La différence sexuelle est-elle fait de nature ou de culture?
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Introduction
Il ne semble pas pensable de nier la différence – si manifeste physiologiquement – qui sépare l'homme de la femme.
Depuis sa fondation révolutionnaire
jusqu'à nos jours, notamment lors des débats récents sur le « Pacs », la République française elle-même intègre dans son idéologie la notion de différence
des sexes comme une évidence fondée naturellement.
Celle-ci doit primer sur le concept d'« universalisme républicain » (sur la volonté commune de
construire un espace politique universel) - quitte à se traduire, concrètement, par le maintien des discriminations.
C 'est donc affirmer que toute culture, tout
pouvoir public, dépend, dans son essence comme dans sa réalité, de cette reconnaissance préalable d'une différence purement naturelle.
C'est sans doute sur ce point qu'un problème philosophique majeur se poset.
Au sein du monde animal, les rapports entre sexes sont fixés et régis par une
immédiateté instinctive, naturelle.
Mais ces mêmes rapports, appliqués à l'espèce humaine, montrent, dans son histoire, des évolutions, des changements,
voire des crises.
Le statut respectif d'« homme » et de « femme » pose alors problème philosophiquement.
En effet, la différence sexuelle prise comme fait, à première vue, purement et simplement naturel, n'est-il pas influencé, « cultivé », voire transformé,
dès qu'il concerne l'espèce humaine ?
La notion même de différence entre les sexes s'établit-elle à partir d'un seul et même ordre de réalité ?
I.
Une culture de la différence
Notre actualité a, depuis longtemps, mis à nu les illusions et les mythes qui entouraient la question de l'origine des sexes.
Le
« mythe d'Aristophane » (Cf.
Platon, Le Banquet, discours 4), exposant le triple genre (mâle, femelle, androgyne) caractérisant
une espèce (chaque être était double et d'un genre particulier : il avait deux têtes, quatre bras et jambes sur un même corps rond
qui était donc composé soit de deux hommes, soit de deux femmes, soit d'une femme et d'un homme) qui allait engendrer
l'espèce humaine (après que chacun de ces êtres furent séparés, en guise de sanction divine, pour les avoir provoqué), est
aujourd'hui simple objet de métaphore amoureuse.
Nous ne désignons plus non plus – comme il était d'usage dans un Moyen Âge
niant la spiritualité féminine – une jeune femme par l'injurieux mot « garce », bien que l'histoire de l'humanité soit riche des
différents noms que les sexes reçoivent successivement.
Paradoxalement, l'histoire de l'humanité tend à montrer que le statut de la différence sexuelle est intimement lié au processus
culturel humain.
Admettons même que la culture n'est pas pensable indépendamment de l'exigence spirituelle fondatrice :
l'arrachement à un état dit naturel (voire pulsionnel selon Freud dans Malaise dans la culture).
Notre civilisation représente en ce
sens un effort de définition culturelle de la différence sexuelle, par répression des instincts primaires qui régissent les rapports
homme/femme.
L'interdit sexuel (l'inceste) est même cet « invariant universel » (Cf.
Lévi-Strauss, Race et histoire) qui
caractérise cette conscience de la différence sexuelle par la culture humaine.
Notons simplement que toute pensée d'une
différence des sexes est dépendante de l'espace culturel dans lequel elle intervient.
L'animal ne pose en effet pas, le végétal
encore moins, la question de la différence sexuelle ; il la vit.
Celle-ci serait donc le propre de l'humain, comme conscience cultivée.
II.
Réalité originelle de la différence sexuelle
La différence des sexes se manifeste, nous l'avons signalé, physiologiquement, dans l'ordre du vivant (mâles et femelles n'ont pas les mêmes corps).
C'est
donc affirmer l'origine naturelle de cette différence si on en reste à ce niveau d'observation immédiate.
Seulement cette différence n'apparaîtra plus de la
même manière dans l'ordre culturel de l'espèce humaine : la loi, la codification évolutive des rapports entre les sexes, les vêtements, le maquillage, les
discriminations...
viennent s'ajouter aux dissemblances premières, naturelles.
La culture joue donc un rôle sur le statut accordé humainement à cette
différence des sexes.
Avec les débats modernes sur le statut de la femme, sur la parité et donc sur l'homme aussi, c'est même un effacement des
différences naturelles et une répression des pulsions sexuelles qui est exigé par l'effort croissant de civilisation humaine.
Rien ne met plus en exergue cette
évolution que la récente mode vestimentaire dite « unisexe ».
Malgré tout cette mode n'existe que parce qu'elle suppose cette différence qu'elle souhaite
englober.
Nous dirons alors qu'au contact de la culture, la différence sexuelle se transforme en rapports de sexes/genres.
Lévinas a repensé, de manière significative, l'essence de cette différence des sexes.
La femme est comprise, par Lévinas, comme « différence essentielle »,
et non pas différente.
Elle est, respectée dans sa différence essentielle, l'indice même de l'effort culturel humain que clame fort le mouvement féministe :
« La différence des sexes n'est pas non plus la dualité de deux termes complémentaires, car deux termes complémentaires supposent un tout préexistant.
Or, dire que la dualité sexuelle suppose un tout, c'est d'avance poser l'amour comme fusion.
Le pathétique de l'amour consiste dans une dualité
insurmontable des êtres.
C'est une relation avec ce qui se dérobe à jamais.
La relation ne neutralise pas ipso facto l'altérité, mais la conserve.
Le pathétique
de la volupté est dans le fait d'être deux.
L'autre en tant qu'autre n'est pas ici un objet qui devient nôtre ou qui devient nous; il se retire au contraire dans
son mystère.
Ce mystère du féminin – du féminin, autre essentiellement – ne se réfère pas non plus à quelque romantique notion de la femme mystérieuse,
inconnue ou méconnue.
Si, bien entendu, pour soutenir la thèse de la position exceptionnelle du féminin dans l'économie de l'être, je me réfère volontiers aux
grands thèmes de Goethe ou de Dante, à Béatrice et à l'Ewig Weibliches, au culte de la Femme dans la chevalerie et dans la société moderne (qui ne
s'explique certainement pas uniquement par la nécessité de prêter main-forte au sexe faible), [...], je ne veux pas ignorer les prétentions légitimes du
féminisme qui supposent tout l'acquis de la civilisation.» (Le temps et l'autre, IV, l'Éros)
Ce propos nous amène donc à envisager la différence sexuelle comme fait éminemment culturel puisque c'est la culture elle-même qui devra, pour être
reconnue comme telle, être fondée sur la reconnaissance réciproque et respectueuse des identités sexuelles.
Cependant la notion même d'identité sexuelle
est aujourd'hui vacillante (drag queens, transformisme, transsexualité, hermaphrodisme, androgynie...).
Reconnaissons donc ultimement le pouvoir de jeu,
de transformation et d'évolution du donné naturel, propre à la culture humaine.
Conclusion
La différence sexuelle se constate naturellement comme évidence, mais dans l'espace culturel elle ne cesse d'être continuellement redéfinie par les
moeurs, les tendances, les crises d'identité sexuelle.
L'homme et la femme, compris dans leurs rapports et statuts sociaux, ne se réduisent pas à la
simpliste distinction mâle/femelle.
S'il y a une différence essentielle entre homme et femme, sa manifestation physiologique, sexuelle, n'en est qu'un trait, effectivement dépassé par le
jeu de la culture humaine et de ses tendances multiples et mouvantes.
La science ne nous permet pas encore, d'ailleurs, d'affirmer quelque
déterminisme (génétique, biologique) naturel sur l'origine de la différence sexuelle..
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