La connaissance scientifique doit-elle etre toujours utile ?
Extrait du document
«
Anaxagore affirmait que « l'homme pense parce qu'il a une main ».
La connaissance scientifique serait ainsi intrinsèquement liée à une
fin pratique, et se justifierait historiquement par son utilité, c'est-à-dire tout ce qui constitue un moyen pour une fin donnée.
La
connaissance scientifique doit-elle dès lors toujours être utile ? N'existe-t-il aucune légitimité à une connaissance scientifique purement
désintéressée ? S'il semble que la connaissance scientifique se constitue effectivement afin de répondre à un besoin technique, elle doit
également pouvoir être une fin en soi en ce sens que plus que par son utilité pratique, c'est par l'activité intellectuelle qu'elle implique
chez l'homme qu'elle trouve sa noblesse.
Enfin, seule la connaissance scientifique désintéressée peut le plus souvent aboutir au
développement de nouvelles techniques.
I/ La connaissance scientifique se constitue afin de répondre à un besoin technique
1/ La technique précède la science, qui n'a d'autre but que celui de servir la technique.
Historiquement, on observe la naissance de techniques bien avant qu'une connaissance positive et rationnelle se soit constituée.
Selon
Alain, « il semble que toutes les idées positives de ce temps-là soient enfermées dans les outils et que l'on ait point su les en tirer ».
Ainsi, les premiers mathématiciens furent les arpenteurs égyptiens, de même que l'arithmétique est née de la nécessité de
comptabiliser les échanges commerciaux.
2/ La connaissance générale et abstraite apparaît superflue en comparaison du savoir utile.
La connaissance scientifique abstraite et désintéressée se trouve en effet démunie face à la résolution d'un problème réel.
Partant de
ce constat, Socrate considérait ainsi que le philosophe ne serait jamais que le second en tout : « Si tu tombais malade, […] est-ce que,
voulant guérir, tu ferais venir chez toi le second en tout, le philosophe, ou prendrais-tu le médecin ? »
Par ailleurs, la technique génère des changements profonds dans la société, que la connaissance scientifique abstraite ne provoque
pas.
La technique est dès lors seule moteur du progrès.
Marx a ainsi montré dans Misère de la Philosophie la portée sociale et morale
de chaque innovation technique : « le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur la société avec le
capitalisme industriel ».
II/ Mais la connaissance scientifique doit également pouvoir être sa propre fin
1/ La connaissance scientifique surplombe et dépasse la technique.
L'esprit technicien subit une mutation en se faisant esprit scientifique.
Marx a souligné l'importance de cette mutation.
Il affirme en effet
que « la supériorité de l'architecte le plus maladroit sur l'abeille la plus experte réside en ceci que
l'architecte porte d'abord la maison dans sa tête.
» C'est donc dans l'effort de théorisation et
d'abstraction qu'elle suppose que la connaissance scientifique trouve sa noblesse, plus que dans
les fruits pratiques qu'elle est susceptible d'engendrer.
2/ Au regard des valeurs induites par la technique, la nécessité d'une connaissance scientifique
désintéressée se fait jour.
La recherche de la satisfaction du seul critère de l'utilité par la science convoie des valeurs
particulières, qui sont celles de l'efficacité et de la vitesse.
Ces valeurs sont à l'opposé des valeurs
de contemplation, de quiétude, de sagesse qui caractérisent l'esprit philosophique.
Les Grecs ont
ainsi méprisé le travail manuel, qu'ils réservaient aux esclaves.
Platon méprisait même tant la
technique qu'il interdisait à ses étudiants de mathématique l'usage des instruments, car pour lui la
science n'aurait sue être que pure pensée.
Dans ce contexte, la connaissance scientifique
désintéressée est une fin en soi, en tant que recherche de la vérité.
III/ Seule la connaissance scientifique désintéressée peut le plus souvent aboutir au
développement de nouvelles techniques
1/ L'induction technique et la déduction scientifique sont intrinsèquement liées.
Claude Bernard définit l'induction comme un processus de l'esprit allant du particulier au général,
et la déduction comme le processus inverse allant du général au particulier.
Mais Claude Bernard a
également montré que ces procédés sont loin de s'opposer fondamentalement : il ne serait en
effet pas possible de s'élever du fait particulier à l'idée générale si l'idée n'était contenue dans le fait.
Parallèlement, puisque
l'explication scientifique consiste à déduire le phénomène de l'idée, le fondement de la l'induction est la déduction.
Ainsi, expérience
concrète et connaissance scientifique abstraite ne sont pas indépendantes l'une de l'autre.
2/ L'utile est dans son développement tributaire de la découverte purement théorique.
Bachelard donne à cet égard un exemple de cette imbrication entre connaissance scientifique
désintéressée et application utile : au XXème siècle, la lampe électrique à fil incandescent est une
véritable révolution (pour la première fois, on ne brûle pas une matière pour éclairer, mais on
l'empêche au contraire de brûler).
Mais cette découverte technique n'aurait pas vu le jour sans la
connaissance scientifique du phénomène de la combustion.
Leibniz, dans les Nouveaux Essais, a également souligné la nécessité d'un apport théorique
rigoureux en amont de chaque découverte pratique : « si les anciens s'étaient relâchés sur ce
point, […] et ne nous auraient laissé qu'une géométrie empirique […] : ce qui nous aurait privés
des plus belles connaissances physiques et mécaniques que la géométrie nous a fait trouver, et
qui sont inconnues partout où l'est notre géométrie ».
Conclusion :
- la connaissance scientifique se constitue certes en vue d'une fin pratique…
- … Mais plus que par cette fin, c'est par l'effort intellectuel qu'accomplit l'homme en vue de la
recherche de la vérité qu'elle trouve sa noblesse.
- Finalement, il semble que même l'utile soit tributaire de la connaissance scientifique
désintéressée..
»
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