La liberté peut-elle se concevoir en dehors du choix rationnel ? Faut-il placer la liberté humaine dans l'obéissance à la raison?
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Faut-il placer la liberté humaine dans l'obéissance à la raison? La liberté peut-elle se concevoir en dehors du choix
rationnel?
L'acte libre implique incontestablement un choix.
Mais, quoi qu'on en ait parfois soutenu de nos jours, ce choix n'est pas
un choix quelconque ou arbitraire.
C'est un choix dirigé par la raison.
Encore est-il nécessaire, pour écarter toute
équivoque, de préciser comment doit être conçue la raison elle-même.
Position de la question.
La liberté a été conçue autrefois comme une liberté d'indifférence dont nous ferions surtout
l'expérience « dans les choses où il n'y a aucune raison qui nous penche d'un côté plutôt que d'un autre » (BossuET).
BERGSON l'a cherchée dans un élan soustrait à « la loi de la raison d'être » (MARitAIN)
et pour lequel agir sans raison est parfois « la meilleure des raisons », tandis que J.-P.
SARTRE en fait l'objet d'un choix auquel manque tout point d'appui et qui, en ce sens,
est « absurde ».
— Dans toutes ces conceptions, la liberté se situe en marge de la
raison, voire en opposition à elle.
Mais est-ce bien là l'idée que nous devons nous faire
de notre liberté? ne serait-elle pas plutôt dans l'obéissance à la raison? Encore faut-il
concevoir celle-ci selon sa vraie nature.
I.
Les fausses conceptions de la raison.
A.
— On étrécit parfois le sens du mot raison jusqu'à lui faire désigner la pensée
raisonnante, l'intelligence analytique et discursive.
Si on l'entend ainsi, il va de soi que
la raison n'a à peu près rien de commun avec la liberté.
Elle est alors tout juste
capable de disséquer les motifs et les mobiles de nos actes, de calculer, surtout d'un
point de vue utilitaire, leurs conséquences possibles, alors que l'acte volontaire est au
contraire un acte de synthèse qui met en jeu notre personnalité totale.
— Mais c'est à
confondre raison et raisonnement.
B.
— Une autre erreur consisterait à faire de la raison une faculté à part, une faculté
désincarnée, sans rapport avec notre vie spirituelle concrète et avec les forces actives
de notre moi.
Subordonnée à une telle «raison », la liberté exigerait l'élimination de
toute spontanéité, de tout sentiment, de toute disposition naturelle : ce serait
quelque chose d'inhumain.
-C'est ce qu'on a parfois reproché, non sans quelque exagération d'ailleurs, à la conception
kantienne de l'autonomie, celle-ci consistant à agir « par pure raison », en écartant tout mobile empirique.
Il est à
remarquer toutefois que KANT lui-même n'a pas exclu tout sentiment : pour que l'acte soit autonome, il suffit, selon lui,
que les mobiles empiriques n'y interviennent pas en tant que « principes déterminants »; mais il peuvent s'y surajouter, et
KANT va jusqu'à écrire que « ce qu'on ne fait pas avec joie n'a aucune valeur morale interne ».
II.
Le vrai rôle de la raison.
Mais la raison ne doit pas être conçue comme une faculté à part : elle n'est rien d'autre que l'esprit lui-même en tant que
faculté d'ordre, puissance régulatrice et normative.
En ce sens, loin de s'opposer à la liberté, elle en est la condition;
disons mieux : elle coïncide avec elle.
En effet, tant que nous obéissons à un désir, une impulsion, une passion quelconque comme à un élément particulier de
notre moi qui nous détermine irrésistiblement et mécaniquement, nous ne sommes point libre.
Pour que nous le
devenions, il faut que cet élément particulier vienne s'intégrer à notre moi total, qu'il soit accepté, homologué en quelque
sorte par lui, qu'il soit pensé au lieu d'être subi, en un mot qu'il soit rationalisé.
Mais la raison ne détruit pas la
spontanéité, elle l'organise, elle l'élève à un niveau supérieur.
La liberté, écrit RENOUVELER (Critique philosophique, 1873,
II, p.
126), c'est « la raison même », mais c'est « la raison personnelle ».
On comprend dès lors que LEIBNIZ ait pu écrire
que « nous sommes d'autant plus libre que nous agissons davantage selon la
raison » et que Maurice BLONDEL ait affirmé qu'il y a « solidarité entre la raison et la
liberté ».
Conclusion.
Il est absurde d'opposer la liberté et la raison.
Bien au contraire, la
liberté vraie n'est ni dans le caprice irrationnel ni dans l'impulsion instinctive : elle
est dans l'obéissance à la raison, pourvu que celle-ci soit conçue selon sa vraie
nature, comme puissance coordinatrice et régulatrice de notre dynamisme spirituel
total..
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