La justice: une institution et une valeur ?
Extrait du document
«
Remarquons tout d'abord que le terme de justice a une signification différente selon qu'il renvoie à une institution
ou à une valeur.
Selon l'étymologie, la justice, c'est d'abord la décision d'un juge, qui prononce selon le droit.
Le
terme de « justice » vient en effet du latin jus, qui signifie « droit ».
Juger ou judicare, c'est « dire le droit », jus
dicare.
D'une façon générale, la justice désigne alors l'institution dont la fonction est d'appliquer les lois, c'est-à-dire
le pouvoir judiciaire.
Mais la justice désigne aussi la valeur qu'on attache au jugement rendu et aux lois au nom
desquelles ce jugement est rendu.
En ce sens, on parlera, par exemple, de lois justes ou injustes, de la justice ou
de l'injustice de la décision du juge.Cette ambiguïté de la notion de justice explique sans doute l'ambivalence dont
elle semble affectée.
Contrairement aux autres valeurs, comme la vérité, ou encore la liberté, la justice est tout
autant réclamée que décriée.
Il peut sembler facile de lever l'ambiguïté, si l'on tient compte des deux sens du mot.
On dira alors que c'est au nom de la justice comme valeur qu'est critiquée la justice comme institution.Pourtant, les
choses ne sont pas aussi simples.
Certes, protester contre l'injustice d'une loi, c'est protester contre un ordre établi
au nom d'une idée de la justice qui lui est supérieure.
C'est, au nom du droit, prononcer contre un simple fait.
Mais
le juge qui prononce un jugement et dont on dit d'ailleurs qu'il rend la justice ne fait pas autre chose.
La justice,
comme institution, a pour fonction d'abord de dire le droit, puis de corriger l'injustice commise, de réparer un
dommage subi.
Dans tous les cas, qu'il s'agisse de la justice entendue comme valeur, ou de la justice entendue
comme institution, il y a refus de s'en tenir au fait accompli.
C'est toujours contre un ordre existant, qu'il soit
naturel ou institué, que la justice proteste.L'ambivalence signalée indique donc bien une difficulté, qui est celle de
trouver un critère du juste.
Qu'un individu soit condamné alors qu'il est innocent, conduit spontanément à penser que « c'est injuste ».
Cela
fait référence à deux aspects où l'idée de justice est impliquée.
D'une part, nous sommes émus, choqués ou
scandalisés par une telle situation, nous éprouvons un sentiment, et il nous semble que tout individu devrait être
affecté de la même manière, que c'est une question de conscience.
Mais c'est d'autre part, l'expression d'un
irrespect de la loi, en référence à un code juridique.Mais ce sentiment et cette institution judiciaire, à quoi se
réfèrent-ils ? Y a-t-il un critère du juste, dont le sentiment serait la manifestation subjective et les textes de lois
l'expression objective ? Ainsi, pour comprendre la notion de justice, nous devons nous interroger sur l'homme juste
et sur l'institution politique de la justice.
La vertu de justiceLa justice est une vertu cardinale, comme le courage,
la tempérance et la prudence, selon Platon.
Elle est même l'harmonie des trois autres.
En cela elle s'en distingue et
leur est supérieure.
De plus, elle n'a trait qu'aux rapports avec autrui, alors que les trois autres vertus s'exercent
aussi pour soi seul.En tant que vertu éthique (ethos = manière d'être), la justice est une disposition du sujet, c'està-dire un état habituel, stable, qui le fait agir, par choix délibéré, selon la droite règle.
Accomplir une action juste
involontairement lui ôte en effet de sa valeur.
Au contraire, l'homme juste obéit à la règle avec une intention droite
et de manière infaillible.Cette règle est la loi.
Or celle-ci, pour être juste, doit être édictée par la droite raison,
c'est-à-dire la faculté qui, dans la nature de l'homme, lui permet de connaître le principe qui préside à un ordre
juste.
L'homme seul est en effet capable d'accéder à l'idée d'ordre.
Mais comment décider que c'est la bonne et la
seule ?
a)
L'action juste et vertueuse.
Dans ce texte d'Aristote, vous trouverez un appui pour défendre la thèse selon laquelle la justice est une vertu :
Aristote, Ethique à Nicomaque, livre V.
« Comprenons donc en combien de sens se dit l'homme injuste.
On considère généralement comme étant injuste à la
fois celui qui viole la loi, celui qui prend plus que son du et enfin celui qui manque à l'égalité, de sorte que de toute
évidence l'homme juste sera à la fois celui qui observe la loi et celui qui respecte l'égalité (...).
Puisque, disionsnous, celui qui viole la loi est un homme injuste, et celui qui l'observe un homme juste, il est évident que toutes les
actions prescrites par la loi sont, en un sens, justes : en effet, les actions définies par la loi positive sont légales, et
chacune d'elles est juste, disons-nous.
Or les lois prononcent sur toutes sortes de choses, et elles ont en vue
l'utilité commune (...).
Mais la loi nous commande aussi d'accomplir les actes de l'homme courageux (par exemple, ne
pas abandonner son poste, ne pas prendre la fuite, ne pas jeter ses armes), ceux de l'homme tempérant (par
exemple, ne pas commettre d'adultère, ne pas être insolent), et ceux de l'homme de caractère agréable (comme de
ne pas porter des coups et de ne pas médire des autres), et ainsi de suite pour les autres formes de vertus ou de
vices, prescrivant les unes et interdisant les autres, tout cela correctement si la loi a été elle-même correctement
établie, ou d'une façon critiquable, si elle a été faite à la hâte.
Cette forme de justice, alors, est une vertu
complète, non pas cependant au sens absolu, mais dans nos rapports avec autrui.
Et c'est pourquoi souvent on
considère la justice comme la plus parfaite des vertus, et ni l'étoile du soir, ni l'étoile du matin ne sont ainsi
admirables.
»
Si on comprend bien ce texte, on comprend qu'est juste celui qui agit conformément à la loi.
Mais ce qu'il est décisif
de comprendre, c'est qu'il y a une condition qui rend « justes » les actions conformes à la loi : il faut que la loi ellemême soit juste.
Si les lois nous poussent à agir vertueusement (nous engageant par exemple à des actions
courageuses), alors agir conformément à la loi c'est agir vertueusement.
Toutefois, peut-on valider l'idée selon laquelle les lois sont intrinsèquement nécessairement juste ?
b)
Deux formes de justice.
La tragédie de Sophocle Antigone pointe d'une façon formidable l'opposition entre deux formes de justice : une.
»
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