La loi peut-elle changer les hommes ?
Extrait du document
«
Les lois sont une institution humaine, elles sont censées réguler la vie de la société en assignant des limites aux actions de chacun de ses
membres.
La loi est le signe de l'écart entre une possibilité absolue, celle de faire ce qui me plaît, et une possibilité relative, celle, légale,
de modeler mon action en tenant compte de l'existence et de l'intérêt d'autrui.
Les lois peuvent répondre à certains problèmes généraux,
et aider l'homme dans son action, mais peuvent-elles pour autant changer les hommes ? En encadrant leur vie, en régulant leurs actions
mais aussi en tant qu'omniprésentes dans leurs représentations, nous verrons dans quelle mesure les lois peuvent provoquer un
changement chez les hommes.
I- Les lois ne peuvent changer les hommes.
Les lois sont toujours négatives, elles formulent des
interdits, des limites à ne pas dépasser.
Bref, elles codifient les comportements qui sont jugés comme portant atteinte au bon
fonctionnement du corps social.
Les lois ont certes une efficacité ; elles permettent de légiférer quant aux actes tenus pour illégaux et
participent ainsi à l'équilibre de la société en protégeant ses membres de quelques uns qui ne suivent pas les règles.
Les lois, en tant
qu'institution respectée et détenue par un pouvoir autre que le pouvoir politique (sans quoi elles sont partiales) constituent donc cet
organe auto-régulateur du corps social.
Mais leur fonction se limite à celle d'assigner des limites et de protéger la société en en assurant
l'homéostasie, c'est à dire l'équilibre.
Elles ne sont pas faites pour changer les hommes mais seulement pour limiter leurs
comportements ; les lois n'ont jamais empêcher l'homme de commettre des meurtres, des vols ou de truquer ses déclarations fiscales.
Imaginer que les lois
pourraient changer les hommes est une utopie, si tel était le cas, l'illégalité ne signifierait plus rien puisque les hommes seraient tous
rangés du côté de la loi.
Une telle perspective est évidemment magique ; les lois peuvent dissuader les hommes de faire ceci ou cela
mais ne peuvent le changer fondamentalement.
La loi n'est pas immanente à la société comme la norme organique l'est au corps vivant,
ainsi que l'avance Canguilhem dans Les nouvelles réflexions sur le normal et le pathologique.
Les lois font l'objet de débats, de révisions, de
contestations, leur mise en œuvre implique tout un appareil administratif et pratique compliqué ; à l'opposé, les normes organiques sont
vécues, du moins dans l'état de santé, sans problèmes par le vivant, elles ne sont pas discutées, la cohérence qu'elles imposent aux
organes n'est pas une obligation construite mais un fonctionnement naturel.
II- Les lois peuvent changer les hommes.
Mais, à bien y regarder on s'aperçoit que toutes les lois
ne sont pas calquées sur le modèle des commandements divins, c'est-à-dire formulées comme des interdits.
Il y a des lois qui, en
indiquant des limites, ouvrent également la voie à de nouveaux comportements.
Bien plus les lois peuvent rendre légal ce qui auparavant
ne l'était pas.
La légalisation de la pilule à la fin des années 60 en France a ainsi incontestablement participé à la libération des femmes.
Du même coup ce sont les mœurs en général et par conséquent les modèles familiaux qui ont été modifiés.
De même la légalisation de
l'avortement au milieu des années 70 a contribué à bouleverser les mœurs établies en conférant une véritable autonomie à la femme.
De même on peut imaginer
que si un jour des lois venaient à légaliser des choses encore illégales comme l'euthanasie, le clonage non-thérapeutique d'être humains
ou l'adoption d'enfants par des couples homosexuels, les mentalités en seraient considérablement modifiées.
Les hommes et les
femmes ne perçoivent donc pas la loi uniquement comme le signe d'un interdit mais éventuellement comme la promesse de pouvoir agir
à leur guise.
Loin d'être cantonnées à une
efficacité juridique, punitive, restrictive, les lois ont une efficacité sociale réelle, elles peuvent être l'outil qui autorise des comportements
jusque là empêchés.
Certes les lois ne sont pas à l'origine des changements qu'elles sanctionnent comme légaux, elles ne sont qu'une
étape, permettant à la volonté générale de s'incarner textuellement et institutionnellement.
Il est possible que le changement d e
mentalité précède la loi et la motive mais en retour c'est elle qui permet un changement réel des comportements humains.
III- Ce sont les hommes qui changent la loi.
Mais la tentation est forte de
montrer que, finalement, la loi n'est qu'une médiation dans la vie de la société : la loi est produite par le corps social.
Il paraît donc abusif
de dire que les lois peuvent changer l'homme, sans insister sur ce qui est implicite mais capital, à savoir que ce sont les hommes qui
adaptent les lois.
Il faut souligner que l'homme, par la médiation de la loi est l'auteur de sa propre métamorphose.
Il apparaît que ce
sont les comportements humains, les revendications humaines, qui provoquent la création des lois lesquelles ne servent qu'à justifier ou à
sanctionner des actes qui n'avaient jusque là pas un statut légal satisfaisant.
Mais ce ne sont pas les lois à proprement parler qui
induisent un changement en l'homme, elles le permettent, l'organisent, mais ne font que répondre à un problème qui était déjà là.
Il reste que la tâche de faire les lois échoue à un
groupe d'hommes particuliers, les parlementaires, qui sont censés proposer des lois ou des décrets pour répondre aux attentes des
citoyens qu'ils représentent.
Le risque serait probablement de se passer d'un organe médiateur pour la constitution des lois ; par exemple
dans Le système de politique positive, Auguste Comte, prône la suppression de toute institution juridique, selon lui l'opinion suffirait pour
trancher du bien-fondé des actes commis par chacun.
Une telle thèse, évidemment utopique, nous paraît représenter un réel danger pour
la démocratie.
Il n'est pas sûr que notre
société moderne se préserve suffisamment de telles dérives, il arrive de plus en plus que la loi apparaisse comme un outil devant
répondre aux soucis de l'opinion publique.
On assiste à de véritables disproportions, par exemple lorsque la loi est perçue par l'opinion, et
mise en scène par les médias, comme devant répondre à un problème particulier.
Dans la célèbre affaire Imbert qui date de quelques
années, les législateurs furent sollicités pour répondre à la détresse personnelle d'une mère qui, contre la loi mais soutenue par l'opinion,
avait aidé son fils, tétraplégique, à mourir.
Il semble que l'on assiste de plus en plus à une espèce de consumérisation du droit.
Conclusion :
On peut donc conclure en disant qu'il y a bien une
efficacité des lois sur l'homme, autre que purement restrictive, les mentalités et les comportements sont changés en profondeur, la loi
sert non seulement à empêcher certains actes mais également à en légaliser d'autres.
Nous avons vu que la loi était une œuvre humaine,
c'est donc l'homme qui, grâce au droit, organise sa propre évolution sociale.
Le cœur du problème étant la gestion de cette organisation,
chaque société doit déterminer à qui revient d'écrire les lois et définir quelle place accorder à l'opinion dans le système juridique..
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