La morale est-elle le produit de l'instinct ?
Extrait du document
«
Y a-t-il de la morale dans la nature ? L'animal fait-il bien ou mal les choses ? Agir par instinct, c'est agir de
manière strictement mécanique.
L'instinct est une des expressions du couple " stimulus - réaction ".
Un geste, même
humain, peut être instinctif.
Retirer sa main de l'eau parce qu'elle est trop chaude relève d'un mouvement instinctif.
Mais la morale peut-elle être assimilée à ce genre de geste ? L'idée même de la morale, produite par l'instinct a-telle un sens ? La morale étant le résultat de l'éducation, de l'usage de la raison, de la coutume et de la culture, elle
présuppose la liberté.
Or, l'instinct s'oppose radicalement à cette notion.
Par ailleurs, l'acte moral tire sa valeur (et
son existence) de la capacité que nous avons de le réaliser ou de ne pas le réaliser.
Autrement dit, c'est
précisément parce que nous prenons la décision d'agir moralement (et que nous pourrions très bien ne pas le faire),
que la morale a un sens.
Si la morale n'était que le fruit de l'instinct, elle ne proviendrait pas d'un choix et n'aurait
plus de sens.
1° La pitié, cet instinct naturel de la morale
1.
La pitié
La réflexion sur la sociabilité de l'homme conduit Rousseau à insister sur le rôle des sentiments.
Ainsi, le sentiment
naturel de la pitié pour nos semblables (Discours sur l'origine de l'inégalité), qui nous pousse à nous identifier à celui
qui souffre, est une manière de nous unir aux autres par affection plutôt que par intérêt.
La pitié est à l'origine des
vertus sociales.
2.
La sincérité du coeur
Le sentiment n'est pas limité au caractère sociable de l'homme.
Il est aussi bien ce qui nous révèle notre spiritualité,
la foi naturelle en une intelligence divine à laquelle invite l'ordre de l'univers, que ce qui nous permet de décider du
bien ou du mal, du vrai et du faux.
Ainsi, les connaissances évidentes sont, pour Rousseau, celles auxquelles, dans
la sincérité de mon coeur, je ne peux refuser mon consentement (Profession de foi du vicaire savoyard).
« Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel qui, modérant
dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même, concourt à la
conservation mutuelle de toute l'espèce.
C'est elle qui nous porte sans
réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c'est elle qui, dans
l'état de nature, tient lieu de lois, de moeurs et de vertu, avec cet avantage
que nul n'est tenté de désobéir à sa douce voix : c'est elle qui détournera
tout sauvage robuste d'enlever à un faible enfant, ou à un vieillard infirme, sa
subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne
ailleurs ; c'est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée,
Fais à autrui comme tu veux qu'on te fasse, inspire à tous les hommes cette
autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais plus utile peut-être
que la précédente, Fais ton bien avec le moindre mal d'autrui qu'il est
possible.
C'est en un mot dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des
arguments subtils, qu'il faut chercher la cause de la répugnance que tout
homme éprouve à mal faire, même indépendamment des maximes de
l'éducation.
Quoiqu'il puisse appartenir à Socrate et aux esprits de sa trempe,
d'acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne
serait plus, si sa conservation n'eût dépendu que des raisonnements de ceux
qui le composent.
» Rousseau.
MODELE.
Dans ce texte, Rousseau fait l'apologie de la pitié.
1) La pitié est définie tout d'abord comme le sentiment naturel.
2) Puis, la pitié est décrite en ses différentes fonctions.
3) Rousseau indique la supériorité de la maxime qu'elle inspire.
4) Il ait de cette maxime le fondement de la morale.
1) Dans la forme d'une argumentation qui s'achève (« donc ») Rousseau affirme que « la pitié est un sentiment
naturel ».
On sait que Rousseau opposera constamment ce qui est de l'ordre de la nature et ce qui est de l'ordre de
la société (du social, ou du civil).
Cette succession historique (supposée) a son équivalent à l'intérieur de l'homme.
Il y a en lui ce qui est de l'ordre de
la nature (inné) et ce qui a sa source dans la société (l'acquis).
Rousseau estime que ce qui est de l'ordre du
sentiment (la pitié) est déjà là, en l'homme, au niveau de l'homme naturel, et donc premier (et par là même
antérieur) à la raison qui, elle, est seconde (et par là même postérieure), de l'ordre de l'homme civilisé.
Ainsi, Rousseau, au niveau de l'homme « naturel », distingue-t-il un sentiment égoïste (« l'amour de soi ») et un
sentiment altruiste (« la pitié »).
Il les comprend comme antagonistes, et s'équilibrant l'un l'autre (« la pitié [...]
modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même »).
Sans que Rousseau soit très explicite sur ce point, on peut imaginer que l'amour de soi conduit l'homme au repli et
l'éloigne de ses semblables (à moins que l'amour de soi ne le conduise à vouloir imposer sa volonté par la force).
Au
contraire, la pitié nous ouvre vers autrui et conduit à nous rapprocher des autres hommes, nos semblables, nos
frères.
Chacun, éprouvant de la pitié pour l'autre, est enclin à le protéger et à lui porter secours.
Ainsi, la pitié
concourt-elle « à la conservation mutuelle de l'espèce »..
»
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