La connaissance nous délivre-t-elle du mal et de l'ignorance ?
Extrait du document
«
Introduction
La connaissance semble s'opposer à l'ignorance : celui qui sait n'est plus celui qui est ignorant.
Connaissance
et ignorance sont donc des contradictoires.
Pourtant, il est beaucoup moins évident de dire que la connaissance
nous délivre du mal.
On peut certes reconnaître que la connaissance peut nous éviter de faire le mal
involontairement, et celui qui connaît sera en effet délivré en partie de ses éventuelles erreurs.
Pourtant, toutes les
connaissances sont-elles susceptibles de nous délivrer du mal ? Connaître une loi scientifique, est-ce par exemple se
délivrer du mal ? On pourrait en effet dire que toute connaissance n'est pas morale, que certaines n'ont tout
simplement rien à faire avec le mal.
Il s'agirait de connaître ce qui est, et non ce qui doit être.
La question morale et
la question de la connaissance sont-elles nécessairement liées ? N'y a-t-il pas des personnes ignorantes et pourtant
incapables de commettre le mal, et d'autre qui sont loin d'être ignorantes, et qui sont pourtant capable des pires
crimes ?
Et plus radicalement encore, peut-on véritablement se délivrer du mal et de l'ignorance ? La connaissance
est-elle quelque chose que l'on acquiert, que l'on a, ou ne suppose-t-elle pas qu'on continue inlassablement
d'avancer dans le chemin de la connaissance, sans jamais parvenir à se délivrer ni de l'ignorance, ni du mal ?
Le problème est donc double, il consiste d'une part à savoir si la connaissance et le mal sont liés, et si l'une
peut être un remède pour nous délivrer de l'autre, et de savoir si la connaissance n'est pas plus un processus et une
faculté qu'un état, auquel cas elle ne saurait nous délivrer définitivement de quoi que ce soit.
I.
Par la connaissance on se tend à se délivrer de l'ignorance et du mal
A.
le mythe du péché originel : Adam et Eve vont contre l'interdit divin et touchent à l'arbre de la connaissance du
bien et du mal.
C'est le serpent qui tente Eve en lui disant que si elle mange du fruit, elle sera comme Dieu,
puisqu'elle connaîtra le bien et le mal.
Dans ce récit des origines on voit que connaître, c'est connaître le bien et le
mal, c'est sortir de l'ignorance, certes, mais pas du tout se délivrer du mal.
Or, manger de ce fruit, c'est vouloir
connaître, et c'est un péché, le péché originel.
Il y aurait donc dans la volonté même de connaître quelque chose
d'orgueilleux : l'homme veut s'approprier la connaissance (ils ont mangé le fruit, alors qu'ils ne devaient que le
regarder)
B.
connaître, c'est donc avant tout sortir de l'état d'innocence, connaître le mal, et se rendre ainsi plus apte à le
commettre volontairement, mais moins aptes à le commettre involontairement.
En effet, si celui qui connaît peut se
délivrer à la fois de l'ignorance et du mal en tant qu'il peut s'empêcher de faire un mal, parce qu'il sait que c'est un
mal, celui qui ne sait pas ce qu'est le mal peut le faire sans le faire exprès.
Connaître, c'est donc se mettre en état
de devenir responsable du mal que l'on connaît.
C.
Mais l'innocence est peut-être un état qui rend bien plus vulnérable au mal : Pascal dit (Pensée 764-11) que le
principal danger du théâtre, c'est qu'il présente des sentiments (d'amour essentiellement) sous un jour qui peut
charmer.
L'âme innocente ne se méfiera pas et pourra croire que cet état est désirable.
L'ignorance rend donc
fragile : c'est quand on ne connaît pas qu'on est susceptible de prendre un mal pour un bien.
Transition : mais on peut se demander 1° si certaines connaissances ne sont pas tout simplement susceptibles de
nous faire faire le mal et 2° si l'ignorance n'est pas intrinsèque à notre condition
II.
La connaissance peut-elle vraiment s'acquérir ? Quand peut-on dire qu'on s'est délivré du mal et de
l'ignorance ?
A.
toute connaissance n'est pas une connaissance qui est morale.
Ainsi connaître quelque chose, c'est justement
être capable d'en user en mal comme en bien : le médecin est celui qui est capable de soigner comme
d'empoisonner.
Toute connaissance est une connaissance des contraires, elle n'est donc pas morale en tant que
telle.
La connaissance et la morale sont des domaines distincts.
Il faut d'une part savoir comment faire, ou comment
les choses sont, et d'autre part savoir ce qu'il faut faire, or les deux ne sont pas nécessairement concomitantes.
B.
Mais on pourrait distinguer deux types de connaissance : une première connaissance qui semble délivrer de
l'ignorance, et une connaissance bien plus aboutie, celle du sage, qui rejoint l'ignorance.
Celui qui sait à l'impression
de ne plus être ignorant, mais le sage, celui qui a une connaissance plus parfaite encore finit par découvrir les
limites de sa propre connaissance et de sa raison : savoir, au plus haut degré, c'est savoir que l'on ne sait rien.
Dans cette perspective, la connaissance ne nous délivre pas de l'ignorance que de l'illusion de connaître, elle nous
ramène donc à une ignorance bien comprise, justifiée, et qui n'est plus une ignorance-innocence.
C'est une
ignorance informée, qui n'est pas innocente.
Le sage dont le meilleur exemple est Socrate, le plus sage des
Athéniens, qui dit à qui veut l'entendre qu'il ne sait rien.
C.
ce sage-là n'est pas délivré du mal, puisqu'il voit le mal, qu'il fait l'expérience du mal sous forme de tentation.
Paradoxalement, c'est bien plutôt l'ignorant, celui qui ne sait rien du mal qui en délivrer: pour avoir des remords par
exemple, il faut justement connaître le mal, mais par là même le voir, ne pas en être détaché.
Ainsi, connaître l'âme
humaine telle que la connaisse les moralistes, c'est souvent voir le mal et ne pas pouvoir s'en détacher.
La
Rochefoucauld écrivait que toutes nos bonnes actions sont en fait le résultat de notre vanité : on n'est donc pas
devenus bons pour autant, mais on est tellement imbus de nous-même qu'on veut être conforme au bien, sembler
bons.
On voit que la connaissance du moraliste ne peut le délivrer du mal, mais revient à soupçonner le mal derrière.
»
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