La force de l'habitude
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Introduction
On peut noter pour commencer que l'habitude se distingue de l'instinct qui désigne une impulsion innée, inconsciente, poussant un
animal ou un être humain à se comporter d'une certaine façon (instinct de conservation, manger etc.).
L'habitude présente au contraire
l'acquisition de conduites par la répétition.
L'homme et l'animal ont la capacité de contracter de nouvelles habitudes leur permettant de
s'adapter à leur milieu.
Par ailleurs l'habitude de considérer la manière dont des choses ou des phénomènes se produisent procure à
l'homme une forme de certitude ; par exemple, à voir le soleil se lever tous les jours, l'homme en vient à penser qu'il est nécessaire que
le soleil se lève tous les jours.
L'habitude s'établit autant du côté de la théorie (on affirme la nécessité de tel effet relativement à
certaines causes) que du côté pratique (à force d'exercices on finit par intégrer des conduites et à les reproduire machinalement).
L'habitude ancre ainsi a fortiori le sujet humain dans des schémas de penser et d'agir ; mais n'y a t-il pas là, au regard du côté mécanique
de l'habitude, la marque d'un arrêt de la réflexion au sujet des savoirs acquis théoriques et pratiques ?
I.
L'éducation est le fruit de l'habitude.
a.
L'animal, le plus souvent régi par ses instincts, peut contracter des habitudes lorsqu'il est domestiqué par l'homme.
L'expérience du
psychologue Pavlov sur un chien en est la preuve.
Il commence par faire retentir une cloche (stimulation), et ensuite présente de la
nourriture.
Le chien comprend au final que lorsque la cloche retentit, c'est un appel de la nourriture, et celui-ci salive (réponse).
Ainsi,
même sans la présence de nourriture, à force de répétition, le son de la cloche (stimuli) fera saliver le chien (réponse).
C'est en
psychologie de l'apprentissage que Pavlov révèle cette association fondamentale dite « stimuli-réponse », notée S-R.
b.
Le philosophe grec Aristote a lui aussi considéré l'habitude comme l'acquisition de manière d'être.
L'éducation (en grec Paiedeia) est
largement le fruit de l'habitude.
Et c'est par l'expérience et le temps que l'habitude se forge, et forme
en l'individu des dispositions lui permettant d'être vertueux, et de vivre raisonnablement parmi les
hommes.
L'habitude ( hexis) chez Aristote, qu'il présente dans l' Ethique à Nicomaque, est une disposition
permanente caractérisant la vie pratique et morale de l'homme.
c.
Hegel caractérise l'habitude comme étant une « seconde nature » (Philosophie du droit, § 151).
Selon lui l'habitude est un élément essentiel de l'existence de l'esprit en l'homme.
L'habitude comme
processus d'intégration (de l'esprit dans la conscience) permet à l'homme d e se reconnaître
immédiatement à l'intérieur des conduites morales, religieuses etc.
L'habitude est bien une acquisition
par l'individu de règles de vie, lui permettant de vivre en société avec l'autre.
II.
L'habitude comme lieu d'illusions.
a.
Les hommes sont tellement le fruit de l'habitude qu'ils en viennent à agir ou à penser
mécaniquement, sans remettre en cause leurs dires et leurs actes.
L'habitude rend évidentes des
choses qui ne le sont pas forcément.
Bacon déjà, au 13 e siècle, dans son Œuvre majeure, dénonce cette
source d'erreur.
En effet, selon lui, l'habitude crée une foi aveugle en une autorité fausse, et conserve
donc ce qui est faux (préjugés de la foule, faux savoir derrière lequel s'immisce l'ignorance).
b.
Les grands principes physiques sont eux-mêmes le fruit d'une habitude pour l'empiriste
sceptique David Hume.
Les hommes s'attendent toujours à voir tel effet pour telle cause, puisque ce
sont des observations répétées qui les font penser que tout phénomène se produit nécessairement de
telle manière.
Par exemple, l'homme ne peut affirmer que le soleil ne se lèvera pas demain, alors que
cette croyance est absolument infondée.
Ainsi la foi en la science semble aussi régie par l'habitude que la foi religieuse.
Avec l'habitude,
l'homme tire du particulier des principes nécessaires et généraux.
Mais il y a des cas qui trompent les croyances : ainsi la fermière qui
nourrit tous les jours ses poules semble aimer ses bêtes.
Cependant on remarque après ce constat que c'était simplement pour les
manger.
III.
l'habitude est-elle un frein à la liberté ?
a.
Le sociologue P.
Bourdieu présentera (cf.
La distinction), avec le terme « habitus », les caractères innés et acquis en l'homme.
L'habitus est une incorporation des règles qui régissent tel ou tel « champ » social, que l'homme reproduit sans cesse.
Ainsi, il y a des
habitus différents selon qu'on est issu du monde ouvrier ou du monde bourgeois.
Chaque classe sociale a ses habitudes bien ancrées en
chaque individu issu d'elle.
L'habitus est un système de comportements permettant à chacun de se mouvoir « comme un poisson dans
l'eau » à l'intérieur de sa classe social.
L' habitus comprend donc une part d'inné (héritage culturel issu des parents) et une part d'acquis
(héritage culturel qu'on se forge soi-même).
D'où le fait que pour cet auteur un enfant de professeur aura plus de facilité à l'école qu'un
enfant d'ouvrier.
Chacun vit ainsi sans connaître ce qui le détermine réellement, et la liberté ne peut s'acquérir que si on connaît les
déterminations qui font qu'on soit ainsi.
b.
Il y a bien un côté mécanique de l'habitude qui aveugle l'homme, qui le pousse à agir sans qu'il soit conscient des causes qui le
font agir de telle manière.
L'habitude est un frein à l'intelligence intuitive.
Certes, l'homme a besoin de l'habitude (d'abord parce qu'elle
est toujours là présente en lui), mais elle l'empêche souvent de pouvoir facilement agir quand intervient l'imprévisible dans une situation
qu'il a l'habitude de maîtriser.
Bergson dira qu'en ces cas limites, où l'habitude est inutile, c'est l'intuition qui doit intervenir afin de
résoudre le problème posé.
Cette intuition est une forme de réponse immédiate à un danger immédiat.
Et ce n'est qu'à force d'intuitions que l'intelligence se forme, puisque le sujet en vient à avoir l'habitude
de réagir face à tel problème, et donc à être libre face à lui.
Conclusion
On a vu que l'habitude est un moyen pour l'homme de se reconnaître dans les phénomènes qui
structurent le monde.
Elle peut se forger en l'homme à tout moment, à force de se pencher sur tel type
de situation.
Et cette maîtrise réelle est ce qu'on nomme communément la « force de l'habitude ».
Mais
on voit aussi qu'elle marque une forme d e contrainte en l'homme, puisque celui-ci, régi par des
mécanismes totalement intégrés, en vient à ne plus comprendre ce qui lui arrive quand il est confronté à
une situation inédite.
Dès lors, l'habitude est certes nécessaire, mais elle n'est pas suffisante, car bien
qu'elle se trouve dans toutes les sphères de l'existence (théorique, pratique), de nouveaux problèmes
surviennent inévitablement, et le seul acquis ne peut prétendre les résoudre par ses seuls moyens..
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