La conscience de soi est-elle d'abord et nécessairement connaissance de soi ?
Extrait du document
«
La conscience est ce qui rassemble.
Sommes-nous aujourd'hui le même qu'hier ? Non.
Nos états psychologiques et physiques sont changeants, multiples.
Qu'est-ce que le moi ? demande Pascal.
La réponse ne coule pas de source.
Pourtant, le vieillard qui regarde une
photo de lui adolescent est essentiellement la même personne, même si les années ont ravagé son corps et peutêtre son esprit.
Si nous avons la conviction d'être toujours la même personne malgré la diversité de nos états de
conscience, c'est parce que la conscience semble réaliser une unité.
Mais si avoir conscience, c'est toujours avoir conscience de soi, cette conscience de soi n'est pas, contrairement à
ce que pense Descartes, connaissance de soi : «J'ai conscience que je suis et non pas de ce que je suis », écrit
Kant.
C'est seulement dans l'opération de synthèse que le moi se saisit identique à lui-même.
Le cogito est un et il
oeuvre à l'activité de synthèse.
Il unifie la diversité de mes représentations.
Le principe suprême de la connaissance
humaine tout entière, c'est la liaison.
Penser, c'est lier, relier.
Par-delà la multiplicité de ses affections, la conscience est ce qui se présente comme quelque chose d'unique.
Le vécu peut se présenter sous des
formes multiples, les réactions devant des situations diverses, voire identiques, peuvent être différentes, mais en dépit de ces différences, il s'agit
de mon expériences, de mon vécu.
La multiplicité ne prend sens que sur fond d'unité de la conscience.
Ainsi Descartes, dans la « Deuxième
Méditation » reconnaît qu'il existe des facultés diverses et multiples : l'entendement, la volonté, l'imagination, la sensibilité.
Mais ces facultés sont
toutes déduites à partir de l'unité du cogito.
La conscience s'apparaît donc à elle-même comme fondamentalement unique & identique.
Elle joue
comme pouvoir unificateur.
C'est cette unité de la conscience qui assure l'accès à la personne.
Kant écrit : « Posséder le JE dans sa
représentation : ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre.
Par là, il est une personne ; et grâce à
l'unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, cad un être entièrement différent,
par le rang et la dignité, de choses, comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise.
» (« Anthropologie du point de vue
pragmatique »).
"Posséder le JE dans sa représentation: ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les
autres êtres vivants sur la terre.
Par là , il est une personne; et grâce à l'unité de la conscience
dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c'est-àdire un être entièrement différent par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux
sans raison, dont on peut disposer à sa guise; et ceci, même lorsqu'il ne peut pas dire JE, car il l'a
dans la pensée; ainsi toutes les langues, lorsqu'elles parlent à la première personne, doivent
penser ce JE, même si elles ne l'expriment pas par un mot particulier.
Car cette faculté (de penser)
est l'entendement.
Il faut remarquer que l'enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu'assez tard
(peut-être un an) à dire JE; avant il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger,
marcher, etc.); et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire
JE; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l'autre manière de parler.
Auparavant, il ne faisait que
sentir; maintenant il pense."
Kant.
Ce texte est extrait du tout début de Anthropologie du point de vue pragmatique (Livre 1.
De la faculté de connaître- De la connaissance de soi-même, $1).
Cette oeuvre, regroupe, comme
l'indique Kant dans une note de sa préface, des cours professés pendant les semestres d'hiver
depuis plus de trente ans.
L' Anthropologie du point de vue pragmatique contient toutefois des analyses subtiles sur les sujets les plus divers: la vie sociale, le rôle des sens
et de la mémoire, le suicide.
On y trouve des anecdotes, des conseils sur l'art de vivre et une sorte de traité des passions qui fait songer à celui de
Descartes.
Le texte que nous allons commenter se rapporte à la conscience de soi.
Notons que dans un passage difficile de la ACritique de la raison pure@,
Kant affirme que pour qu'il y ait conscience de soi, deux choses sont requises: le déroulement successif de la diversité (le flux des phénomènes
intérieurs ou états de conscience) et la compréhension de ce déroulement, acte qu'il nomme synthèse de l'appréhension.
Autrement dit, sans le
Aje pense@ qui accompagne toutes mes représentations, Aserait représenté en moi quelque chose qui ne pourrait pas du tout être pensé, ce qui
revient à dire ou que la représentation serait impossible, ou que du moins, elle ne serait rien pour moi@.
Kant distingue donc l'aperception
empirique qui est l'état intérieur toujours changeant & l'aperception transcendantale, conscience pure, originaire et synthétique qui assure la
liaison et donc la connaissance réflexive de ce flux intérieur, permettant ainsi la constitution d'un Amoi@ fixe & permanent.
Pouvoir dire je, c'est
donc avoir conscience d'être un & identique par-delà la multiplicité des états de conscience internes et des expériences vécues.
Ce texte est difficile.
Il convient de relever les termes essentiels et de leur accorder un moment de réflexion.
Posséder en je, c'est pouvoir se
dédoubler ou plus précisément s'appréhender soi-même comme objet.
La personne signifie le sujet porteur de la loi morale qui, en tant que tel, a
une valeur absolue, une dignité et ne saurait donc être traité comme un simple moyen mais toujours en même temps comme une fin en soi.
L'unité
de la conscience (aperception transcendantale), c'est le pouvoir de réaliser la synthèse de la diversité, de lier les éléments divers de la
représentation.
Les choses sont tout ce qui relève du règne de la nature (donc aussi les animaux).
L'entendement est la faculté des concepts,
faculté qui légifère dans le domaine de la connaissance et qui permet d'unifier le divers donné dans l'intuition sensible.
Se sentir signifie se saisir
de manière concrète, sensible & immédiate.
Se penser, c'est avoir conscience de soi comme sujet pensant..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Locke: La connaissance implique-t-elle nécessairement la conscience ?
- JANKÉLÉVITCH: La conscience est-elle nécessairement critique ?
- Comte: La connaissance doit-elle nécessairement servir à quelque chose ?
- Toute conscience est-elle nécessairement conscience morale ?
- La conscience est-elle condition de tout connaissance ?