligence est la sagesse, il s'agit toujours en quelque sorte de fonctions normales de la
nature humaine qui atteignent le plein épanouissement, la perfection de leur exercice.
La vertu de Socrate est de
bien penser, comme la vertu de ce couteau est de bien découper.
Le vertueux est alors — comme dit très bien
Jankélévitch — le virtuose — celui qui obtient la perfection technique dans tel ou tel genre d'activité; le vice,
contraire de la vertu, désigne dans le même sens un défaut de fabrication, le trouble de quelque fonction naturelle.
II.
Chez les modernes, la moralité se distingue mieux de la nature; la notion de devoir se précise.
La vertu apparaît
comme la force avec laquelle une âme s'attache à son devoir et le réalise.
En une formule admirable, Alain déclare :
« Vertu, de quelque façon qu'on l'entende, est toujours puissance; et d'un autre côté, vertu est toujours
renoncement.
».
a) L'idée de force, de puissance (qui se retrouve dans des expressions comme « la vertu » d'un remède, en « vertu
» des pouvoirs qui me sont conférés, etc), est clairement manifestée par l'étymologie.
Virtus vient de vir, comme
juventus (jeunesse) vient de juvenis (jeune).
La vertu c'est donc au premier sens la virilité.
Mais comment va se
manifester cette puissance virile de la vertu ?
b) C'est ici qu'apparaît l'idée de renoncement.
Être vertueux implique toujours une lutte contre quelque appétit
naturel.
Alain disait que la vertu de courage est l'art de refuser l'emportement de la peur, la vertu de tempérance,
lutte contre l'ivresse du désir; la justice, lutte contre la convoitise égoïste; et la sagesse contre l'emportement des
disputeurs.
Dans tous les cas, parler de vertu, c'est invoquer l'effort.
Le Senne disait que la vertu est le « courage
du bien ».
Ce sont précisément les difficultés, les obstacles qui révèlent nos vertus.
Ils en sont la preuve parce
qu'ils en sont l'épreuve.
Ainsi la vertu authentique peut aller jusqu'au sacrifice avec lequel on ne ruse pas : « On le
fait ou on le fuit, il montre l'âme.
» (Le Senne) Il y a dans la notion de vertu l'idée d'un triomphe de la moralité, mais
d'un triomphe au prix de durs combats.
A la limite, être vertueux c'est faire le bien sans que nos inclinations nous y
poussent, c'est refuser le mal alors que nos instincts nous portent vers lui.
Comme dit très bien Montaigne : « Le
nom de vertu présuppose de la difficulté et du contraste.
Nous nommons Dieu bon, nous ne le nommons pas
vertueux; ses opérations sont toutes naturelles et sans effort.
»
III.
Toutefois il faut se garder de confondre la vertu avec l'héroïsme.
L'héroïsme est une explosion de courage à la
mesure de circonstances exceptionnelles.
Le courage vertueux est celui de la continuation et de la vie quotidienne.
C'est Aristote qui ici nous servira de guide : la vertu, pour lui, est avant tout une habitude.
Pas plus, nous dit-il
dans l'Éthique à Nicomaque, qu'« une seule hirondelle ne fait le printemps », un acte moral isolé, même de grande
valeur, ne suffit à faire un homme vertueux.
Les vertus morales sont des « puissances » qui doivent s'« actualiser ».
Les vertus morales ne peuvent pas demeurer des virtualités.
Si nous devenons justes et tempérants, c'est à force
de pratiquer la justice et la tempérance.
La vertu est une discipline quotidienne; elle est l'effort continu qui bien
souvent nous épargne les coups de force discontinus de l'héroïsme, nécessaires à certains imprudents pour «
remonter la pente ».
Certes, il convient d'admirer l'héroïsme aussi rare que magnifique du buveur ou du drogué qui,
dans un sursaut de volonté, renonce d'un seul coup à sa passion; mais l'homme tempérant et sage — l'homme
vertueux — n'aura justement pas besoin de ce coup de force de la volonté.
IV.
Pourtant ni le courage de la volonté, ni la discipline de l'habitude ne suffisent à définir la vertu; on peut mettre le
courage au service du mal, on peut se montrer fort discipliné au sein d'une entreprise moralement suspecte.
La vraie
vertu suppose en outre une connaissance authentique du bien.
La connaissance de l'ordre hiérarchique des valeurs
est l'essentiel de la vertu.
C'est en ce sens qu'il faut comprendre le mot souvent cité de Malebranche : « L'amour de
l'ordre n'est pas seulement la principale des vertus, c'est l'unique vertu, la vertu-mère, fondamentale, universelle.»
Toute vertu doit être sagesse.
Aristote le disait déjà en réclamant à l'homme vertueux la connaissance de ce «
juste milieu » qu'en toutes choses la raison doit fixer.
Ce juste milieu n'est pas une moyenne de médiocrité mais tout
à l'inverse un point de perfection exquise que seule une intelligence souple et lucide peut préciser.
Ainsi la
tempérance du sage s'éloigne autant de l'insensibilité que de la sensualité, la véracité ne ressemble pas plus à
l'indiscrétion qu'à la dissimulation, la politesse fuit tout autant la flatterie que l'insolence, le courage est aussi loin de
la témérité que de la poltronnerie.
Ainsi la vertu authentique apparaît comme une oeuvre de la raison..
»
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