La justice - Cours de philosophie (2)
Publié le 04/06/2023
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«
La justice - Cours de philosophie
La justice
Les enjeux de la notion – une première définition
La notion de justice désigne à la fois la conformité de la rétribution avec le mérite
et
le
respect
de
ce
qui
est
conforme
au
droit.
Cette
notion
est
donc
indissociablement morale et juridique.
Il serait possible de penser que l’un de ces deux
aspects prime sur l’autre et le détermine.
N’existe-t-il pas en chacun de nous un « sens de la
justice » qui nous rend apte à évaluer et juger les décisions et actions, ce sens de la justice
étant alors l’origine de la loi et du droit ? Cela est possible, mais on ne peut cependant
manquer de constater la diversité des pratiques de justice d’une région ou d’un pays à l’autre.
Pascal écrivait : « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
Nous sommes indignés
lorsque nous voyons nos « voisins » porter de graves atteintes à la justice et cela en toute
légalité (pensons par exemple à l’apartheid en Afrique du Sud) et, inversement, ceux-ci
peuvent condamner nos propres injustices.
En ce sens, le passage de la justice du plan moral
au plan juridique se caractériserait par son imperfection, par ses insuffisances.
Mais cela ne
signifie-t-il pas que la justice n’est pas une réalité donnée mais un idéal qui se conquière
patiemment et par la médiation des pratiques juridiques et politiques ? Il est sans doute
nécessaire de maintenir l’opposition du moral et du juridique, de la légitimité et de la légalité,
opposition sans laquelle la justice risquerait d’être réduite aux conventions, livrée aux
caprices des puissants ; mais opposition ne signifie pas exclusion ou indifférence ; ce sont les
relations (conflictuelles) de la morale et du droit qu’il s’agit de penser.
Nous allons présenter
dans ce cours différentes conceptions philosophiques de la justice, de l’Antiquité grecque
jusqu’au 20ème siècle et verrons notamment que l’opposition que nous avons établie ci-dessus
n’est pas une donnée intemporelle mais le résultat d’une longue histoire (nous développerons
plus spécifiquement dans le cours suivant la question du droit).
L’exigence de justice
« J’errai et je vis les larmes des victimes de l’injustice et ils sont
sans consolation, et du côté de l’injustice il y avait la force, et ils sont
sans consolation.
Alors je louais les morts qui étaient déjà morts, plus
que les vivants qui étaient encore en vie ; et plus heureux que les deux
autres, celui qui n’a pas encore été, et qui n’a pas vu l’iniquité qui se
commet sous le soleil.
» L’ecclésiaste.
Nous avons montré dans notre introduction qu’il était problématique de
s’appuyer sur l’idée d’un sens de la justice antérieur à toute incarnation politique.
Il est en
effet délicat de prétendre définir le contenu de la justice ad vitam eternam.
Cela n’empêche
cependant pas que l’on puisse évoquer la permanence d’une demande ou exigence de justice.
Celle-ci est liée d’emblée à l’injustice au sens d’un mal, d’un tort commis qui exige
réparation.
La justice a en ce sens un rôle cathartique ; elle doit rétablir l’ordre troublé,
perturbé, transgressé.
On peut ici penser à la tragédie grecque dans laquelle un tel « retour à
l’ordre » naturel s’exerce au détriment des individus (Œdipe par exemple) impuissants à
comprendre leur sort et entraîné par lui.
Cette première forme de justice est donc étrangère à
la compassion.
Elle indique bien plutôt que chacun a ce qu’il mérite ; elle répond à la loi du
talion : « œil pour œil, dent pour dent ».
Cette justice prétend à une « vérité », à une
objectivité, au-delà de toutes les conventions, apparences et hiérarchie sociale.
La justice dans l’Antiquité grecque
« La justice est une disposition d’après laquelle l’homme juste se
définit celui qui est apte à accomplir, par choix délibéré, ce qui est
juste, celui qui, dans une répartition à effectuer soit entre lui-même et
les autres, soit entre deux autres personnes, n’est pas homme à
s’attribuer à lui-même, dans le bien désiré, une part trop forte et à son
voisin une part trop faible (ou l’inverse, s’il s’agit d’un dommage à
partager), mais donne à chacun la part proportionnellement égale qui
lui revient, et qui agit de la même façon quand la répartition se fait
entre des tiers.
L’injustice, en sens opposé, a pareillement rapport à
ce qui est injuste, et qui consiste dans un excès ou un défaut de ce qui
est avantageux ou dommageable.
» Aristote, Éthique à Nicomaque.
Nous avons vu que la première conception de la justice était celle d’un « retour à
l’ordre », d’une réparation.
Cette conception s’enracine dans la pensée grecque dans laquelle
la justice est de l’ordre de l’univers et non seulement de l’homme.
Ce que transgresse celui
qui commet une injustice, ce n’est pas seulement une limite instituée par l’homme, c’est une
limite naturelle.
En ce sens, la justice à l’œuvre dans la cité est une partie de la justice
universelle.
Loi et nature sont ainsi intimement liées.
Les sophistes vont néanmoins briser
cette union en affirmant que les lois sont artificielles, qu’elles n’existent que pour assurer la
conservation de la communauté, la satisfaction de ses intérêts.
Or, comme ces derniers
peuvent être déterminés par les intérêts propres du tyran, la justice n’est plus que l’avantage
du plus fort.
Platon s’oppose aux sophistes en tâchant d’arracher la justice aux intérêts
particuliers, en l’instituant en absolu.
Il faut en défendre l’existence contre tous ceux qui
affirment que « personne n’est juste volontairement ».
Selon lui, les sophistes donnent du
plaisir au corps, mais le corrompent tandis que l’enseignement de la justice est comme la
médecine qui préserve la santé du corps.
La justice exige l’éducation des citoyens et le bon
gouvernement de la cité.
La justice dépend tout autant d’une bonne disposition de l’âme
(vertu) que de la bonne organisation politique.
C’est pourquoi dans La République, Platon
établit un parallèle entre la justice de l’âme et la justice politique.
La justice est en nous
comme elle est dans la cité ; elle est ce qui maintient chaque chose à sa place dans un ordre
gouverné par l’idée de Bien.
La cité idéale est composée de trois classes ayant chacune leurs
fonctions propres : les philosophes sont ceux qui dirigent ; les guerriers sont ceux qui
défendent la cité ; les artisans sont ceux qui procure le bien-être matériel.
Cette tripartition des
fonctions sociales correspond à une tripartition de l’âme de l’homme.
Celle-ci est divisée en
intelligence (noûs), cœur (thumos), appétit ou désir (épithumia).
Dans l’homme comme dans
la cité, la justice consiste dans l’équilibre des parties, chacune accomplissant son devoir.
Pour Aristote, la justice est également une vertu.
Plus précisément, c’est la vertu
de l’échange, c’est-à-dire de la relation aux autres.
La justice est « une disposition à accomplir
des actions qui produisent et conservent le bonheur, et les éléments de celui-ci, pour une
communauté politique.
» Conformément à la définition générale des vertus, la justice est un
juste milieu entre l’excès et le défaut dans l’échange entre les hommes.
Aristote distingue
la justice commutative (ou corrective) et la justice distributive.
La première vise à ce que
chacun perçoive l’équivalent de ce qu’il a donné dans ses transactions, elle repose sur
l’égalité.
La seconde vise à la répartition des avantages parmi les membres de la cité, elle
repose sur la proportionnalité suivant laquelle chacun reçoit selon son mérite.
La justice est donc pour les Grecs une vertu morale (notons que le mot « vertu »
signifie pour eux excellence ; il y ainsi des vertus qui ne sont pas morales mais intellectuelles,
etc.).
Elle occupe même parmi ces vertus une place tout à fait privilégiée.
Elle fait partie de ce
que, dans la pensée chrétienne (héritière de la philosophie grecque), on appellera les vertus
cardinales.
Ces vertus, ce sont la tempérance, le courage, la sagesse et donc la justice.
Mais
plus encore, cette dernière est la vertu qui réunit en elle toutes les autres en ce qu’elle est la
condition de l’harmonie entre les hommes.
De la justice au droit
« De même donc que le pêché et l’obéissance (au sens strict) ne
peuvent se concevoir que dans un État, de même la justice et
l’injustice.
Il n’y a rien en effet dans la nature que l’on puisse dire
appartenir de droit à l’un et non à l’autre, mais tout est à tous, c’està-dire que chacun a droit dans la mesure où il a pouvoir.
Dans un
État au contraire, où la loi commune décide ce qui est à l’un et ce qui
est à l’autre, celui-là est appelé juste, qui a une volonté constante
d’attribuer à chacun le sien, injuste au contraire, celui qui s’efforce de
faire sien ce qui est à un autre.
» Spinoza, Traité politique.
La pensée chrétienne fait sienne la conception grecque de la justice.
Saint
Augustin s’inscrit dans la tradition selon laquelle la justice est ce qui assure que chaque chose
soit à sa place dans un tout ordonné, élargissant cette tradition aux....
»
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