La fin de l'art est-elle la vérité ?
Extrait du document
«
Position réaliste
•
Faisant sienne la définition aristotélicienne de l'art comme imitation de la nature, le réalisme naïf voit dans la
conformité de l'oeuvre d'art à son modèle sa vérité et sa finalité.
Une longue tradition va s'efforcer, en s'appuyant sur l'autorité d'Aristote
dans la « Poétique », de montrer la légitimité de l'imitation en particulier et
de l'art en général.
Aristote ne conteste pas que l'art soit imitation, mais il
réhabilite l'imitation comme « naturelle », c'est-à-dire vraie.
L'art n'est pas pour lui ignorance ou tromperie, mais une activité conforme à
la « nature ».
Le mot « naturel » se trouve constamment répété dans le
passage de la « Poétique » (1448 b) où l'origine de la poésie se trouve
rapportée à deux causes « naturelles » « La poésie semble bien devoir son
origine à deux causes, et deux causes naturelles.
Imiter est naturel aux
hommes [...
] Il est naturel de prendre plaisir aux imitations [...
]» L'art
émerge d'une spontanéité naturelle pré-artistique: de là il produit une sphère
qui lui est propre et qui n'est nullement inférieure à la nature.
Car la formule
célèbre de la Physique: « L'art imite la nature », ne signifie pas que l'art doive
reproduire la nature, la copier, mais qu'il est capable de rivaliser avec elle, de
produire comme elle.
L'imitation artistique constitue un mode de production
autonome, analogue à la productivité créatrice de formes de la nature.
« L'art
imite la nature » veut dire que produisant comme elle, il est même capable
d'aller au-delà d'elle et d'accomplir ce dont la nature serait incapable.
De plus, Aristote ne limite pas l'imitation à une représentation de ce que les
choses sont.
Il est tout à fait légitime d'imiter aussi ce que les choses semblent être, le vraisemblable, et même ce
que les choses devraient être, l'idéal.
L'imitation « réaliste » n'est qu'une des trois manières fondamentales d'imiter :
«Puisque le poète est imitateur tout comme le peintre et tout artiste qui façonne des images, il doit toujours
nécessairement adopter une des trois manières d'imiter : il doit figurer les choses ou bien telles qu'elles furent ou
sont réellement, ou bien telles qu'on les dit et qu'elles semblent, ou bien telles qu'elles devraient être » (1460 b 7).
Il est légitime, dit Aristote, que tel peintre, Zeuxis par exemple, ait peint les hommes plus beaux qu'ils ne sont, car
la ressemblance n'exclut pas l'embellissement.
À plusieurs reprises l'imitation est associée avec l'invention : « Ce
n'est pas de raconter les choses réellement arrivées qui est l'oeuvre propre du poète, mais bien de raconter ce qui
pourrait arriver » (1451 a 9).
Ainsi il y a un possible artistique qui tient à la cohérence de l'imitation, à sa logique
interne, à sa généralité (qui fait que « la poésie est plus philosophique que l'histoire » parce qu'elle s'intéresse
davantage au général qu'au particulier).
L'art doit «imiter » mais sans se soumettre à une exactitude factuelle, d'où
la célèbre règle de la vraisemblance: « Il faut préférer l'impossible qui est vraisemblable au possible qui est
incroyable » (1460 a).
Aristote est le premier philosophe à analyser la nature du plaisir esthétique.
Ce plaisir implique pour lui une relation de connaissance: c'est une
satisfaction née de la reconnaissance de l'objet imité.
« On se plaît à la vue des images parce qu'on apprend en les regardant et qu'on en déduit
ce qui représente chaque chose, par exemple parce qu'on identifie telle figure avec telle personne » (« Poêtique », 1448 b).
Le plaisir esthétique,
naturel, universel, et partant légitime tient à ce que l'oeuvre d'art appelle un raisonnement (implicite ou explicite) qui nous fait comparer le portrait
à son modèle.
Peu importe que l'objet représenté soit beau ou laid, ce qui nous charme, c'est de retrouver intellectuellement cette relation
mimétique entre l'art et la nature.
Contrairement à Platon, l'art n'est pas, de ce fait, ignorance, mais élargissement de la connaissance.
« Nous
éprouvons naturellement du plaisir devant les imitations de la peinture, de la sculpture et de la poésie, et en présence de chaque objet fidèlement
représenté, même si cet objet n'est pas attrayant en lui-même.
En ce cas nous n'éprouvons pas de plaisir par ces choses mêmes, mais parce que
nous les identifions par une sorte de raisonnement syllogistique et accroissons de la sorte notre connaissance » (1 971 b 4).
Le plaisir esthétique
n'est pas une sensation, ni une illusion, c'est la satisfaction qui accompagne le jugement par lequel nous découvrons la conformité, la
ressemblance entre l'oeuvre et ce qu'elle représente.
Malgré cette légitimation, suivie de bien d'autres, la condamnation platonicienne réapparaît à maintes reprises dans
la culture occidentale, mais plutôt sous la forme d'une suspicion ou réprobation morale qui englobe l'art, les artistes
et leur mode de vie prétendument dissolu.
Ainsi en Angleterre le puritanisme obtient en 1642 la fermeture des
théâtres.
Ainsi encore il faut rappeler que l'institution de la censure est extrêmement ancienne et persistante: elle
existait déjà à Athènes, fut exercée Par l'Église et Plus tard organisée par Richelieu en appareil d'État.
On se
souvient du procès de Flaubert pour « Madame Bovary » (il fut acquitté) et de celui de Baudelaire pour « Les
Fleurs du Mal » (il fut condamné).
Si aujourd'hui la censure théâtrale a cessé de s'exercer, une censure
cinématographique continue de fonctionner sous le sempiternel prétexte de la protection de la jeunesse contre le
vice, l'indécence, la débauche et le crime.
Mis à part le problème de la liberté de la création, et celui d'une moralité
publique défendue par l'État, la question que pose l'existence de la censure est celle-ci: l'art doit-il être édifiant ?
N'est-il autorisé à montrer le mal que s'il présente aussi sa défaite ? La morale peut-elle légiférer sur l'art et le
dénoncer comme immoral et dangereux ? Platon était plus radical: dans les « Lois », il n'admet dans la cité idéale
en fait de musique et de poésie que celles qui soient imitation de la vertu et du bien.
•
Mais une oeuvre d'art n'est jamais objective, sa « vérité » procédant toujours d'un illusionnisme fondé sur.
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