La mémoire est-elle une forme de l'habitude ?

« Forme de l'énoncé. C'est une question avec réponse proposée; on attend en principe un oui ou un non.

Dire que la mémoire est une forme de l'habitude, c'est supposer que l'habitude en un sens général se définit par certains caractères, que la mémoire possède ces mêmes caractères, plus des caractères distinctifs; c'est supposer peut-être aussi qu'il existe d'autres formes d'habitudes qui ne sont pas la mémoire. Comparaison. La méthode que nous suivrons est la suivante 1 : — nous allons comparer point par point mémoire et habitude en notant, sur deux colonnes, les caractères de l'une et de l'autre, — nous établirons ensuite si possible des correspondances entre les caractères de la mémoire et ceux de l'habitude, — et nous relèverons ceux qui n'ont pas de correspondant. Supposons ce travail fait, au prix de tâtonnements et de corrections; voici quel en est le résultat. 1.

— Dans tous les cas que nous avons considérés, sans exception, pour la mémoire comme pour l'habitude, il s'agit à'acquisitions : quelque chose est apparu, qui n'existait pas auparavant : une leçon apprise par coeur, un réflexe conditionné, un souvenir conservé ou la possession d'un savoir-faire. Comment s'est faite cette acquisition? Dans un cas et un seul, celui du souvenir, il a suffi d'une unique expérience, d'une perception fugitive, pour qu'il soit possible de s'en souvenir.

C'est là déjà l'indice du caractère privilégié de cette forme de mémoire.

Dans tous les autres l'acquisition s'est faite peu à peu au prix souvent de simples répétitions, parfois aussi d'exercices variés et gradués; on n'apprendra jamais à jouer du piano en répétant toujours le même morceau. 2.

— Dans certains cas, cette acquisition se manifeste par un changement dans les réactions naturelles.

C'est le cas du réflexe conditionné, et aussi celui de l'accoutumance.

Une association se crée peu à peu entre une excitation et une réaction, elle disparaît aussi d'ailleurs si elle n'est pas entretenue.

Nous pouvons considérer du reste toutes sortes de degrés entre le réflexe salivaire, par exemple, obtenu par dressage, et le savoir-vivre, modification complexe du comportement tout entier, produit par l'éducation. 3.

— Dans d'autres cas, qui sont peut-être les plus frappants, mais qui ne sont pas les plus faciles à expliquer, il semble que se crée en nous une sorte de mécanisme monté qui, une fois déclenché, se déroule toujours identique à lui-même.

C'est le cas d'une leçon apprise par coeur.

On apprend aussi bien une tirade de RACINE, un prélude de CHOPIN ou l'enchaînement des mouvements d'une danse. Il se peut que ce cas se ramène au précédent, autrement dit que l'enchaînement appris par coeur ne soit que le résultat d'une succession de réflexes conditionnés, chaque vers par exemple appelant le suivant; de même que lorsque nous connaissons bien un certain itinéraire, nous sommes capables, d'un point quelconque de cet itinéraire, de nous diriger vers le point suivant, sans pouvoir pour autant avoir une vision de l'ensemble.. »