La beauté est-elle dans le regard que l'on porte sur les choses ?
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Introduction
La beauté est la norme sur laquelle prend appui l'appréciation positive du jugement de goût, que ce
jugement porte sur des réalités naturelles ou sur des produits de l'art..
Quand on se demande si la beauté est dans
le regard que l'on porte sur les choses, on affirme deux thèses :
1)
que la beauté est dépendante en premier lieu, sinon exclusivement du regard qui la perçoit,
2)
qu'il faut rechercher une définition de la beauté non pas dans les choses belles (comme un point commun
entre elles) mais dans sa manifestation (comme un mode d'apparition).
Ces deux thèses ont une portée différente selon la signification des termes, en particulier pour le regard :
1)
Le regard peut désigner aussi bien l'acte de regarder que la manière dont on regarde.
2)
Le regard peut être sentiment (réceptivité et réaction à un objet) ou jugement (sur la nature et la valeur
de l'objet).
3)
Le regard peut être connaissance (d'une règle ou d'un concept qui rend compte de l'objet particulier) ou
reconnaissance (de soi dans l'objet).
À cela s'ajoute le problème de l'extension que l'on donne :
1)
au sujet du regard (« on ») : tout le monde, l'artiste, le critique, le public ;
2)
à l'objet du regard (« les choses ») : les œuvres d'art, les choses naturelles, les idéalités, les actes ou
encore des situations de la vie courante.
Pour unifier les problèmes posés, on peut se servir d'un contrepoint qui unifie, au moins provisoirement, toutes les
réponses positives à la question, en ce qu'il implique qu'en aucun sens la beauté ne peut résider que dans le regard
sans résider avant tout et en premier lieu dans les choses belles.
Ce contrepoint c'est l'idée de canon de la beauté,
au sens (pour les beaux-arts) de modèle de la belle forme, modèle défini par le système de ses proportions.
L'enjeu
de la question posée apparaît alors se concentrer dans le statut de la beauté : consiste-t-elle dans une harmonie
des proportions ou dans un sentiment subjectif ? Dans le premier on pourra dire que la beauté est objective,
existante par soi, et constitue immédiatement une norme.
Dans le second cas, elle sera subjective, construite, et
reposant en premier lieu sur une expérience qui la constitue.
1.
Pas de canon
1)
Remise en cause du concept d'un canon de la beauté, comme idée que des proportions mathématiques
peuvent rendre une chose belle en soi, à la manière d'une vérité mathématique qui est invariablement vraie,
qu'on la connaisse ou non.
Dürer en 1528 reprend le « canon de Vitruve » (De architectura, III, 1), c'est le
corps humain inscrit dans un carré et dans un cercle, où le centre est le nombril, canon dont Léonard de
Vinci donnera une version célèbre.
Dürer fait subir aux canons des projections anamorphotiques
(déformations de la représentation illusionniste qu'implique le point de vue du spectateur) : l'homme parfait
devient successivement un paysan corpulent ou un corps décharné.
2)
Le sens philosophique de ces expérirences baroques de déformation d'un corps est que la beauté que l'on
trouve dans l'œuvre d'art n'est pas déterminables par des règles géométriques.
C'est le sens de la définition
kantienne du beau comme « ce qui plaît universellement sans concept » (Critique de la faculté de juger) :
l'absence de concept signifie qu'il n'y a pas de règle pour produire un objet beau, que l'objet beau n'est pas
tel parce qu'il serait subsumable sous un concept de beauté.
3)
Le beau doit être recherché dans le regard, c'est-à-dire que la beauté est moins une propriété
intrinsèque des objets comme le laissaient penser l'idée de proportions harmonieuses, qu'un sentiment
provoqué par une rencontre imprévisible et contingente.
Transition : comment penser la beauté à la fois « universellement » et « sans concept » ? Si elle réside dans le
regard singulier et contingent porté sur les choses, n'est-elle pas définitivement subjective, relative et
incommunicable ?
2.
Pas de goût
1)
La solution kantienne à ce problème consiste à reconnaître dans le regard non seulement un sentiment
mais aussi un jugement : le regard n'est pas quelque chose de seulement passif, mais il témoigne de l'activité
des facultés d'un sujet qui ne fait pas que recevoir tel ou tel objet.
Le goût, tel que le conçoivent les
penseurs du XVIIIème siècle comme Hume, n'est pas seulement l'empreinte faite sur les sens, mais aussi la
faculté d'exprimer un jugement de plaisir ou de déplaisir sur un objet contemplé.
2)
Pour résoudre la tension entre individuel et collectif, Kant transforme le concept de goût en distinguant
nettement ce qui relève du plaisir et ce qui relève du beau.
Le critère mobilisé est celui de la communicabilité
: c'est ce critère qui permet de résoudre la tension entre l'individuel et le collectif.
Si la beauté réside dans le
regard et non dans la chose, il n'en reste pas moins qu'il ne s'agit pas seulement de mon regard singulier,
j'attends qu'en droit au moins mon regard puisse correspondre au regard d'autrui sur la chose.
3)
Mais ce critère semble insuffisant à dégager quelque chose comme la beauté, le risque est de diluer l'idée
même de beauté dans une recherche superficielle de consensus, là où des expériences radicales sont en jeu.
C'est ce que vise Hegel, dans l'Esthétique quand il critique le goût : « La chose exige un jugement en
profondeur ; le goût, le sentiment, ne peut rester qu'à la surface et se contente de réflexions abstraites ».
Transition : si on veut conserver un sens fort à l'idée de beauté, il faut opérer un double mouvement : préciser
l'activité même que suppose le regard en question, et déterminer en quel sens prendre les « choses » sur lequel.
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