L' idée d'une liberté sans limites a-t-elle un sens ?
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VOCABULAIRE:
SANS: A l'exclusion de, exprime l'absence.
LIMITE (n.
f.) 1.
— Ce qui sépare deux portions d'espace ; par anal., ce qui borne une étendue, un temps, une fonction.
2.
—
Extension extrême d'une étendue, d'une faculté, sans que pour autant on ait à concevoir quelque chose qui lui serve de borne ; en ce
sens, KANT oppose limite à borne.
3.
— (Math.) Un nombre A est la limite d'une série croissante S, si, quel que soit ∑ aussi petit que l'on
veut, il e xiste toujours un nombre B appartenant à s, te l que A - B < ∑.
IDÉE: Parfois synonyme de représentation mentale, parfois de concept (idée générale et abstraite); dans le platonisme, et avec un I
majuscule, les Idées sont les modèles des choses, existant en soi, que l'âme contemplait avant son incarnation.
Nous fabriquons les
concepts, nous contemplons les Idées.
LIBERTÉ:
Ce mot, en philosophie a trois sens :
1° Libre arbitre.
Pouvoir mystérieux de choisir entre les motifs qui me sollicitent sans être déterminé par aucun d'eux.
2° Liberté de spontanéité.
S'oppose non plus au déterminisme mais à la contrainte : état de celui qui agit sans être contraint par une
force extérieure.
3° Liberté du sage.
État de celui qui est délivré des passions et agit à la lumière de la raison.
Il s'agit ici de considérer une idée : il n'est pas demandé, dans un premier temps, de réfléchir au fait d'une telle liberté et à la
possibilité factuelle de celui-ci.
1.
L'apparence insensée d'une telle idée.
Dans une première approche, il est nécessaire de bien distinguer différentes formes de la liberté à partir desquelles l'idée de cette liberté
sera examinée quant à son sens possible.
Il est nécessaire d'explorer cette idée dans trois domaines principaux nature ; morale et
politique ; métaphysique.
a.
Sur le plan de la nature, l'idée paraît insensée : en tant que l'homme se trouve lié à un déterminisme naturel, ses possibilités
physiques, vivantes, ses forces, bref son corps, apparaissent comme une limite infranchissable de sa nature.
Nul ne peut s'affranchir des
conditions de l'espace et du temps et la mort vient limiter de manière évidente la liberté humaine.
Soumis à des conditions physiques et
biologiques d'existence, l'homme paraît donc pris dans une vaste chaîne de causes et d'effets qui le dépassent et nient la liberté en lui.
Il
se trouve donc fondamentalement contraint de vivre en vertu de mécanismes naturels qui ne sont pas l'objet d'un choix.
Le devenir de
son être vivant lui échappe pour une part considérable.
b.
Sur le plan moral et politique, l'idée d'une liberté sans limites ne paraît guère plus convaincante : en tant que la morale suppose un
rapport des libertés, en tant que la politique a pour fonction d'harmoniser les libertés de tous, c'est bien encore à l'expérience d'une limite
que ces deux domaines nous confrontent sans cesse.
Toute forme de vie politique comporte des droits, certes, mais aussi des devoirs
que nous sommes tenus de respecter.
Le domaine politique, en ce sens, semble au contraire avoir pour objet de fixer les limites à
l'intérieur desquelles la liberté de tous les citoyens peut s'exprimer.
c.
Sur le plan de la pensée, notre liberté est sans cesse confrontée à
ses propres préjugés, ainsi qu'à des contenus de pensée que nous pouvons bien croire nôtres, mais qui ne nous appartiennent pas
vraiment (les opinions, par exemple, qui résultent de notre milieu social).
Pas plus que dans les deux formes précédentes, l'idée d'une
liberté sans limites ne paraît avoir de sens : l'entendement humain semble, au contraire, essentiellement fini, et donc limité dans son
pouvoir de connaître comme dans l'étendue de ses connaissances.
Transition critique : Est-ce dire par là qu'il s'agit d'une idée insensée, c'est-à-dire à laquelle nous ne pouvons donner aucun sens positif ?
Se pose alors le problème de savoir comment nous pouvons cependant concevoir une telle idée.
Peut-être n'est-elle encore qu'une
chimère, mais cela ne la prive pas de sens.
2.
Les sens possibles d'une telle Idée.
a.
Une liberté infinie prend sens à partir du moment où l'homme cesserait d'être affranchi de sa condition finie d'existence.
N'est-ce pas là
le sens profond de l'idée d'âme immortelle ? Affranchie des limites de l'espace et du temps, l'âme peut ainsi vivre une liberté infinie et
absolue.
Sur le plan de la religion, l'idée d'une liberté sans limites peut effectivement recevoir un sens positif.
Les croyances religieuses
manifestent cet effort spirituel pour concevoir l'homme comme participant à une surnature (qui est dépassement de la nature et du
donné).
En ce sens, cette idée convient à un dieu plus qu'aux hommes.
b.
Au niveau politique, c'est en considérant l'histoire que l'idée peut recevoir un sens.
Kant, par exemple, ne parle-t-il pas de l'histoire
humaine comme d'un progrès vers la liberté ? L'idée d'une liberté sans limites peut ici jouer un rôle régulateur : l'humanité tend vers cette
liberté et c'est justement parce qu'elle la conçoit qu'elle ne peut jamais se satisfaire des conditions qui sont faites à la liberté réelle.
Sur le
plan moral, l'idée d'une liberté sans limites pourrait bien désigner un pouvoir de commencement absolu, idée sans laquelle c'est la
possibilité même de la morale qui devient impossible.
Là encore, c'est à un usage régulateur qu'il faut en appeler : si nous ne pouvons
prouver cette liberté, du moins devons-nous la penser et la concevoir pour que la moralité ait un sens.
Sans la référence à une telle idée,
comment penser, par exemple, la responsabilité humaine ? C'est justement parce que rien ne doit excuser l'acte immoral que nous
pensons à cette idée.
c.
Mais c'est sur le plan de la pensée que l'idée peut prendre tout son sens : Descartes n'évoque-t-il pas le caractère infini de la volonté
humaine ? Elle me révèle l'image et la ressemblance de ma personne avec Dieu.
Mais faut-il l'attribuer à Dieu seulement ? Le pouvoir
humain de douter semble en effet sans bornes.
L'idée d'une liberté sans limites peut ainsi être corrélative de celle d'une volonté infinie.
Le propre de l'idée de la pensée n'est-il pas alors de posséder une telle liberté ? Sans l'infini de la liberté, la pensée ne serait jamais en
mesure d'être elle-même : la connaissance ne manifeste-t-elle pas justement une capacité infinie de création de la pensée humaine ?
Transition : Si l'imparfait se mesure à l'aune du parfait, l'idée d'une liberté sans limites peut donc nous aider à penser le sens de notre
liberté réelle.
Ne faut-il pas distinguer alors deux idées de la liberté : une liberté infinie, qui nous sert à mesurer notre liberté empirique ?
L'idée d'une liberté sans limites ne serait-elle pas, en ce sens, le commencement même de l'humanité ?
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