La connaissance de la vérité entraîne-t-elle nécessairement la disparation de l'illusion ?
Extrait du document
«
Ce qu'il ne faut pas faire
Confondre l'illusion avec l'erreur, c'est-à-dire avec l'acte où nous jugeons vrai ce qui est faux.
Ce qu'il faut faire
Le terme d'illusion requiert une délimitation très nette.
L'illusion, croyance vitale, représentation liée à un désir,
se distingue de l'erreur, qui se dissipe quand elle est connue comme erreur.
Est-il bien certain que la connaissance du vrai (objectif) conduise à la mort de l'illusion entendue comme
croyance vitale ?
Dire que la connaissance de la vérité contribue à dissiper nos illusions paraît être une tautologie : si je connais le
vrai comment le faux peut-il encore m'abuser ? Pourtant un examen plus attentif du concept d'illusion nous révèle
que l'efficacité de la connaissance n'est peut-être pas aussi forte qu'on le présuppose.
L'illusion en effet n'est pas
réductible à l'erreur, la tromperie qu'elle provoque n'est pas de part en part rationnelle.
La connaissance de la vérité
ne serait peut-être pas vaine pour autant mais certainement d'une portée plus modeste qu'on ne le penserait a
priori.
I- La connaissance de la vérité dissipe l'illusion.
Lorsqu'il apprend la vérité sur son histoire Œdipe est bouleversé : il a en effet tué son père et couché avec
sa mère tout en l'ignorant.
Il prenait ses parents pour des étrangers.
La révélation de cette tragédie coïncide pour
Œdipe avec la dissipation de ses illusions ; il n'y a pas, dans ce cas, alternative entre révélation de la vérité et
disparition de l'illusion.
La vérité est pour Œdipe la disparition de l'illusion.
Si, par une expérience de pensée, nous raisonnons par l'absurde nous pouvons nous demander par exemple
comment concilier la persistance de l'illusion et la connaissance de la vérité dans la mesure où, évidemment, illusion
et vérité portent sur le même objet.
Une telle opération n'est elle pas irréalisable ? Elle nous semble contradictoire.
On ne peut à propos d'un même objet se faire différentes opinions en même temps.
Toutefois il est certain que trancher de la nature d'un objet n'est pas si aisé, au début du Xxe siècle les
physiciens débattaient pour savoir si la lumière était constituée d'ondes ou de corpuscules.
Les expériences des uns
et des autres attribuaient tantôt la vérité tantôt l'illusion à chacune des thèses, avant que De Broglie ne montre
dans les années 20 que les deux thèses pouvaient être conciliées.
Il semble que la connaissance avance par
réfutations successives : le vrai se dégrade en illusion et est remplacé par une nouvelle vérité.
Dans le cas où l'on
propose la synthèse de deux positions apparemment antagonistes c'est encore une vérité qui chasse une illusion (en
l'occurrence la fausse opposition entre deux théories).
Bref il semble intenable de soutenir que la vérité ne fasse pas
disparaître l'illusion.
Mais il faut reconnaître le statut provisoire de la vérité, qui, notamment en science, ne semble
jamais définitive.
II- L'illusion est une tromperie singulière.
Cependant l'illusion doit être distinguée de l'erreur.
L'erreur est d'ordre purement rationnel, c'est la raison
qui, prise en défaut, est susceptible de se tromper.
Aussi l'erreur est sinon réversible du moins soulignée lorsqu'on y
porte une attention suffisante.
Or c'est là que l'illusion diverge : l'erreur est dévoilée par la raison et disparaît par là
même au profit de la vérité tandis que l'illusion, même si elle est dénoncée par la raison n'est pas pour autant
dissipée.
Dans la Critique de la raison pure Kant compare l'illusion des sens et
l'illusion intellectuelle, elles sont d'une structure comparable.
L'astronome a
beau savoir que la lune n'est pas plus grande à son lever, il ne pourra
s'empêcher de la voir telle.
De même la critique de la raison pure aura beau
évaluer et mettre en évidence les limites de la connaissance (on ne peut pas
connaître la chose en soi), la raison ne cessera pas pour autant d'essayer de
connaître ce dont on ne peut faire l'expérience et de théoriser sur l'en soi de
l'âme, du monde ou de Dieu.
L'illusion est sensible ou affective, bref comme
elle n'équivaut pas à une erreur strictement rationnelle le pouvoir de la raison
et donc de la connaissance de la vérité est limitée face à elle.
La vérité de la
raison est d'ailleurs comme le pense Kant qu'elle abrite en son sein des
« illusions constitutives » que même la critique aura du mal à contrôler.
Le langage commun permet d'ailleurs de saisir la distinction entre
erreur et illusion : on dit « commettre une erreur » mais « être dans
l'illusion » ; l'erreur est une faute ponctuelle, un incident spatio-temporel de
notre intellect tandis que l'illusion implique un état.
Lorsque nous sommes
trompés par le magicien c'est une atmosphère, une mise en scène, un tout
qui nous abuse, nous ne commettons pas d'erreur intellectuelle.
L'illusion ne
témoigne-t-elle pas en faveur d'une part humaine définitivement récalcitrante
à la raison, n'est-elle pas le corrélat, négatif certes mais essentiel, du fait.
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