La morale a-t-elle disparu de notre société ?
Extrait du document
«
Introduction
Si la morale n'a plus réellement actuellement cette marque transcendante.
Si elle semble plutôt désormais
s'élaborer par les hommes au rythme des lois venant après coup, savoir après quelque conséquence néfaste, elle ne
peut tenir pour nécessaire, et prend alors un caractère relatif.
En effet, devant les nouvelles technologies qui
s'imposent quasi « innocemment » dans nos espaces, et devant ces régimes capitalistes toujours plus marqués par
la concurrence et créant par là de l'injustice sociale, peut-on déceler un indice d'une morale toujours opérante,
capable d'imposer une réflexion et une responsabilité à toute forme d'activité humaine ?
I.
La question d'une morale
a.
La morale est relative.
Elle ne semble même pas pouvoir indiquer la possibilité de mettre en cause les progrès
techniques : « Il va de soi qu'opposer des jugements de bien ou de mal à une opération jugée techniquement
nécessaire est simplement absurde » (J.
Ellul, Le système technicien).
Ainsi selon Ellul, le technicien ne tient pas
compte de la morale, qu'il considère relative.
Ainsi la technique se juge elle-même, sans s'arrêter aux croyances
(sacrées, spirituelles, religieuses) et à la morale.
La technique, selon l'auteur, se situe en dehors de toute contrainte
morale ; plus encore, la technique deviendrait le juge même de la morale : « une proposition morale ne sera
considérée comme valable pour ce temps que si elle peut entrer dans le système technique, si elle s'accorde avec
lui » (ibid).
b.
La morale est contre nature pour Nietzsche : la morale a trop souvent été l'occasion de supprimer les
passions en l'homme.
Nietzsche critique ce caractère chrétien d'une morale
qui fait la guerre aux passions, et prend pour exemple l'épisode du Sermon sur
la montagne (Nouveau Testament) où il est dit : « si ton œil entraîne ta
chute, arrache-le » (prohibition de l'adultère, des pensées sexuelles impures).
Si la morale doit être un OUI à la vie, il ne semble pas que l'Eglise, dans son
processus de castration (de la sensualité, de l'orgueil, de la passion de
dominer, de posséder et de se venger), aille dans le sens d'une morale de
l'autonomie (cf.
Nietzsche, Crépuscule des idoles) ; dès lors, doit-on laisser
toute latitude aux avancées scientifiques ?
II.
la dérive technocratique
a.
Le monde s'ouvre sur un horizon strictement utilitaire.
Aussi, toute
réflexion porte sur l'action et son efficacité.
C'est le pragmatisme qui ouvre
cette voie d'une lutte contre l'irrationnel, et d'une technocratisation de la
société.
L'orientation technocratique désigne le pouvoir des techniciens ainsi
que l'idée que l'action de gouverner est une action technique (gestion
technocratique).
Dès lors les techniciens dirigent le pendant socioéconomique de la société industrielle.
Ainsi J.
Habermas dira que la
démocratie n'est plus un gouvernement du peuple par le peuple.
Le peuple n'a
qu'un rôle périodique consistant à voter pour des hommes auxquels on
attribue des compétences techniques.
Et le système social évolue au rythme
du progrès scientifique et technique.
Habermas s'inquiète surtout de l'idéologie technocratique qui s'implante dans la
conscience des hommes (cf.
La technique et la science comme idéologie).
b.
On remarque aussi que les jugements moraux et religieux sur la technique ont peu d'effets.
Car il apparaît que
la technique engendre une uniformisation des désirs et des besoins.
Aussi, forte de sa place, la technique semble ne
pas vouloir prendre en considération les critiques qu'on lui adresse.
Hans Jonas montre que les promesses des
techno-sciences modernes se sont inversées en menaces, et la perpétuation de l'humanité se trouve mise en
question.
Refonder une théorie et une pratique de la responsabilité semble donc être l'enjeu le plus important de
cette ère technologique (Jonas, Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique).
Une
morale doit investir l'espace technique afin de contrôler son progrès, son évolution, et doit avoir un pouvoir
décisionnel permettant de contrer toute orientation capable de mettre en péril l'homme.
Le politique doit instituer un
principe de précaution, mais surtout s'employer à l'appliquer devant toute possibilité d'un risque pour les espèces
vivantes.
c.
Des progrès de la recherche en biologie, il est impossible de savoir encore s'ils conduiront au meilleur ou au
pire.
C'est de la vie qu'il est question, d'où la gravité des enjeux de la recherche.
Ainsi par exemple, les généticiens
pourraient bientôt être capables de modifier le patrimoine génétique d'un individu, au point de donner à l'humanité la
maîtrise de certains choix décisifs : la question est donc de savoir qui aurait le pouvoir de choisir, qui, par exemple
devrait assumer la responsabilité de favoriser la naissance de tel type d'enfants, d'éviter le développement de telle
catégorie d'individus.
d.
Un autre débat contemporain semble refléter la dimension profondément éthique des choix majeurs qui
peuvent s'imposer aux biologistes : c'est celui qui est né du désir de savoir quelles sont les parts respectives, chez
un être humain, de l'inné et de l'acquis (cf.
A.
Jacquard, Au péril de la science ?).
Dans l'impossibilité d'isoler tous
les effets du déterminisme génétique (puisque tous les hommes sont, dès le départ et par nécessité vitale, pris dans
un processus éducatif), la biologie ne peut prétendre en mesurer précisément l'impact.
Il se trouve pourtant des
savants pour nier cette impossibilité, affirmer la toute puissance du déterminisme génétique, et fournir une caution
scientifique à ceux qui auraient les moyens de mettre en place une organisation sociale calquée sur une soi-disant
inégalité biologique des individus..
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