KANT: les beaux-arts et la connaissance scientifique
Extrait du document
«
Articulation des idées
1.
Kant établit une distinction entre science et art :
Il n'existe entre le plus grand savant qui fait une importante découverte et le plus
« laborieux écolier » qu'une différence de degré.
En revanche, il existe entre le grand artiste et le simple imitateur une différence de
nature.
2.
Il en donne l'explication :
L'invention scientifique s'inscrit dans un progrès graduel, continu, méthodique et
sans limite.
C'est pourquoi une découverte scientifique peut toujours être découverte
ou redécouverte par un autre esprit : chacun, pourvu
qu'il apprenne, qu'il accroisse ses connaissances et se plie à la méthode
scientifique est susceptible, du moins théoriquement, de refaire, de redécouvrir ce
que les grands savants ont fait.
L'invention géniale de l'artiste est, au contraire, une capacité de produire telle ou telle œuvre d'art absolument
originale et exemplaire, capacité qui ne peut être acquise par aucun autre créateur : elle a pour cause un don
naturel
de créer, don spécifique qui disparaît avec celui qui l'a reçu.
La manifestation d'un tel don chez un autre ne peut
donc pas résulter d'un apprentissage méthodique.
Intérêt philosophique du texte
L'intérêt philosophique de ce texte est d'apporter une réponse originale et profonde au problème de la
spécificité de l'art (des beaux-arts) en y voyant une production du génie.
Kant définit en effet les beaux-arts comme les arts du génie (cf.
Critique du jugement, § 46).
Le génie est « la disposition innée de l'esprit par laquelle la nature donne ses règles à l'art ».
Il se caractérise par
:
1.
L'originalité : «le génie est le talent de produire ce dont on ne saurait donner de règle déterminée, ce n'est pas
l'aptitude à ce qui peut être appris d'après une règle quel¬conque».
2.
L'exemplarité : «ses productions, car l'absurde aussi peut être original, doivent en même temps être des
modèles».
Elles «doivent être proposées à l'imitation des autres».
3.
L'incapacité à « indiquer scientifiquement comme il réalise son œuvre » ; et pourtant « il donne, en tant que
nature, la règle.
Donc l'auteur d'une œuvre qu'il doit à son génie ne sait pas lui-même d'où viennent les idées et il
ne dépend pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après un plan, ni de les communiquer à d'autres dans des
prescriptions qui les mettraient à même de produire de semblables ouvrages ».
C'est cette définition du génie qu'explicite et illustre Kant dans notre texte.
Un esprit aussi puissant que Newton n'est pas un « génie » en ce sens que son œuvre ne lui appartient pas en
propre : la gravitation universelle, si elle n'avait pas été découverte par lui, aurait été découverte par quelqu'un
d'autre.
En revanche si Homère n'avait pas écrit l'Iliade ni l'Odyssée, personne n'aurait pu les écrire à sa place.
L'originalité
de l'artiste est irréductible, non celle du savant.
Par ailleurs les découvertes de Newton peuvent être «
redécouvertes » en ce sens que l'on peut reproduire sa démarche : « on peut apprendre tout ce qu'il a exposé ».
Mais on ne peut apprendre à composer des poèmes comme ceux que composait Homère : si nous ne possédons
pas son génie (et comment le posséderions-nous ?), ce génie manquera toujours à nos compositions.
Certes, le
génie engendrera une école, mais ses imitateurs ne feront que des pastiches, à moins qu'ils ne possèdent euxmêmes du génie.
Or si
l'on ne peut apprendre à composer des œuvres comme celles que produit l'artiste de génie, c'est que celui-ci
ignore lui-même, contraire ment au savant,
selon quelles règles il les produit.
Newton peut rendre compte, dans le moindre détail, de l'enchaînement de ses
idées, tandis que Homère « ne peut montrer comment ses idées surgissent et s'assemblent dans son cerveau ».
(Hegel s'opposera ici à Kant, en affirmant : « Il est ridicule de s'imaginer que le véritable artiste ne sait pas ce
qu'il fait», Esthétique, coll.
Champs, I, p.
355).
Mais si l'on ne peut apprendre à produire une œuvre de génie, comment peut-on alors proposer de telles œuvres
à l'imitation ? C'est que les œuvres d'un génie données comme modèles pourront exciter, révéler d'autres génies :
« Les idées de l'artiste éveillent dans l'élève de semblables idées, si la nature a doué celui-ci de facultés
équivalentes » (Critique du jugement, § 47)..
»
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