KANT: L'adversité, la douleur, la pauvreté et tentation
Extrait du document
«
"L'adversité, la douleur, la pauvreté sont de grandes tentations menant l'homme à
violer son devoir.
L'aisance, la force, la santé et la prospérité en général, qui
s'opposent à cette influence, peuvent donc aussi, semble-t-il, être considérées
comme des fins qui sont en même temps des devoirs, je veux dire le devoir de
travailler à son propre bonheur et de ne pas s'appliquer seulement à celui d'autrui.
— Mais alors ce n'est pas le bonheur qui est la fin, mais la moralité du sujet, et le
bonheur n'est que le moyen légitime d'écarter les obstacles qui s'opposent à cette
fin ; aussi personne n'a ainsi le droit d'exiger de moi le sacrifice de mes fins qui ne
sont pas immorales.
Ce n'est pas directement un devoir que de chercher pour ellemême l'aisance, mais indirectement ce peut bien en être un, à savoir écarter la
misère comme étant une forte tentation de mal agir.
Mais alors ce n'est pas de mon
bonheur, mais de ma moralité que j'ai comme fin et aussi comme devoir de
conserver l'intégrité." KANT.
[Introduction]
« L'homme », affirmait Aristote, « vit pour être heureux » : le bonheur serait donc le but de l'existence, une fin
autosuffisante.
La plénitude que l'on y ressent n'en constitue-t-elle pas la meilleure justification ? Il peut ainsi paraître
qu'il n'y a rien à atteindre de plus que le bonheur, ou au-delà de ce qu'il nous offre.
Pour affaiblir sa séduction
immédiate, Kant fait ici valoir que, lorsqu'il fait défaut, l'individu risque de violer son devoir — ne serait-ce que pour
obtenir ce qui lui est nécessaire.
Le bonheur, dès lors, n'a de valeur que dans la mesure où il permet d'éviter les
conséquences néfastes du malheur : c'est dire qu'il ne peut être une fin en soi, et qu'il n'importe que dans la mesure
où il autorise l'intégrité de la moralité.
[I.
Le devoir de ne pas être malheureux]
Vers quoi peut nous entraîner une situation privée de tout ? Telle est la question implicite qui justifie la première phrase
de Kant, constatant que l'excès de privation risque de mener l'homme à violer son devoir.
Il n'est pas ici question de
privations volontaires ou recherchées, telles qu'on en fait la louange chez certains mystiques, et qui aideraient
l'individu à en finir avec les tentations « mondaines » pour se consacrer exclusivement à Dieu.
Tout au contraire, «
l'adversité, la douleur, la pauvreté » sont subies, et celui qui les subit est un homme tout à fait ordinaire, qui peut dès
lors être tenté de violer son devoir, ne serait-ce que pour survivre.
Même s'il sait qu'il a le devoir de ne pas voler, il
n'est pas inimaginable qu'il s'y trouve pour ainsi dire obligé pour satisfaire sa faim.
Si donc le malheur risque de nous détourner de la moralité, on peut admettre que son contraire éloignera un tel danger,
et que sa quête doit être encouragée : l'aisance et la prospérité constituent dès lors des fins en même temps que des
devoirs.
Je dois donc chercher à les atteindre, y appliquer ma volonté.
Il existe ainsi une obligation à faire son propre
bonheur, et pas seulement à se préoccuper de celui d'autrui.
Alors même que la moralité et le devoir sont des notions
qui se réfèrent à l'existence collective des hommes, cette conception du bonheur individuel comme devoir semble
introduire une considération « égoïste », et amener une variante de l'eudémonisme.
Car, si rechercher mon bonheur
constitue aussi un devoir, ne serai-je pas tenté de me complaire dans le bonheur et de considérer qu'il a lui-même une
valeur ?
[II.
Le bonheur au service de la moralité]
Kant prévient une telle interprétation en soulignant que ce n'est pas le bonheur du sujet qui constitue sa propre fin,
mais bien la moralité du sujet.
Le bonheur n'apparaît plus alors que comme un moyen, et non comme une fin : il est le
moyen d'écarter la tentation, provoquée par la situation contraire, de ne pas faire son devoir.
Le devoir de bonheur est
ainsi au service des autres devoirs : il garantit que rien ne viendra s'opposer à leur réalisation.
C'est pourquoi il est
qualifié de « légitime » : il n'est pas en lui-même contraire à la loi morale, et c'est bien son existence qui facilite au
contraire la manifestation de cette loi.
Cette légitimité a pour conséquence que personne ne peut « exiger de moi le
sacrifice de mes fins qui ne sont pas immorales ».
La dernière précision est du plus grand prix, puisqu'elle sous-entend
que je n'ai pas, moralement, le droit de chercher à réaliser mon bonheur par des voies immorales – faute de quoi on
pourrait en venir à penser, puisque le bonheur est à la fois une fin et un devoir, que tous les moyens sont bons pour
l'assurer.
Ce serait tomber dans ce que Kant nomme « fanatisme des fins », et emprunter la voie de l'immoralité.
Il est clair que le devoir de bonheur ne peut entrer en contradiction avec les autres devoirs, si le bonheur n'est qu'un
moyen de garantir la possibilité de la moralité.
C'est pourquoi il constitue une sorte de devoir préliminaire, ou « indirect
», au sens où l'aisance acquise permet d'écarter la tentation de mal agir.
Dans ce cas, il ne peut davantage être une
fin en soi ou absolue, la seule fin authentique est celle qui cherche à conserver l'intégrité de la moralité, en écartant
ce qui viendrait lui faire obstacle, et en privilégiant ce qui la favorise.
[III.
Rigueur kantienne et bonheur quotidien].
»
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