La conscience de soi doit-elle quelque chose à la présence d'autrui ?
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Introduction
Qui peut, mieux que moi, connaître les mouvements profonds de mon âme, percevoir les mille nuances fugitives des
sentiments que j'éprouve à chaque instant de ma vie ? Le point de vue que j'occupe sur ma propre personne semble
privilégié car je ne suis pas, comme autrui, obligé de deviner la signification de mes comportements.
S'il arrive, par
exemple, qu'autrui se méprenne lorsque je ris « jaune », je sais d'un savoir immédiat, intuitif et indubitable ce que
mon rire cache.
Ainsi suis-je spontanément disposé à croire que la présence d'autrui, ce témoin réduit à formuler des
conjectures plus ou moins crédibles sur ma vie psychique, n'apporte rien d'essentiel à la conscience que j'ai de moimême.
En certaines circonstances pourtant, autrui se montre plus clairvoyant que moi sur mon propre compte et il
ne m'est pas indispensable de consulter un psychanalyste pour apprendre des vérités qui me concernent et que
j'aurais volontiers laissées à l'ombre de ma mauvaise foi ou dans la nuit de mon inconscient.
La conscience de soi
doit-elle donc quelque chose à la présence d'autrui ?
I - Notre connaissance d'autrui est-elle nécessairement indirecte ?
a) Comment se fier au témoignage et au jugement qu'autrui porte sur moi si la connaissance qu'il a de moi n'est
qu'indirecte, s'il est obligé de comparer mes comportements aux siens pour s'assurer de la nature des émotions et
des pensées qui les motivent ? Peut-il être sûr, parce qu'il sait que la honte le fait rougir, que mon visage empourpré
trahit un sentiment semblable ? J'ai peut-être trop chaud, je suis peut-être essoufflé.
De sorte que cette rougeur de
mes joues n'est qu'un symptôme susceptible de recevoir plusieurs interprétations également plausibles.
Il est
rassurant de penser que la connaissance qu'autrui a de moi est indirecte, qu'elle passe par la connaissance qu'il a de
lui-même, parce que nous pouvons déduire de cette croyance que nous sommes les mieux placés pour savoir qui
nous sommes et que notre for intérieur est une forteresse imprenable.
On développera cette thèse avec le concept
de solipsisme.
Conscient de cette difficulté, Malebranche, un disciple de Descartes, avance une solution qu'on pourrait qualifier
d'intellectualiste : c'est par l'exercice de l'intelligence, par un raisonnement que j'arrive à démontrer l'existence
d'autrui et à savoir qui il est.
Sans doute est-il impossible d'accéder à la conscience des autres et de connaître leurs
pensées et leurs sentiments véritables (je ne suis pas « dans leur tête », comme on dit).
Je peux néanmoins, à
partir de la connaissance que j'ai de mes propres états de conscience, émettre des hypothèses sur ce qui se passe
dans la conscience des autres.
C'est le raisonnement par analogie qui sera ici mon guide.
« J'aime le bien et le
plaisir, je hais le mal et la douleur, écrit Malebranche, et je ne me trompe point de croire que les hommes [...] ont
ces inclinations ».
Si les autres sont des hommes, ils doivent suivre comme moi les lois de l'humaine nature.
Le Larousse définit le solipsisme comme venant du latin solus, seul, et ipse, soi-même.
En philosophie, le solipsisme
est une "doctrine, conception selon laquelle le moi, avec ses sensations et ses sentiments, constitue la seule réalité
existante.".
On trouve cette idée chez Descartes qui affirme qu'on parvient à prendre conscience de son humanité
au prix d'une formidable ascèse solitaire.
Ainsi chez Descartes, la conscience est un sujet qui se réfléchit lui-même
en dehors du monde et à l'écart d'autrui.
C'est en niant le monde que la conscience se découvre.
Elle se pose dans
la réflexion comme nature simple, absolue.
Elle jaillit directement et immédiatement dans sa résistance à tous les
efforts du doute.
Chez Bergson la conscience de soi est aussi immédiate, elle est l'objet d'une saisie intuitive qui
met l'homme de plain-pied au contact de son être.
La démarche qu'a suivie Descartes est passée par le solipsisme, c'est-à-dire la réfutation de l'existence d'autrui et
plus généralement du monde extérieur en tant qu'il existe en soi.
C'est l'attitude de Hegel déclarant : « le monde est
ma création », c'est-à-dire que le monde extérieur n'est qu'une création projetée de mon esprit qui est ma certitude
essentielle.
Mais, selon Descartes, le solipsisme n'est qu'une étape dangereuse et qu'il faut dépasser.
Le danger venant de ce
que le solipsisme étant irréfutable ne fait pas réellement face aux nécessités extérieures.
C'est ce que
Schopenhauer exprima en déclarant : « le solipsiste est un fou enfermé dans un blockhaus imprenable ».
b) Il est pourtant clair que l'enfant qui comprend le sourire de sa mère ne s'est jamais vu sourire lui-même et qu'il n'a
pas besoin d'accomplir un détour compliqué par la connaissance qu'il a de lui-même pour saisir le sens du sourire qui
lui est adressé.
La connaissance qu'il en a est directe, intuitive.
Si cela ne signifie pas que cette connaissance soit
infaillible — il est des sourires trompeurs —, il est certain néanmoins que l'enfant comprend les gestes, l'attitude et
les expressions du visage d'autrui alors qu'il n'a de lui-même qu'un savoir confus.
A un âge plus avancé, nous
ignorons encore quelle expression a notre regard lorsque nous sommes en colère, abattu ou amoureux.
Aussi
sommes-nous étonnés lorsqu'autrui découvre aux moindres tressaillements de notre physionomie des sentiments que
nous pensions avoir parfaitement dissimulés.
Semblables en cela à l'enfant que nous avons évoqué, nous
connaissons autrui avant de nous connaître nous-même.
c) Cette antériorité de la connaissance d'autrui nous incite à penser, contre le sens commun et toute la tradition
philosophique classique, qu'elle conditionne la conscience que nous avons de nous-même.
Il importe donc d'examiner
les affirmations de la psychologie qui, parce qu'elle croit en une aperception immédiate de l'esprit par lui-même, juge
accessoire ou dérisoire le rôle de la présence d'autrui dans l'accès à la conscience de soi.
II - Examen de la valeur de la psychologie introspective
a) Qu'on songe, par exemple, à la démarche par laquelle Descartes entend nous mener à la découverte de notre
identité réelle en même temps qu'à celle d'une certitude indubitable.
Elle met entre parenthèses l'existence d'autrui,
qui, parce qu'il appartient au monde sensible, est douteuse.
Je ne me découvre vraiment moi-même, je ne me sais.
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