La mort ajoute-t-elle à la valeur de la vie ?
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«
Introduction
La mort tient une place centrale dans la pensée humaine.
Et pourtant nul homme ne sait ce qu'elle est, puisque,
ainsi que l'observait Kant, « personne n'en peut faire l'expérience en elle-même (car faire l'expérience relève de la
vie), mais on ne peut que la percevoir chez les autres » (Anthropologie, § 27).
Toutefois, si la connaissance
de la mort est impossible, si même, comme le dit Alain, « la mort ne s'imagine point », l'homme reste obsédé par elle
et s'efforce de l'expliquer : ainsi pourra-t-il l'envisager soit comme une autre vie, soit comme un anéantissement.
Mais ces représentations de la mort seront-elles sans incidence sur sa conception de la vie ? À ses yeux, la mort
ajoute-t-elle à la valeur de la vie, ou, au contraire, l'amoindrit-elle?
La mort dévalorise la vie
La mort comme vie supérieure
Une attitude courante vis-à-vis de la mort, soutenue le plus souvent par les croyances religieuses, consiste à
déréaliser la mort en la pensant comme un passage vers une forme de vie supérieure et non comme le terme ultime
de la vie.
Certaines religions (le christianisme par exemple) voient dans la mort non un anéantissement, mais le
commencement d'une nouvelle vie, éternelle - qui est la vraie vie - d'absolue félicité, l'âme y pouvant jouir de la
vision béatifique de Dieu.
Aussi, au regard de cette vie, la vie d'ici-bas, éphémère et malheureuse, ou du moins d'un
bonheur toujours mêlé, apparaît-elle de peu de valeur.
Cette position se rapproche de celle de Platon, pour qui la mort signifie cependant avant tout un détachement de
l'âme immortelle du corps périssable qui, l'enchaînant dans le monde du faux-semblant et de l'apparence, l'empêche
de connaître le Vrai et le Bien: « Nous avons eu la preuve, explique Socrate dans le Phédon, que si nous devons
jamais savoir purement quelque chose, il nous faudra nous séparer du corps
et regarder avec l'âme en elle-même les choses en elles-mêmes.
C'est alors, à
ce qu'il semble, que nous appartiendra ce dont nous nous déclarons
amoureux: la pensée; oui, alors que nous aurons trépassé, et non point
durant notre vie! » (Phédon, 66 d-e).
Ainsi le philosophe doit-il, écrit Cicéron,
« sortir avec joie de ces ténèbres, pour gagner le séjour de la lumière »
(Tusculanes, I, 30), et le même Cicéron nous rappelle qu'après avoir lu
l'ouvrage de Platon, Cléombrote d'Ambracie, dans sa hâte de jouir des félicités
de l'autre monde, se jeta dans la mer du haut d'un rempart.
Là encore, la
mort, loin d'ajouter à la valeur de la vie, en offrant une perspective d'une vie
meilleure et éternelle, déprécie cette vie dont elle est le terme.
« Philosopher c'est apprendre à mourir.
» Montaigne, Essais, 1580-1588.
Montaigne prône ici la « pré-méditation » de la mort.
Pour combattre la crainte qu'elle suscite en nous, il faut
l'apprivoiser, nous faire à son idée, nous habituer à elle : «N'ayons rien si souvent en tête que la mort », dit-il plus
loin.
« La préméditation de la mort est préméditation de la liberté.
Qui a appris à mourir, il a désappris à servir.
»
Montaigne, Essais, 1580-1588.
S'accoutumer à l'idée de notre propre mort, c'est nous libérer de la frayeur qu'elle nous inspire.
Ainsi, apprendre à
mourir, c'est proprement nous libérer progressivement de la servitude en laquelle nous tient la crainte de la mort.
« Un homme libre ne pense à aucune chose moins qu'à la mort; et sa sagesse est une méditation non de la mort
mais de la vie.
» Spinoza, Éthique, 1677 (posth.).
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