La création artistique.
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Nous examinerons tour à tour le rôle de l'inspiration, le rôle de l'émotion, et le rôle de l'imagination créatrice. Puis nous nous interrogerons plus profondément sur les valeurs esthétiques. 1 — Les descriptions les plus diverses ont été données de la création artistique. Pour les uns, elle ne s'accomplit que sous l'effet d'une inspiration : « Moi, disait Lamartine, je ne pense jamais, mes idées pensent pour moi » ; George Sand écrit : « Chez Chopin, la création était spontanée, miraculeuse ; il la trouvait sans la chercher, sans la prévoir, elle venait, complète, soudaine, sublime ». Chateaubriand raconte de même : « Un beau jour, je m'étends, je ferme les yeux complètement. Je ne fais aucun effort. Je laisse se dérouler l'action sur l'écran de mon esprit... Je regarde en moi les choses se faire. C'est un rêve. C'est l'inconscient ». Cette conception romantique de l'inspiration rejoint la conception surréaliste de l'écriture automatique où le poète accueille les images dans l'ordre que lui dicte l'inconscient.
«
La création artistique.
Nous examinerons tour à tour le rôle de l'inspiration, le rôle de l'émotion, et le rôle de l'imagination créatrice.
Puis nous nous
interrogerons plus profondément sur les valeurs esthétiques.
1 — Les descriptions les plus diverses ont été données de la création artistique.
Pour les uns, elle ne s'accomplit que sous
l'effet d'une inspiration : « Moi, disait Lamartine, je ne pense jamais, mes idées pensent pour moi » ; George Sand écrit : « Chez
Chopin, la création était spontanée, miraculeuse ; il la trouvait sans la chercher, sans la prévoir, elle venait, complète, soudaine,
sublime ».
Chateaubriand raconte de même : « Un beau jour, je m'étends, je ferme les yeux complètement.
Je ne fais aucun effort.
Je
laisse se dérouler l'action sur l'écran de mon esprit...
Je regarde en moi les choses se faire.
C'est un rêve.
C'est l'inconscient ».
Cette
conception romantique de l'inspiration rejoint la conception surréaliste de l'écriture automatique où le poète accueille les images dans
l'ordre que lui dicte l'inconscient.
Pour d'autres, au contraire, la création est moins le fruit d'une inspiration que d'un travail : « La loi suprême de l'invention humaine,
c'est qu'on n'invente rien qu'en travaillant » (Alain, « Système des Beaux-Arts », p.
34).
C'est la conception classique de la création : «
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ».
Pour d'autres, enfin, la création résulte d'un mélange d'inspiration et de travail ; Valéry écrit : « Les Dieux gracieusement nous donnent
pour rien tel premier vers : mais c'est à nous de façonner le second » (Introduction à la méthode de Léonard de Vinci).
On peut discuter de la même manière du rôle de l'émotion dans la création artistique.
Pour Bergson (la création étant élan vital) «
création signifie, avant tout, émotion.
» (« Les deux sources de la morale et de la religion », p.
41) ; il faut distinguer, en effet, deux
espèces d'émotion : « Dans la première, l'émotion est consécutive à une idée ou à une image représentée : l'état sensible résulte bien
d'un état intellectuel qui ne lui doit rien, qui se suffit à lui-même...
Mais l'autre émotion n'est pas déterminée par ma représentation
dont elle prendrait la suite et dont elle resterait distincte.
Bien plutôt serait-elle, par rapport aux états intellectuels qui surviendront,
une cause et non plus un effet...*La première est infra-intellectuelle...
Mais de l'autre nous dirions volontiers qu'elle est supraintellectuelle » (Les deux sources, p.
40).
Dans « les Voix du Silence », A.
Malraux, au contraire, critique quelque peu ce rôle de l'émotion dans l'art, ou du moins le nuance : «
Un artiste n'est pas nécessairement plus sensible qu'un auteur, et l'est souvent moins qu'une jeune fille »...
« Les plus grands artistes
ne sont pas des femmes » ; ou encore « Un grand artiste de l'émotion est nécessairement sensible ; l'homme le plus sensible du
monde n'est pas nécessairement un artiste: » A vrai dire A.
Malraux veut moins nier l'émotion esthétique qu'en modifier, d'une part,
l'objet : « Un musicien aime la musique et non les rossignols ; un poète aime les vers et non les couchers de soleil », et d'autre part,
l'usage : les grands arts expriment une émotion sacrée mais ils ne s'expriment pas en « représentant ce qui la suscite dans la vie » ;
ainsi, « Il y a plus de nuit pascalienne dans telle face de Rembrandt que dans tous les nocturnes ».
De toutes façons il semble que pour
A.
Malraux l'art relève moins de l'émotion que de la volonté ; et ceci l'amène par exemple à nier la valeur des dessins d'enfants : «
L'enfant n'est pas un artiste car son talent le possède, et lui ne le possède pas ».
On pourrait également discuter du rôle de l'imagination dans la création artistique.
Dans un petit livre sur l'imagination (Coll.
Que saisje ?) Mme Jeanne Bernis étudie plutôt les différentes démarches de l'imagination des grands romanciers ; ainsi, l'imagination de Balzac
est « constructive, elle part des données concrètes, croquis, ébauches de caractère et s'achève en types éternels ; son œuvre à
certains égards rappelle l'invention du mathématicien ».
L'imagination de Flaubert est plutôt « émotive et anesthésique » ; « Flaubert
déclamait ses phrases.
Elles étaient liées à son propre rythme respiratoire » (p.
59).
L'imagination de Proust est analytique et intuitive ;
d'une part, « elle analyse minutieusement une conduite individuelle », d'autre part, « elle apparaît comme l'intuition de la spiritualité
individuelle » (p.
60).
La création artistique est donc un phénomène complexe et même, à certains égards, contradictoire.
Cette complexité apparaît
également à l'énoncé des facteurs de la création ; Henri Delacroix, par exemple, en distinguait neuf (in « Psychologie de l'art »).
Trois
facteurs généraux : l'originalité, la spontanéité, la productivité ; trois conditions sine qua non : l'intérêt attaché à ce qu'on fait,
l'imagination créatrice, la secondarité (c'est-à-dire le « retentissement durable et ordonné de toutes les expériences ») ; enfin trois
formes de production : l'actualisation brusque et soudaine, la rumination consciente ou semi-consciente et le travail conscient (le
raisonnement).
Le seul point peut-être sur lequel beaucoup s'accordent, c'est que création signifie joie.
« La joie annonce toujours que la vie a réussi,
qu'elle a gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire ; partout où il y a joie, il y a création ; plus riche est la création, plus
profonde est la joie» (Bergson, «L'Énergie spirituelle», p.
24); ainsi Gide nous montre-t-il comment « à travers et par delà sa tristesse,
Chopin parvient à la joie ».
Le fondement de cette joie ou de ces « pleurs de joie », pour employer l'expression de Pascal, tient peutêtre à ce que Delacroix appelle «la parenté de l'extase religieuse et de l'extase artistique » ; et cette parenté résulte pour lui du
mélange du sentiment d'être au cœur de l'être (d'« être tout ») et de « l'évidence de n'être rien ».
2 — Mais quel est le sens de la création artistique ? Pourquoi une telle création ? On la définit tantôt comme une activité libre et
désintéressée, tantôt comme un trop plein de force, qui se dépense pour le plaisir de se dépenser.
Dans les deux cas, écrit M.
Parodi,
«l'activité esthétique serait apparentée à l'idée de jeu, et s'opposerait à l'activité utilitaire et intéressée » (in « La conduite humaine et
les valeurs idéales »).
Ce caractère ludique, mis en lumière par Spencer et Schiller, a amené Durkheim à critiquer la valeur de l'art.
Il
faut alors préciser cette idée de jeu : 1) Dire que l'art est jeu ne signifie pas qu'il soit futile ; il répond à une espèce de nécessité : «
tous les organes, écrit Parodi, toutes les facultés manifestent à de certains moments le besoin de s'exercer pour s'exercer, au-delà ou
en dehors de leur fonctionnement immédiatement et strictement utile pour l'ensemble ».
2) « Tout jeu n'est pas esthétique » ; le jeu
esthétique est celui de nos facultés supérieures, des représentations, des sentiments.
3) Toute l'évolution de l'art nous montre
comment « le jeu Imaginatif et sentimental se sépare des activités utiles qu'il accompagnait d'abord et acquiert une autonomie de plus
en plus entière ».
« La musique ou la danse n'accompagnent plus aucune pompe sociale ; la sculpture et la peinture sont détachées du
temple ou du palais ».
Notons cependant que dans les États tyran niques où la liberté est bannie, y compris celle de l'artiste, l'Art
redevient aussitôt un service social ou une fonction politique.
4) L'art n'est pas un jeu pour tout le monde : pour le spectateur sans
doute, mais pas pour l'acteur qui gagne sa vie.
5) L'art est un jeu, mais un jeu d'où résultent des œuvres, et, de ce fait, il est très
différent du jeu des enfants..
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