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La conscience que nous avons de notre liberté vient-elle de ce que l'avenir nous paraît indéterminé ?

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« La liberté peut être définie de deux manières 1) négativement comme le fait de ne pas subir de contrainte externe de la part d'un autre qui limiterait notre pouvoir d'action 2) positivement, comme la capacité de se déterminer soi-même à prendre un parti plutôt qu'un autre.

Si l'avenir était intégralement déterminé, l'homme lui-même serait déterminé par son insertion dans le réseau de causes et d'effets qui régit les événements devant se produire.

Pour avoir conscience de sa liberté au premier sens du terme, l'homme serait donc obligé de nier cette thèse déterministe.

Mais cette liberté négative (ne pas être déterminé de l'extérieur à ses actions) ne suffirait pas pour autant à faire accéder l'homme à une conscience de la liberté au sens positif d'une détermination de soi par soi.

Dès lors le problème devient plutôt de comprendre d'où l'homme tire le sentiment de pouvoir se déterminer par lui-même à agir de telle façon plutôt que de telle autre.

Or nous avons un indice de cette liberté dans le fait que nous jugeons les hommes responsables de leurs actes, et que si les hommes n'étaient pas libres de se déterminer à agir, on ne pourrait pas les blâmer d'agir de telle ou telle manière.

C'est donc parce qu'il peut s'envisager comme un être moral, et donc responsable de ses actes, que l'homme a conscience de sa liberté.

De plus l'homme a conscience de réaliser certaines actions qui ne peuvent pas être déterminées par avance, dans au moins une dimension, qui est la façon subjective dont seront vécues ces actions. I.

Si l'avenir était déterminé l'homme le serait aussi.

C'est donc parce qu'il pense l'avenir indéterminé que l'homme se croit libre. La position consistant à soutenir Que l'avenir est déterminé s'appelle le déterminisme.

Laplace soutient cette thèse en se basant sur le principe leibnizien de raison suffisante.

Ce principe dit que rien n'existe dans le monde sans qu'il y ait une raison qui explique pourquoi cette chose est telle qu'elle est.

Si l'on admet ce principe, toutes les choses sont déterminées par une cause précise à se produire de telle façon et à tel moment.

Or si l'homme se représentait l'avenir de la sorte, il ne pourrait pas se penser libre, car la liberté suppose au contraire que l'on ne soit déterminé par aucune puissance extérieure dans les choix et les actions que nous faisons.

Mais la croyance en l'indétermination de l'avenir ne suppose pas que l'avenir soit effectivement indéterminé.

En effet l'homme est inséré dans le monde, et s'il peut être la cause de certains événements, son comportement est lui-même l'effet de causes extérieures qui agissent sur lui, même s'il n'en a pas conscience.

C'est ce qui fait dire à Spinoza, dans la Lettre 58 à Schuller, que l'homme ne se croit libre que parce qu'il n'a pas conscience des causes qui le déterminent à agir.

Pour se faire comprendre, Spinoza prend l'exemple d'une pierre que l'on a jetée au loin.

Cette pierre, dit Spinoza, ne poursuit pas sa trajectoire librement, car c'est une cause externe qui l'a envoyée dans une direction déterminée.

Mais si cette pierre, alors qu'elle est en train de se mouvoir, s'imagine qu'elle fait elle-même l'effort pour continuer de se mouvoir, elle se croira libre, alors qu'en fait, elle ne l'est pas.

Spinoza considère que les être humains ressemblent à cette pierre, parce qu'ils sont conscients de leurs désirs, mais pas des causes qui déterminent leurs désirs.

Donc si c'est bien la croyance en l'indétermination de l'avenir qui nous fait penser que nous sommes libres, cette croyance peut être illusoire. II.

Si l'homme a conscience d'être libre, c'est parce qu'il a conscience d'être responsable de ses actes.

Or cette responsabilité suppose la liberté. La conception de Spinoza s'accorde pourtant difficilement avec la façon dont agissent réellement les hommes, les uns vis-à-vis des autres.

En effet, si l'homme n'était pas libre, on ne pourrait pas le tenir pour responsable de ses actions.

Or on se rend compte que non seulement nous tenons les autres pour responsables de leurs actions (si l'on me vole je considère que le voleur a commis une faute), mais l'on se tient soi-même pour responsable de ses propres actions (si je vole, j'en ressens une certaine culpabilité).

Or cette responsabilité que l'on impute à soi-même et aux autres suppose que l'on aurait pu agir différemment (l'autre aurait pu ne pas me voler, ou moi-même j'aurais pu ne pas voler).

Dans la Critique de la raison pratique, Kant considère donc que le seul fait que l'homme ait un sens moral nous montre qu'il est libre.

Kant exprime cela en disant que la loi morale qui est en chacun de nous est ratio cognoscendi de la liberté, ce qui veut dire qu'elle nous fait connaître que l'homme est un être libre.

C'est donc en réalité parce que l'homme s'envisage lui-même et envisage son semblable comme un être moral qu'il a conscience de sa liberté. III.

Certaines actions nous donnent le sentiment d'exprimer librement notre personnalité, et nous donnent des raison de croire à notre liberté Si le fait que l'homme soit un être moral peut lui fait prendre conscience de sa liberté, ses propres actions lui découvrent parfois à lui-même cette liberté, lorsqu'il a le sentiment que ces actions expriment totalement ce qu'il est.

C'est ce qu'explique Bergson dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience.

L'action, dit-il, ne doit pas être conçue comme ce qu'accomplit un sujet totalement déterminé dans son être avant d'agir.

Dans l'action, le sujet se découvre en agissant, et à la faveur de certaines actions, le sujet découvre même son moi profond.

Bergson distingue en effet deux moi : le moi superficiel, réglé sur les catégories de la vie quotidienne, catégories essentiellement utiles pour les besoin de la survie, et qui ont irrigué la vie sociale, et d'autre part le moi profond, que Bergson pense en relation avec l'intuition que nous pouvons avoir de l'écoulement de la durée, qui forme la trame fondamentale de notre être.

Dans certaines actions, nous nous surprenons nous-mêmes, et nous découvrons une liberté que nous ne soupçonnions pas.

Par exemple, un soldat censé devoir obéir en toutes circonstances à ses supérieurs pourra tout à coup refuser d'exécuter un ordre, parce que cet ordre lui paraît inhumain.

Ici, l'action exprime totalement le moi profond du soldat (alors que son moi superficiel se réduirait à son moi « professionnel » d'un être censé obéir mécaniquement à un ordre).

De telles actions nous font prendre conscience que les actions de notre moi profond ne sont pas déterminées d'avance, et que nous-mêmes n'aurions pu les prévoir.

C'est donc parce qu'il expérimente qu'il y a au moins une partie de sa personnalité qui échappe à tout déterminisme que l'homme prend conscience de sa liberté. Conclusion Nous pouvons avoir le sentiment qu'il suffit que l'avenir ne soit pas déterminé pour avoir conscience de notre liberté. Mais cette liberté ne se comprend alors encore qu'en un sens négatif comme le fait de ne pas être déterminé de l'extérieur à l'action.

La prise de conscience de notre liberté au sens positif de pouvoir d'autodétermination nous vient plutôt de notre dimension morale.

Mais c'est aussi dans l'action elle-même que nous prenons conscience de notre liberté.

C'est parce que l'on éprouve notre liberté dans certaines actions que l'on prend conscience que l'avenir n'est pas intégralement déterminé pour l'homme, même s'il peut l'être pour les choses.. »

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