La morale chez Jean Genet
Publié le 29/11/2023
Extrait du document
«
Sujet n° 1 dissertation : “ Genet est un génie avec tout ce que le mot implique de
merveilleux, de mystérieux et d'intolérable.
Le monde n'aime pas ce qui
trouble sa vieille morale.
Genet est moraliste à sa manière, en ce sens qu'il
possède sa propre morale - une morale personnelle qu'il prétend nous
imposer à travers ces écrits." Lettre de Jean Cocteau au metteur en scène
américain Leo Garen, 1958.
Dans quelle mesure ces propos éclairent-ils votre
lecture des œuvres au programme ?
Votre dissertation s’appuiera sur des exemples précis et analysés du corpus.
Au début des années 1980, avant sa mort, Jean Genet écrit: "plus ou moins
conscient, en chaque homme est le souci de proposer une image de
soi-même, et de la propager au loin et après sa mort, de telle façon qu'elle
exerce un pouvoir ".
Mais alors son image, l’image d’un auteur orphelin, d’un
nomade prodige, quelle homme représente-t-elle aujourd’hui?
Dans sa lettre au metteur en scène américain Leo Garen, Jean Cocteau, poète et
artiste français du XXe siècle, qualifie Jean Genet d’un “génie avec tout ce que le
mot implique de merveilleux, de mystérieux et d’intolérable”.
Le génie est à
cheval sur deux aspects, il est l’homme de la sensibilité et l’homme de l’art, c’est
aussi l’homme qui est inspiré par quelque chose de supérieur aux normes humaines,
et qui en fait preuve dans son œuvre.
Il est évident, pour toute personne qui s’est
intéressée un minimum à l'œuvre de Genet, que son écriture, son monde, impliquent
une dimension de merveilleux et de mystérieux, qui, parfois, peut être inexplicable,
et donc intolérable pour certaines personnes.
“Genet est moraliste à sa manière”, comme le mentionne encore Jean Cocteau
dans sa lettre.
Il ne se met aucune barrière et s’engage à explorer les limites et les
tabous de la morale conventionnelle, tout en remettant en question les normes et les
valeurs sociétales établies, ce qui, malheureusement, ne plaît pas à tout le monde.
En ce fait “il possède sa propre morale, une morale personnelle qu'il prétend
nous imposer à travers ses écrits”.
En quoi alors l’exploration par Jean Genet des limites morales et sociales
façonne-t-elle une œuvre à la fois captivante et perturbante, tout en reflétant les
complexités d’un génie artistique?
Ainsi, pour répondre à cette problématique, nous verrons dans un premier temps,
comment se manifeste le génie chez Jean Genet, dans un second temps, nous nous
intéresserons à l’imposition d’une morale personnelle à travers ses écrits, puis, dans
un troisième et dernier temps, nous étudierons l’impact qu’il a sur la perception de la
morale et de la condition humaine.
Dans ses œuvres, Genet explore les marges de la société, où l'extraordinaire
surgit du quotidien.
A chaque lecture on est plongé dans un univers transgressif et
marginal qui peut paraître inquiétant de prime abord, mais qui nous fait voyager et
dépasser les limites de notre imagination.
C’est là tout le génie de Genet
Dans Notre-Dame-des-Fleurs, premier roman de Jean Genet, écrit dans la prison
de Fresnes en 1942, l'univers carcéral devient le théâtre de la transgression où la
beauté émane de la laideur.
Il décrit la prison avec une prose poétique, il transforme
le sordide en quelque chose de fascinant, ce qui permet de sublimer les aspects les
plus sombres de cet univers clos.
On peut lire, par exemple, au deuxième chapitre de cette oeuvre, "Dans ce
temps-là, le quartier des Condés était pour moi une contrée où tout l'or du
monde semblait s'être épuisé en des flots de lumière stérile et terrible, comme
un plein midi lugubrement minéral.
C'était un cloaque bien sage, un tombeau
en manque d'air, la saumure de l'enfer." Dans ce passage, il évoque le quartier
des Condés en décrivant un paysage où toute richesse semble avoir été perdue,
laissant une lumière stérile et terne.
Cette vision dépeint une atmosphère lugubre et
oppressante, où la lumière elle-même devient illuminante et oppressive.
Genet
utilise des termes évocateurs comme "tombeau en manque d'air" ou encore
"saumure de l'enfer" pour souligner la dualité paradoxale de l'environnement
carcéral.
Il mélange des images de beauté et de désolation, faisant ainsi coexister la
poésie de ses descriptions avec la brutalité de la prison.
Cette dualité met en lumière
la manière dont la beauté peut parfois émerger de l'horreur
Genet explore cette dualité en trouvant des éléments esthétiques même dans les
situations les plus sordides.
Il écrit dans le même chapitre "Ce n'est pas avec de
l'eau bénite qu'on lave la saleté d'une prison.
Cette saleté-là est plus belle que
toute chose.
Il y a la cour des femmes, et le terrain des culottes courtes, là où
les condés nous entraînaient pour des exercices, juste après l'appel, quand le
jour commençait à poindre."
L'évocation de la cour des femmes et du terrain où les jeunes détenus sont amenés
pour des exercices donne une atmosphère presque nostalgique et crée un contraste
frappant entre la réalité crue de la prison et les moments de routine quotidienne.
Cette capacité à voir la beauté là où elle est moins évidente, et à donner une
dimension poétique à un contexte dépourvu d'espoir, reflète la complexité de
l'approche esthétique de Genet.
Dans Les Bonnes, pièce de théâtre de Jean Genet, dont la première représentation
eut lieu en 1947, on a à faire à une esthétique du crime.
On assiste à une
transformation de l'acte criminel en un rituel presque sacré, à travers la manière dont
Genet décrit les actions des sœurs Claire et Solange.
Ce qui témoigne encore une
fois du génie de l’auteur, car le fait d’empoisonner quelqu’un est loin d'être aussi
mystique qu’il en a l’air dans cette œuvre.
Dans la scène où Claire incarne Madame, les deux sœurs se lancent dans un jeu de
rôles complexe, transgressant les frontières entre réalité et fiction.
Cette
transgression devient une forme d'élévation de leur statut, un moyen de s'échapper
de leur condition de servantes.
Les limites entre le réel et l'imaginaire s'estompent,
créant ainsi une atmosphère mystérieuse et merveilleuse, malgré la noirceur du
contexte.
L'acte criminel, quant à lui, est ritualisé, transformé en un moment presque
cérémoniel.
La préparation minutieuse du poison devient une danse macabre, un
rituel fascinant à la fois pour les personnages et pour le spectateur.
Ainsi, Genet
donne une aura mystérieuse et fascinante à ces moments, transformant l'horreur en
une forme de beauté étrange et captivante.
Il offre une perspective unique sur la
nature humaine et explore sa dimension la plus sombre.
Jean Genet parvient toujours à établir une atmosphère fascinante dans ses œuvres
en brouillant habilement les frontières entre le réel et l'imaginaire.
On l’a vu avec
l’exemple de la pièce de théâtre Les bonnes, mais on peut aussi le remarquer dans
Journal du voleur, paru en 1949, à travers l’utilisation de l’autofiction.
Dans cette
œuvre, Genet mélange des éléments autobiographiques avec des éléments
fictionnels, créant une identité narrative complexe.
Il propose une version de
lui-même à la fois authentique et influencée par des récits subjectifs.
Cette fusion entre réalité et subjectivité trouble la perception du lecteur qui est
plongé dans un univers où la frontière entre le réel et l'illusion devient floue, L’auteur
crée ainsi une réalité subjective difficile à appréhender.
Cet entremêlage d'éléments
réels et imaginaires instaure une atmosphère de merveilleux, remettant sans cesse
en question la perspective du lecteur.
Ainsi, l'autofiction dans Journal du voleur permet à Genet de remettre en cause les
normes littéraires et sociales en explorant les zones d'ombre de l'identité.
Genet se positionne en dehors de la morale conventionnelle et s'engage à explorer
les tabous et les limites morales et sociétales préétablies.
Quand on s'intéresse à
son œuvre, on ne peut négliger la présence de l'idée que l'homme est capable de
construire sa propre morale en se détachant des valeurs morales collectives.
Un exemple évident de cette réflexion se manifeste dans Les Bonnes.
En effet,
l’auteur n'hésite pas à pousser l'exploration des limites morales et sociétales à son
paroxysme en mettant en scène des personnages qui, avides de pouvoir et animés
par des pulsions désordonnées, transgressent les frontières de leur rôle social
subalterne.
Claire et Solange, les deux sœurs servantes, endossent des identités et
des rôles fictifs lors de jeux de rôles pervers.
Elles s'échappent temporairement de
leur condition de domestiques pour explorer un monde où les hiérarchies sont
bouleversées.
Solange se fait passer pour Madame, sa maîtresse, tandis que Claire
incarne Madame lorsqu'elle est absente.
Cette inversion des rôles leur permet de
s'approprier un pouvoir auquel elles n'ont pas accès dans la réalité.
On peut lire à l'acte 1, scène 1 de la pièce, un dialogue entre Claire et Solange qui
dépeint la manière dont elles se libèrent temporairement de leur condition de
servantes pour jouer avec les limites de la réalité et de la fiction, se permettant ainsi
de s'approprier un pouvoir qui leur est normalement refusé dans leur condition de
servantes ;
« SOLANGE : Tu m'appelles "mademoiselle".
"Mademoiselle Solange".
CLAIRE : Oui, mademoiselle Solange.
SOLANGE : Pourquoi ne m'as-tu pas donné un baiser en passant ? »
La transgression....
»
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