Kant: La nature et l'histoire
Extrait du document
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Les lois les plus générales de la nature sont les lois nécessaires sans lesquelles nous ne pourrions comprendre la
nature : si nous voyons par exemple des causes et des effets, c'est que nous ne pourrions appréhender la nature
autrement.
Cependant, une foule de lois particulières de l'expérience auraient aussi bien pu être tout autres :
ainsi, quelle nécessité que le règne animal se distingue si simplement en espèces ? Pour comprendre ce
phénomène, la faculté de juger recourt au principe de la finalité : il n'y a pas des phénomènes naturels
anarchiques qui par hasard se conforment à une certaine rationalité, mais au contraire un concept initial qui
préside à la production de la nature.
La finalité n'est cependant qu'une supposition de l'esprit humain ; rien ne
prouve que c'est une réalité.
La faculté de juger interroge la nature comme si elle était le produit d'un plan.
Au
lieu que l'objet détermine le concept qu'on s'en fait, c'est le concept qui produit l'objet : la finalité est ainsi un
indice de la volonté qui se réalise dans la nature ; c'est un signe de possibilité de la liberté.
1.
La nature
A.
Mécanisme et finalité
La main est l'organe de la préhension : est-ce que c'est parce que nous avons une main que nous pouvons
prendre, ou est-ce au contraire pour que nous puissions prendre que nous avons une main ? Les causes de la
production de la main peuvent être simplement aveugles ; la main peut aussi avoir été créé précisément dans le
but que l'homme se saisisse des choses.
Lorsque tout est expliqué par des causes aveugles, on parle de
mécanisme de la nature ; lorsque au contraire la cause est la représentation d'une fin à atteindre, on parle de
finalité de la nature.
Certains phénomènes peuvent être expliqués par une cause finale, bien qu'une simple cause mécanique y
suffise.
Ainsi, on pourrait dire que la rivière charrie des alluvions pour rendre ses rives fertiles : il suffit pourtant
de dire que les rives sont fertiles parce que la rivière charrie des alluvions.
Certains corps ont été produits intentionnellement par une cause extérieure : ainsi, la montre a été créée par
l'horloger selon une cause finale.
Chaque pièce de la montre en effet permet le mouvement de toutes les autres,
et toutes les autres permettent son mouvement : les pièces d'une montre sont organisées en vue d'une fin
extérieure, et l'on ne comprend la production de la montre qu'à partir d'une idée de sa fin (son usage).
Comme pour les produits de la technique, la production de certains corps naturels ne peut être comprise que
par une cause finale.
Chaque partie de l'arbre est utile à toutes les autres, et réciproquement.
La cause finale naturelle est cependant
une cause intérieure : le vivant ne sert pas à un quelconque usage, sa fin est au contraire de se produire luimême.
À la différence de la montre, l'arbre se répare tout seul ; il se développe seul, se reproduit au sein d'une
espèce ; ses parties ne sont pas seulement utiles les unes aux autres, elles sont indispensables à l'existence les
unes des autres.
La production d'un vivant est incompréhensible par de simples causes mécaniques : j'aurais beau associer les
membres inertes d'un homme, je n'en ferai pas pour autant un vivant.
La production d'un organisme, c'est-à-dire
d'un corps naturel s'organisant lui-même, n'est possible qu'à partir d'une fin : la conservation du vivant.
B.
D'un usage scientifique de la finalité
L'explication scientifique de la nature exige que nous ne recourions qu'à des causes mécaniques ; son principe
est : toute production de chose matérielle doit pouvoir être pensée mécaniquement.
Cependant, quelques
productions de choses matérielles ne peuvent pas être jugées possibles d'après de simples lois mécaniques, mais
exigent des causes finales.
Ces principes ne portent pas sur la réalité des choses, mais expriment deux exigences
contradictoires de l'esprit humain.
Nous ne pouvons donc savoir si la finalité existe réellement dans la nature ; nous ne pouvons que constater
notre impuissance à comprendre certaines productions de la nature autrement.
La finalité est donc un fil
conducteur pour la réflexion, non un principe objectif.
Nous pouvons en faire un usage régulateur et heuristique
(cf.
fiches 44 et 45).
C.
L'homme, fin ultime de la nature
Il serait absurde de dire que la lune est le moyen, pour la mer, de se mouvoir par marées ; au contraire, les
courants qui lui apportent de quoi se nourrir deviennent pour la moule des moyens.
C'est parce qu'il y a des
vivants dans la nature qu'il y a une finalité dans le système de la nature : parce que certaines productions de la
nature sont des fins pour elles-mêmes, d'autres peuvent apparaître comme des moyens en vue de ces mêmes
fins.
Toutes les fins de la nature sont conditionnelles : un vivant ne vit pas simplement pour vivre, mais en vue
d'autres fins.
La seule fin qui ne soit pas conditionnée à une fin supérieure, c'est le devoir, que seul l'homme est
en mesure d'accomplir.
La fin suprême de la nature, celle à laquelle toutes les autres sont subordonnées, celle qui
seule donne un sens à la Création, c'est l'homme moral.
La nature ne nous paraît donc exister qu'en vue de la
réalisation de la liberté humaine au travers de l'accomplissement du devoir.
2.
L'histoire
derniers hommes jouiront du bonheur total, auquel auront travaillé la totalité de leurs aïeux.
A.
La raison et la nature
Chacun poursuit la satisfaction de son intérêt propre, sans se soucier de l'intérêt commun ; chacun réalise ses
fins particulières sans se soucier de réaliser les fins de la nature.
Le cours de l'histoire semble donc le chaos des
passions.
L'égoïsme passionnel des hommes à l'oeuvre dans l'histoire ne réalise pas la fin morale de la nature ;
cependant, il travaille à en favoriser la réalisation.
En s'organisant en effet les uns contre les autres, le plus grand.
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