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La fonction sociale fait-elle l'homme ?

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« Termes du sujet: HOMME: Le plus évolué des êtres vivants, appartenant à la famille des hominidés et à l'espèce Homo sapiens (« homme sage »). • Traditionnellement défini comme « animal doué de raison », l'homme est aussi, selon Aristote, un « animal politique ».

Ce serait en effet pour qu'il puisse s'entendre avec ses semblables sur le bon, l'utile et le juste que la nature l'aurait pourvu du langage. [Introduction] La société contemporaine n'en finit pas d'offrir en spectacle des individus (sportifs, grands patrons de multinationales, « vedettes » du spectacle ou des médias) dont la fonction sociale entraîne une visibilité maximale, et peut exercer une incontestable fascination sur pas mal de gens moins « haut placés ».

Ces réputations vont de pair avec une idéologie diffuse qui répète volontiers que le plus important dans la vie est d'avoir une bonne situation, de gagner de l'argent, de s'offrir des voitures luxueuses ou des vacances dans une île lointaine, etc.

Au point que s'établit subrepticement l'idée selon laquelle la fonction sociale fait l'homme, c'est-à-dire qu'un individu peut ou doit être estimé relativement au statut qui est le sien dans la société.

Il vaut la peine d'examiner si une telle « idée » est fondée, ne serait-ce qu'en raison de sa diffusion. [I.

Fragilité de la fonction sociale] Les Romains avaient l'habitude de rappeler à certains de leurs gouvernants que la roche tarpéienne était très proche du Capitole : façon de leur mettre en mémoire que les plus grands honneurs ne protégeaient pas d'une éventuelle chute...

L'actualité contemporaine n'en finit pas de nous fournir des illustrations de ce principe : tel dirigeant industriel, à peine chassé de son poste, se trouve traité par les médias – qui jusqu'alors encourageaient plutôt à l'applaudir – comme un individu finalement assez peu recommandable ; tel footballeur, après avoir atteint le sommet de sa carrière, doit affronter les lazzis de ses anciens supporters déçus.

C'est, à chaque fois, une reprise, à tonalité plus ou mois dramatique,- de « plus dure sera la chute ».

Le prestige qui s'attachait à des fonctions socialement valorisantes (et il ne s'agit pas même pour l'instant de savoir si cette valorisation était justifiée) disparaît du jour au lendemain, et la «valeur» que l'on attribuait à la personne qui en bénéficiait fait de même. Ce que l'on a qualifié de « société du spectacle » ne fait qu'augmenter le phénomène : si la réputation d'un individu dépend de son métier et du statut auquel il a accédé, elle s'étend d'autant plus auprès du public qu'elle est effectivement « spectaculaire », et relayée par les divers médias.

Une émission de télévision pas trop ennuyeuse fait désormais davantage pour la notoriété d'un chercheur que les années de travail qu'il a passées dans son laboratoire : cela pourrait sembler peu regrettable si cette notoriété sanctionnait à coup sûr des existences vouées à des travaux qui concernent l'ensemble du corps social, mais le problème est qu'elle concerne aussi des individus qui n'ont comme seule qualité que leur photogénie, ou le fait de passer « à la télévision »...

Ainsi se réalise progressivement une prédiction d'Andy Warhol sur la possibilité, pour chacun, de connaître son « quart d'heure de gloire ». Cette « gloire », gagnée grâce à une vague opinion, est nécessairement fugace, car l'opinion est évidemment versatile, et avide de découvrir la célébrité suivante.

Mais le plus grave n'est peut-être pas là : il est dans l'inégalité entre les hommes qu'implique la notoriété suscitée par certaines fonctions sociales.

Ces dernières, en effet, définiraient une humanité « supérieure », tandis que les hommes qui n'y ont pas accès ne constitueraient qu'une humanité en quelque sorte au rabais. [II.

Avertissements de Rousseau] C'est déjà ce que déplorait Rousseau dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, en soulignant à quel point les différences de richesse et de pouvoir produisent à long terme, non seulement des différences dans la « valeur » que l'on reconnaît aux individus, mais, plus généralement, une véritable aliénation de l'être humain, qui se repère désormais par ses apparences ou son avoir, et non plus par son être authentique.

« L'homme moderne, écrit-il, vit toujours hors de soi » ; il est en quelque sorte décentré, ne se retrouvant précisément que dans ses fonctions sociales et dans le prestige qui leur est attaché, et condamné à méconnaître ce qui le constitue vraiment. L'évolution ultérieure de la société, avec l'industrialisation, tout entière orientée vers la production de biens, puis le passage à l'idéologie de la consommation, n'a fait qu'empirer le phénomène, s'il est vrai que consommer un maximum de choses favorise ce que le sociologue Pierre Bourdieu nomme la « distinction ».

Entreprendre de « se distinguer » des autres hommes, c'est vouloir, par quelque moyen que ce soit, s'en séparer et leur imposer des indices de « supériorité », ne serait-ce que symbolique.

Dans cette optique, la fonction que l'on remplit socialement s'accompagne rapidement de signes perceptibles : le patron n'habite pas le même quartier que les ouvriers, il possède une voiture de grosse cylindrée, ses vêtements proviennent d'autres faiseurs que ceux de ses subalternes, etc.

L'apparence est ainsi acquise grâce à la fonction, et elle la confirme en retour.

Du coup, les hommes ne peuvent se sentir égaux, non seulement du point de vue économique, mais bien dans leur définition ou leurs possibilités, dans ce à quoi ils peuvent avoir accès, et donc dans ce qu'ils ressentent comme leur liberté.. »

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