La morale s'apprend-elle ?
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VOCABULAIRE:
MORAL(E):
Moral: 1) qui concerne la morale.
2) qui est conforme aux règles de la morale; opposé à immoral.
Morale: ensemble des règles de conduite -concernant les actions permises ou défendues- tenues pour
universellement et inconditionnellement valables.
[Introduction]
L'apprentissage de la morale dans la société, aussi bien ancienne que contemporaine, paraît si fréquent que se
demander si la morale s'apprend peut sembler surprenant.
C'est qu'il s'agit d'interroger la portée d'un tel
apprentissage : que nous apportent véritablement les leçons, les exemples qu'il est possible de proposer en morale ?
À quoi mènent-ils le sujet lui-même ? Car s'il semble nécessaire de moraliser l'enfant dans la mesure où il est
incapable de constituer la morale par ses seules ressources, on peut se demander si, au-delà de l'enfance ou de
l'adolescence, l'apprentissage ne devrait pas laisser la place à une démarche plus personnelle.
[I.
La nécessité de l'apprentissage]
Éduquer un enfant, c'est aussi lui donner des habitudes morales, des moeurs, c'est-à-dire le faire passer d'une
spontanéité irréfléchie à une conscience des valeurs et de la qualité des comportements.
Dans la mesure où l'enfant
– au sens large : l'individu jeune – ne peut par lui-même réfléchir suffisamment, ou concevoir la portée morale des
situations dans lesquelles il peut se trouver, parce que sa raison n'est pas encore suffisamment développée, il est
obligatoire que les valeurs à respecter lui soient apportées par une autorité extérieure.
Cette autorité peut être celle d'un précepteur : c'est la version que privilégie Montaigne dans ses Essais ; c'est
encore celle qu'admet Rousseau dans Émile, où le précepteur, qui remplace les parents, a pour tâche, non pas
comme on le dit volontiers en caricaturant quelque peu la pensée de
Rousseau, de procéder à une éducation naturelle, mais de placer l'enfant dans
des situations telles qu'il en vienne à comprendre le caractère obligatoire de
certains comportements, et à retrouver ainsi, par ses propres réactions, les
valeurs.
Ainsi, lorsqu'on constate que l'enfant a tendance à ne pas encore
comprendre qu'il faut respecter le bien d'autrui, le précepteur n'hésite pas à
piétiner les plantations que son élève a eu beaucoup de mal à faire pousser :
ainsi le jeune esprit devra-t-il intérioriser l'idée qu'il ne doit pas détruire ce qui
ne lui appartient pas.
L'éducation parentale est aussi, ou devrait être aussi, une éducation morale,
puisque c'est dans sa famille que l'enfant passe le plus de temps dans ses
premières années.
L'organisation de la société assure ensuite le relais des
parents par l'école, ou le catéchisme : il s'agit d'amener progressivement
l'enfant à la connaissance de principes fondamentaux de la morale, dont on
peut admettre que la version laïque ne diffère guère de la version religieuse.
Dans un tel processus, on recourt volontiers à des exemples « historiques » ou
traditionnels, pour que l'enfant acquière des modèles de conduite et puisse
ensuite leur être fidèle.
[II.
L'ambiguïté de l'obéissance]
L'enfant est ainsi progressivement habitué à obéir à des lois ou à des maximes
qu'il admet comme bonnes, en raison même des autorités qui les lui ont enseignées.
Les parents, les instituteurs, les
prêtres sont a priori respectables et ont, d'une certaine manière, toujours raison.
La preuve en est qu'en cas de
désobéissance, les sanctions ne tardent pas à survenir.
À
l'enfant obéissant, les jouets, les « bons points » et les gâteries en tout genre (sans oublier les anciens prix de «
bonne conduite » du système scolaire) ; au garnement, les fessées, l'eau et le pain sec, et les réprimandes...
Toute
une imagerie un peu caricaturale participe aussi de l'éducation morale, et ne fait que varier historiquement ou selon
les milieux sociaux, lorsqu'aux Vies des hommes illustres succède par exemple la comtesse de Ségur.
On peut cependant faire remarquer qu'en fondant la morale sur l'obéissance à un pouvoir, on risque de voir vaciller la
première en cas d'éclipse du second : la « peur du gendarme » n'est guère efficace lorsqu'aucun bicorne ou képi
n'est visible.
En termes plus sérieux : une morale simplement apprise sous la pression d'une autorité extérieure,
qu'elle soit personnelle, familiale ou sociale, peut ne pas être intériorisée sérieusement.
On aboutit alors à un individu
qui se conduit « bien » tant que quelqu'un peut le surveiller, mais qui, dès que la surveillance disparaît, oublie les
leçons reçues et dérive vers le mal et l'immoralité.
C'est que dans l'obéissance, sa volonté n'est guère en cause ;
elle est bien plutôt mise entre parenthèses au profit d'une passivité, telle que, même en cas d'action «bonne »,
l'intention est davantage de satisfaire les autres ou d'avoir la paix en faisant ce qu'ils attendent que de faire
réellement le bien.
Imaginons même que l'obéissance devienne une « seconde nature », puisqu'elle est bien une habitude acquise.
Elle
révèle un autre défaut, qui consiste en ce qu'elle s'installe définitivement l'individu dans une minorité : il ne décide
rien par lui-même, se contentant de suivre inlassablement les leçons autrefois apprises.
Au point, puisque sa volonté
est orientée non vers la conduite à tenir, mais vers le simple fait d'obéir à ce qu'il a appris, que l'on peut aussi bien
considérer que la conduite qu'il adopte n'a rien de réellement moral, dans la mesure où elle ne dépend pas de son
choix..
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