La faute résulte-t-elle de l'erreur ?
Extrait du document
«
Une faute consiste toujours en un acte qui n'est pas conforme au bien, qui est donc considéré moralement comme un mal.
Qu'appelons-nous le « mal » ? Ce
terme peut désigner la douleur (mal physique), la faute (mal moral) ou encore l'imperfection, la limitation (mal métaphysique).
On condamne surtout le mal
accompli par l'homme quand on estime qu'il a été volontaire : celui qui vole de manière préméditée, et non sous le coup d'une impulsion subite, choisit de
voler.
Mais peut-on vraiment dire qu'il veut le mal ? Ne vise-t-il pas plutôt un bien : celui de s'enrichir ? C ertes un voleur sait que le vol constitue une
agression d'autrui, donc un mal pour la victime du vol.
Mais le mal infligé à autrui est envisagé comme l'envers nécessaire d'un enrichissement personnel.
C 'est pour ainsi dire un mal nécessaire.
Dans ces conditions, on peut considérer avec Épictète que celui qui vole agit en vertu d'une conception erronée du
bien.
Il se trompe en croyant par exemple que c'est un bien pour lui de s'enrichir.
Sa faute n'est alors qu'une erreur.
Mais les actions de l'homme sont-elles toujours motivées par la représentation d'un bien ? Quand un homme agit mal, vise-t-il forcément un bien, ne seraitce que son bien ? Ne peut-il pas être animé par une pure volonté de faire le mal ? On pourrait certes penser que celui qui cherche par exemple à faire souffrir
autrui tire une jouissance sadique de cette souffrance, de sorte que c'est toujours son bien qu'il recherche à travers la douleur de l'autre.
Mais peut-on
complètement écarter la possibilité d'une pulsion destructrice qui viserait la réalisation du mal pour lui-même, aussi bien dans l'agression de l'autre que
dans la négation de soi-même ? N'existe-t-il pas en l'homme une tendance à faire le mal pour le mal et non pour le bien qu'il peut rapporter ? Dans la
perspective des philosophes de l'A ntiquité, une telle disposition au mal est proprement inconcevable.
À l'époque moderne, seule la figure imaginaire du
diable incarne, dans l'horizon de la culture chrétienne, la possibilité perverse du mal gratuit.
Pourtant la fréquence de conduites humaines agressives et
violentes ne témoigne-t-elle pas d'un penchant destructeur en l'homme ? Il y a certes chez celui qui déchaîne sa haine contre l'autre une jouissance.
Mais il
n'est pas sûr que ce soit en vue de cette satisfaction personnelle que l'acte sadique est entrepris.
La poussée aveugle vers le mal n'est pas forcément
l'envers de la recherche d'un bien.
C ette remarque peut d'ailleurs s'appliquer à toute pulsion ou impulsion passionnelle : un acte subi, accompli sous le coup d'un élan involontaire, n'est
finalisé par aucune représentation.
Même si son accomplissement s'accompagne de plaisir, ce n'est pas la recherche de ce plaisir qui l'a motivé.
Par
conséquent, toute les conduites passionnelles, par nature aveugles, représentent des objections à la thèse stoïcienne d'après laquelle la faute résulte
forcément d'une erreur.
Les passions ne recherchent pas le bien, mais ne sont que des impulsions aveugles.
Position de la question.
« Omnis peccans est ignorans, P ersonne n'est méchant volontairement, Qui commet une faute le fait toujours par ignorance », ces
formules qui ont eu cours chez les philosophes anciens, notamment chez les Stoïciens, et que DESCA RTES a, en partie, reprises lorsqu'il écrit au début du
Discours de la Méthode : « Il suffit de bien juger pour bien faire », identifient la faute et l'erreur.
Peut-on accepter cette thèse ?
I.
En quel sens la faute est une erreur.
Tout acte moral implique un jugement de valeur, une prise de position sur ce qui est bien et sur ce qui est mal.
En un sens, l'acte immoral, la faute
impliquent donc une erreur de jugement, puisqu'ils consistent à adopter, à faire nôtre (donc, à traiter comme bonne) une conduite qui, en réalité, est
mauvaise.
De fait, il est certain que bien des pratiques, qu'en général nous réprouvons aujourd'hui comme immorales ou injustes : l'infériorisation de la
femme, de l'homme de couleur, des classes pauvres, l'ordalie ou la torture employées comme moyens d'enquête, etc., reposaient sur des préjugés, c'est-àdire sur des jugements faux.
II.
Réserves à faire sur la thèse proposée.
La thèse selon laquelle toute faute est une erreur ne doit cependant pas être acceptée sans réserves.
Elle repose, à vrai
dire, sur un postulat commun aux doctrines stoïcienne et cartésienne, à savoir que le jugement — et principalement
l'assentiment qu'il enveloppe — dépend essentiellement de la volonté, laquelle est souveraine.
L'erreur, selon
D E S C A RTES, vient de ce que cette volonté, qui est sans limites, tranche la question avant que notre entendement soit
pleinement éclairé, avant qu'il soit en possession d'une idée claire et distincte de la vérité.
A .
— Remarquons d'abord qu'en admettant cette conception de l'erreur, on pourrait aussi bien retourner la thèse que
nous discutons et dire qu'au fond toute erreur est une faute, puisque la volonté, au lieu de suspendre le jugement comme
elle le devrait en pareil cas, passe outre et tranche la question prématurément.
L'erreur tient alors à la « précipitation ».
Mais la précipitation n'est-elle pas un manque de patience, de probité intellectuelle ou de courage dans la recherche de
la vérité ?
Le statut de l'erreur chez DESCARTES
A .
La véracité divine
Dieu exist e ; or il n'est suje t à aucune imperfection ; donc il ne pe ut être trompeur, puisq ue vouloir tro mper impliq ue
nécessairement quelque faiblesse ou malice.
Je puis donc avoir confiance, pour atteindre la vérité, dans le témoignage
de mes facultés intellectuelles, qui ont été créées par Dieu.
Pourta nt, je me trompe.
Comment c ela est-il possible ? C ela ne peut venir de mes facultés, mais seulement du
mauvais usage que j'en fais lorsque je juge du vrai et du faux.
Il ne peut en effet y avoir de v érité, donc aussi de fausseté, que dans le jugement, qui est l'acte de rapporter une idée
à une chose en affirmant que l'une est conforme à l'autre.
Deux facultés concourent au jugement : l'entendement,
réceptif, qui conçoit les idées, et la volonté, active, qui leur accorde librement son assentiment.
Se tromper consiste à affirmer à tort la vérité d'une idée (le
dauphin est un poisson, le soleil est grand comme une assiette).
B.
La volonté et le jugement
C 'est do nc la volonté qui ca use l'erreur e n donnant son as sentiment à une idée qui n'est p as évidente.
En v oici la raiso n : mon entendement e st borné,
fini, ne saisit pas tout avec clarté, alors que ma volonté est infinie, peut s'étendre à tout, tout vouloir, tout affirmer.
Emportée par son élan, elle dépasse les
limites de l'entendement, et affirme des choses que celui-ci n'entend pas.
Il faut dire « faut e », c ar la v olonté es t libre , pleinement en mon po uvoir.
Je suis responsab le de mes affirmations.
Pourtant, devant l'évidence, il ne
semble pas qu'il soit en mon pouvoir de refuser mon assentiment.
C oupable lorsque je me trompe, suis-je sans mérite quand je dis vrai ? La question
demande examen.
B.
— A u reste, le postulat en question est lui-même discutable.
En admettant même que toute faute repose sur un jugement faux, il faut bien reconnaître que
ce jugement est loin d'être toujours explicite et volontaire.
Nos jugements ne dépendent pas de la volonté seule, mais d'une quantité de facteurs :
tendances, sentiments, passions, préjugés sociaux, etc., qui souvent le troublent et le pervertissent.
C .
— Enfin, il y a des cas où nous voyons de façon suffisamment claire où est le bion et où nous n'avons pas le courage de le faire.
Comme l'a dit le poète
latin Ovide dans un vers célèbre : « Je vois le bien et je l'approuve ; et pourtant je fais le mal.
» Il y a des fautes qui sont, non pas des erreurs, mais des
lâchetés.
Conclusion.
Dans l'absolu, on peut dire que toute faute est une erreur, puisqu'elle affirme pratiquement un jugement de valeur qui est faux.
Mais, en réalité et
psychologiquement, nos fautes morales peuvent dépendre de bien d'autres causes que d'une défaillance de l'intelligence..
»
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