La démocratie peut-elle échapper à la démagogie ?
Extrait du document
«
« Il n'est que deux façons de gouverner les hommes, disait Rudyard Kipling : casser les têtes ou les compter.
» L'antithèse est
classique et l'on oppose traditionnellement l'autorité despotique de l'autocratie à la liberté rationnelle de la démocratie.
Mais à côté de
l'extrême tyrannie, au-delà d'une démocratie organisée, au-dessous de la réglementation logique d'un Etat libre, se situe au plus bas
degré d'un gouvernement, l'anarchie totale de la démagogie.
L'opposition est nette entre la démocratie et la démagogie : ce sont là
deux formes de gouvernement qui reposent sur le peuple.
Mais tandis que l'une s'efforce d'instaurer un ordre juste, l'autre compose
avec une réalité où l'injustice règne en maîtresse.
Nous allons nous efforcer de montrer ici que la démocratie peut et doit vivre sans
tomber dans l'excès de la démagogie.
1.
LA DÉMOCRATIE SANS DÉMAGOGIE.
1.
Dès les premiers efforts des philosophes grecs pour fonder en raison un régime démocratique, on note la volonté de maintenir la
république hors des atteintes de l'anarchie démagogique.
C'est ainsi que dans la République de Platon, la hiérarchie des classes
sociales manifeste le refus de céder au peuple des droits dont il ferait un mauvais usage.
Ce n'est pas mur rien que la République est
sous-titrée : de la Justice ; et que l'on se réfère à la Politique d'Aristote ,u à la République de Jean Bodin au De Cive de Hobbes ou au
Tractatus Theologico Politicus de Spinoza, l'on se trouve en présence de grandes oeuvres dont le principe directeur reste toujours celui
du triomphe de la liberté politique sur la licence anarchique.
2.
La dialectique entre licence et liberté nous fournit concrètement le moyen de démarquer, de discriminer la vraie démocratie de son
double.
Montesquieu, dans l'Esprit des Lois, insistait sur la nécessité de la vertu en démocratie, comme sur celle le l'honneur en
monarchie ; le critère de la démocratie, c'est, de toute évidence, la volonté de désintéressement, la nécessité de rester pur.
On ne
.este pas en démocratie avec les mains sales.
3.
Mais la démocratie ne peut se maintenir entre es limites strictes d'une vertu intraitable, que dans [a mesure où la séparation des
pouvoirs est totale : seuls les régimes où l'exécutif, le législatif et le Indiciaire restent indépendants les uns des autres permettent le
libre jeu de la vraie démocratie.
2.
LA DÉMOCRATIE COMME DÉMAGOGIE.
1.
Jules Grévy inaugurant une année le Salon demanda au Comité d'organisation comment il était cette année-là.
«Une bonne
moyenne », lui répondit-on.
Une bonne moyenne ! excellent ! », dit le Président en se frottant les mains, « c'est ce qu'il faut en
démocratie.
»
Le pire danger pour une démocratie, c'est précisément de tomber dans le refus des meilleurs, le mépris de l'élite, l'auto-défense contre
les valeurs.
Les démocrates athéniens du Ve siècle avaient accoutumé de dire : « Que nul d'entre nous ne soit le meilleur ! sinon qu'il
s'en aille ! » C'est ainsi qu'ils chassèrent Solon.
2.
Le gouvernement démocratique, refusant d'imposer des solutions à longue échéance qui risquent d'être mal accueillies par la masse,
subsistent en temporisant, en adoptant des mesures provisoires, palliatives, d'un opportunisme que l'on pourrait qualifier d'attentiste.
Ainsi, la première république française devait tomber du Charybde terroriste dans la Scylla thermidorienne.
Ou bien la république de
Cromwell ou encore la démocratie de la seconde république française, devaient peu à peu sombrer dans le césarisme le plus
démagogique, par absence de courage.
3.
Aussi les ennemis de la démocratie comme les Machiavel (Il Principe), les Gobineau, les Maurras, ont-ils beau jeu de dire que la
République n'est jamais viable et qu'elle fait opprimer l'élite par la masse.
La collectivité de ces « peuples troupeaux » dont parle
Nietzsche, de ces « peuples serfs », soumis au déterminisme des trois M (milieu, moment, mode), fait triompher les « moutons » sur
les « lions » : dès lors, toute démocratie se veut démagogie.
Rien ne peut l'empêcher de suivre sa pente fatale (cf.
: le Calliclès du
Gorgias ou le Thrasymaque de la République de Platon.)
3.
LA DÉMOCRATIE COMME ANTIDÉMAGOGIE.
1.
Il faut suivre sa pente, disait André Gide...
pourvu qu'elle monte ! La vraie pente de la démocratie ne va pas vers mais contre
le courant démagogique.
La démocratie n'est pas le plus facile, mais le plus exigeant des régimes : plus on donne aux hommes
de liberté, plus il est difficile de savoir s'en servir.
C'est ainsi que la démocratie devra plus encore se défendre contre elle-même,
que se garder de ses ennemis.
2.
A l'origine, toute démocratie se fonde sur un pacte, ce que J.-J.
Rousseau appelait le « Contrat social ».
C'est dire que la
démocratie n'est pas le gouvernement où la masse peut tirer à hue et à dia en se laissant vivre sans lois, au gré de ses instincts
les plus bas, mais bien qu'elle doit sans cesse se contrôler et veiller à ce que ses principes soient toujours observés.
3.
Il n'est donc de démocratie que dans l'antidémagogie : plus un État se laisse aller à la liberté facile, moins il respecte la
souveraineté nationale ou le sens de la république.
J.-J.
Rousseau notait dans le Contrat Social (Livre I, chapitre 6, in fine) : «
L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté ».
Car si la liberté devient facile, alors rien ne tient plus.
CONCLUSION.
Certes, la démocratie est un état idéal, un régime imaginaire que jamais l'on a songé à voir s'établir sans compromission.
Mais
l'actualité la plus récente nous a montré dans notre pays et en ce siècle, avec
le régime en vigueur et pendant la dernière décade, que la démocratie ne se voulait pas dans toute sa rigueur.
Aussi s'est-elle
cachée sous le masque facile d'une démagogie décadente, face à des pays où un régime prétendu totalitaire se montrait plus près
de la démocratie populaire que ceux-là mêmes qui s'intitulaient démocrates populaires.
Autre chose est de se dire démocrates,
autre chose de vouloir assumer en toute rigueur son régime démocratique.
La république n'est pas un don gratuit ; ce n'est pas
une manne qui vous tombe du ciel comme le roi-soliveau de la fable.
Car les grenouilles cherchent le désir et, comme le dit Alain,
« désir est paresseux ».
C'est un « très petit personnage ».
Mais « à désirer on se prive de faire ».
Pour faire, pour agir, il faut
vouloir intensément.
La république est le régime où l'on ne peut se contenter de désirer, d'aspirer, de « tendre-vers ».
Il faut
vraiment la vouloir, et très intensément.
Sans volonté rigoureuse, il n'est pas de démocratie possible.
Il ne subsiste que le résidu
de la démagogie..
»
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