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La formule "à chacun sa vérité" fait-elle problème ?

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« Introduction Il arrive que les désaccords entre les hommes, tels qu'ils s'expriment par exemple sur le terrain moral, politique ou religieux, donnent l'impression d'une entente impossible.

Le recours, dans ces circonstances, à l'expression «à chacun sa vérité» ne veut alors pas seulement dire que chacun a le droit de penser ce qu'il veut mais que personne ne voit les choses de la même façon.

De sorte qu'il est normal que les hommes ne puissent pas s'entendre. Pourtant, à la réflexion, s'il était exact que chaque individu vivait dans son univers propre et que la vérité variait ainsi d'une personne à une autre, on ne pourrait plus s'expliquer cette fois que des hommes puissent partager des vérités communes.

Ainsi par exemple, qu'entre catholiques et protestants l'entente soit difficile ne doit pas occulter qu'à l'intérieur de chacune de ces religions un grand nombre d'individus reconnaissent les mêmes dogmes.

Comment cela serait-il possible si la vérité était toujours relative à chacun? Cette expression toute faite pose donc problème. La vérité est-elle une, indivisible et absolue ou bien est-elle relative? Et jusqu'à quel point? 1.

Vérité du scepticisme A.

L'idée de vérité absolue Si la vérité n'est pas le propre de chacun, c'est qu'elle est, sinon partagée par tous, au moins accessible à chacun. Tâchons de préciser ce que peut être cette vérité que tous pourraient partager et qui permettrait à certains non seulement de s'entendre partiellement ou provisoirement mais également, de manière plus profonde, sur un savoir universel.

Seule une vérité se rapportant à un réel indépendant du point de vue individuel de chacun peut garantir la possibilité d'un tel accord.

C'est ainsi que l'on peut déduire de la compréhension, en particulier linguistique, entre les hommes l'existence d'une vérité métaphysique qu'ils auraient en partage, qui résiderait au coeur de leur âme, au moins en puissance.

Il reviendrait à la philosophie d'accomplir le travail d'actualisation de cette vérité universelle sommeillant dans les esprits.

L'accord durable, universel, comme celui qui règne en mathématique, pourrait être le signe de cette vérité commune.

Ce sur quoi tous les hommes pourraient s'entendre devrait quoi qu'il en soit forcément se fonder sur une vérité absolue qui leur soit transcendante (qui les dépasse).

Mais un tel accord existet-il vraiment? B.

Relativité du vrai Les vérités universelles et immuables sont plutôt rares.

Les opinions des hommes sont variables et inconstantes. Leurs points de vue sont l'expression de leurs intérêts, de leurs passions, le produit de leur histoire individuelle ou collective.

Ce qui apparaît vrai à l'un, compte tenu de son intelligence, de sa sensibilité, de sa constitution sensorielle propre, n'apparaît pas forcément tel à l'autre.

L'expérience très individuelle et singulière que chacun fait de l'existence laisserait penser que chaque homme a sa conception du monde et ses vérités propres.

Il est vrai que des intérêts communs, des expériences ou des héritages partagés peuvent conduire des hommes à soutenir une même vision du monde.

Mais la vérité d'un groupe ou d'une tradition contredit celle d'un autre groupe ou d'une autre tradition et l'on retrouve à l'échelle des individus sociaux les mêmes raisons de désaccord et d'incompréhension que celles qui existent entre les personnes individuelles.

Ce sont donc toujours des points d'accord accidentels, souvent passagers, qui rassemblent des hommes dans l'illusion de posséder des vérités communes.

Et il est rare qu'avec le temps les communautés de pensée ne connaissent pas leurs hérésies, leurs schismes ou leurs révolutions culturelles. Comme si la fiction d'une vérité partagée ne pouvait jamais s'installer durablement en ce bas monde. 2.

La vérité comme production universelle A.

Les vérités ne sont jamais individuelles Pourtant, la thèse sceptique de l'individualité du vrai ne va pas de soi.

Selon cette tradition, la source de l'individualisation de nos vérités est l'expérience très subjective que nous faisons du monde et qui dépendrait essentiellement de notre constitution sensorielle et affective.

Il n'est toutefois pas évident que nos pensées dérivent de nos sens ou de notre sensibilité.

Et il est par ailleurs très difficile de rencontrer, parmi les hommes, des opinions vraiment singulières.

La pensée des hommes est un fait de culture et, indépendamment de tout phénomène de mode, l'individu le plus intelligent et original est nécessairement l'héritier intellectuel de son époque.

Les idées sont toujours communes.

Ce n'est pas en vertu d'un quelconque mimétisme que Leibniz (1646-1716) et Newton (1642-1727) ont découvert, presque en même temps, le calcul infinitésimal.

Sans contester que l'expérience qualitative, sensorielle et affective, que nous faisons de l'existence soit singulière, il est difficile d'admettre en revanche que ce vécu individuel se traduise, sur le plan des pensées, par la production d'un point de vue également unique et original. B.

Les conditions d'un accord universel Que les opinions soient toujours communes et grégaires n'exclut pas, pour la pensée, de pouvoir faire l'objet d'un accord universel.

Mais une vérité universelle n'est pas pour autant absolue.

En effet, une vérité n'est universelle que sous certaines conditions.

Par exemple, en géométrie, dans le cadre des principes d'Euclide, un certain nombre de théorèmes sont universellement valables.

Il suffit pourtant de raisonner à partir d'autres principes, dans des géométries non euclidiennes, pour que ces théorèmes cessent d'être vrais.

Ou encore, un énoncé empirique du type «il pleut» est jugé vrai dans la mesure où, compte tenu des usages linguistiques, le phénomène appelé «pluie» est celui qui se produit sous les yeux de celui qui formule cet énoncé.

Si, en face de la pluie, le sujet qui sait ce qu'est la pluie affirmait qu'il ne pleut pas, il contredirait son propre usage du terme de «pluie» ainsi que ceux de son groupe linguistique.

Le vrai est donc universel mais d'une universalité qui suppose toujours des conditions déterminées.

Ce qui est commun à toute vérité, par conséquent, c'est son caractère nécessaire: est vrai ce qui, sous certaines. »

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