La notion de loi a-t-elle la même signification pour le moraliste et pour le physicien ?
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«
La notion de loi a-t-elle la même signification pour le moraliste et pour le physicien ?
Introduction.
— « Prescription de l'autorité souveraine, qui règle, ordonne, permet ou défend » : telle est, à « loi », la définition du « Dictionnaire de
l'A cadémie » qui parle bien de la
loi divine » et de la « loi morale », mais non des « lois physiques ».
Effectivement, le mot « loi » ne désignait d'abord que l'oeuvre du législateur de la société
et par extension du législateur divin.
C 'est par analogie que l'on vint à concevoir que le monde matériel lui aussi était régi par les lois établies par le
créateur, ou plutôt essentielles à la nature de chaque être.
Il y a donc analogie, mais analogie seulement, entre les lois dont traite le moraliste et celles que détermine le physicien : si la signification du mot présente
dans les deux cas quelque chose de commun, elle diffère notablement de l'un à l'autre.
I.
— CARACTÈRES COMMUNS
Il est classique de distinguer deux sortes de lois : les lois positives, qui dépendent de la décision du législateur, qui peut les rapporter ou les modifier (telles
sont les lois votées par les parlements) ; les lois naturelles, qui découlent de la nature même des choses.
A .
Les lois morales, aussi bien que les lois physiques, sont des lois naturelles, et non des lois positives.
Les lois physiques ne dépendent pas de la volonté d'un législateur qui pourrait modifier la marche du monde ,comme un gouvernement change un article du
code de la route : les choses étant ce qu'elles sont, leurs lois ne changeront pas.
Les lois physiques sont des lois naturelles.
Les lois morales, elles aussi, découlent de la nature des choses, ici de la nature de l'homme : raisonnable et libre, enseigne le moraliste, l'homme doit se
conformer aux indications de sa raison, user de sa liberté pour diriger sa vie vers le but fixé.
La loi morale est donc une loi de nature.
Pour le grand nombre, il est vrai, la morale se rattache étroitement à la religion et se fonde sur la volonté de Dieu.
La loi morale n'est-elle pas, dans cette
hypothèse, une loi positive ? Elle le serait si l'acte de volonté par lequel Dieu intime à l'homme la loi morale constituait une décision libre et révocable.
M ais
il n'en est rien : la loi morale nous est imposée par une volonté naturelle et essentielle de Dieu, qui ne peut, sans cesser d'être Dieu, se déclarer indifférent à
notre attitude à l'égard des lois qui découlent de notre nature.
Par suite, les lois morales sont aussi naturelles que les lois physiques.
B.
Etant naturelles, les lois morales sont, comme les lois physiques, universelles et nécessaires : elles s'appliquent à tous les êtres en qui on observe cette
nature et aucun être possédant cette nature ne peut échapper à ces lois.
De la glace qui ne fondrait pas à 10° ne serait plus de la glace ; de même, un
homme qui aurait le droit de se désintéresser de ses semblables ne serait plus un homme.
On dit assez communément, il est vrai, que les lois physiques sont contingentes et que le monde pourrait être soumis à des lois différentes.
Si on entend par
là que le monde pourrait être autre qu'il n'est et, par suite, être soumis à d'autres lois, on ne saurait le nier.
Mais on semble croire parfois que, le monde
restant ce qu'il est, des lois différentes de celles qui le régissent actuellement pourraient lui être imposées.
C ette conception est absurde : la loi, n'étant
que l'expression de la nature des choses, suit nécessairement cette nature.
Sans doute, le physicien ne constate les lois que comme un fait contingent : il ne les déduit pas, « more geometrico », comme une conséquence nécessaire
de la nature des choses ; car cette nature lui est encore inconnue.
Mais de ce que les lois physiques sont contingentes pour le chercheur, il ne s'ensuit pas
qu'elles soient contingentes en elles-mêmes.
Un jour viendra d'ailleurs où, la physique étant devenue déductive, ses lois paraîtront nécessaires au savant
lui-même qui les rattachera, comme une conséquence nécessaire, à la nature même des choses.
On ne peut pas davantage opposer à l'universalité et à la nécessité des lois physiques les faits dans lesquels l'homme empêche l'application de l'une
d'entre elles.
Il ne l'empêche, en effet, qu'en réalisant, conformément à d'autres lois, des conditions naturelles dans lesquelles cette loi ne s'applique plus :
on ne commande à la nature qu'en lui obéissant.
La nécessité de la loi morale r paraîtra peut-être plus difficile à admettre : la moralité impliquant la liberté, comment la loi morale peut-elle nécessiter ?
A ussi bien le moraliste dit-il, non qu'elle nécessite, mais qu'elle est nécessaire.
L'homme n'est pas forcé de s'y conformer : il peut la violer.
Mais, même
alors, elle continue de s'imposer à lui et il reconnaît qu'elle s'impose à lui.
Peut-être est-il des individus qui, la voix de leur conscience s'étant tue, échappent à l'emprise de la loi morale, constituant, semble-t-il, une exception à
son universalité.
Mais l'exception n'est qu'apparente : la loi morale, en effet, ne s'applique qu'aux êtres pensants et aux êtres qui se posent le problème
moral.
A ussi, on a beau appartenir à l'espèce humaine, si on ne prend pas conscience de sa nature, on ne peut pas davantage connaître la loi que cette
nature implique : pour le moraliste, l'amoralité de l'homme irréfléchi ne constitue pas plus une exception à l'universalité de la loi morale que l'amoralité du
tout petit enfant ou de l'animal.
II.
— CARACTÈRES QUI LES DIFFERENCIENT
A .
On peut marquer en deux mots le caractère essentiel qui oppose la loi physique à la loi morale : la loi physique nécessite tandis que la loi morale oblige.
La loi physique nécessite.
Elle n'est pas seulement nécessaire, mais elle s'applique infailliblement et nécessairement, ne laissant pas la moindre place au
hasard et à la liberté.
Le seul moyen d'échapper à une loi est de changer les conditions dans lesquelles elle s'applique.
A u contraire, la loi morale nécessaire comme la loi physique, ne nécessite pas : elle oblige.
Sans doute, elle supprime le droit d'agir contrairement à ses
injonctions : qui viole la loi morale est coupable.
Mais elle laisse la possibilité ou le pouvoir de faire ce qu'elle interdit : la violation de la loi morale reste
possible.
A insi on peut dire que la loi morale impose une certaine conduite ; mais il est plus juste de dire qu'elle impose le libre choix de cette conduite.
C hoix libre, mais choix obligatoire : voilà les deux caractères, apparemment opposés, qui distinguent l'obligation morale de la nécessité physique.
B.
Si la loi physique nécessite, c'est qu'elle est une loi causale ; si la loi morale oblige, c'est qu'elle est une loi finale.
La loi physique est une loi causale.
Elle affirme en effet que, certains antécédents étant donnés, tel conséquent suivra nécessairement : l'effet est impliqué
et comme préformé dans la cause.
Rien de tel dans la loi morale.
Elle propose et impose un but à atteindre : elle est une loi finale.
Sans doute, parmi les antécédents de l'individu soumis à la
loi morale se trouvent bien les moyens grâce auxquels pourra être atteint l'idéal qu'on lui fixe : à l'impossible nul n'est tenu.
Mais la réalisation de cet idéal
n'est qu'un des innombrables possibles auxquels il peut aboutir suivant l'utilisation qu'il fera des forces dont il dispose.
Il faut qu'il renonce à nombre
d'autres fins qui se proposent à lui et qu'il choisisse la fin supérieure du bien, orientant vers elle toute sa vie.
C .
On pourrait signaler enfin cette dernière différence : le sujet de la loi physique est hétéronome, tandis que le sujet de la loi morale est en même temps
autonome.
Le sujet de la loi physique est hétéronome, c'est-à-dire qu'il n'a pas choisi lui-même la loi qui le régit : ce n'est pas le plomb qui a établi ses propriétés
physiques et chimiques ; ce n'est pas l'homme qui a établi les lois de la circulation du sang.
L'homme n'est sans doute pas libre non plus de concevoir une loi morale autre que celle qu'il reconnaît comme s'imposant à lui : le sujet de la loi morale est
donc, dans un sens, hétéronome.
Mais il reste libre de l'accepter ou de la rejeter, de s'y soumettre ou de proclamer son indépendance : il est donc aussi
autonome.
Conclusion.
— La notion de loi n'a donc par pour le moraliste la même signification que pour le physicien : nous le savions déjà.
Mais peut-être que, en
comparant les deux acceptions du mot, nous avons pris conscience d'une parenté profonde.
A la différence de la loi civile qui est contingente et peut être
révoquée, la loi morale participe à la nécessité des lois physiques et reste immuable.
C ette ressemblance l'élève infiniment au-dessus des codes établis
par les plus hautes instances du pouvoir humain, au niveau de la divinité créatrice..
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