KANT et la guerre
Extrait du document
«
"Il ne doit y avoir aucune guerre; ni celle entre toi et moi dans l'état de
nature...
puisqu'elle est un devoir." KANT
Il ne doit y avoir aucune guerre ; ni celle entre toi et moi dans l'état de nature, ni
celle entre nous en tant qu'États, qui bien qu'ils se trouvent intérieurement dans un
état légal, sont cependant extérieurement (dans leur rapport réciproque) dans un
état dépourvu de lois - car ce n'est pas ainsi que chacun doit chercher son droit.
Aussi la question n'est plus de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de
réel ou si ce n'est qu'une chimère et si nous ne nous trompons pas dans notre
jugement théorique, quand nous admettons le premier cas, mais nous devons agir
comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être, et en vue de sa fondation
établir la constitution qui nous semble la plus capable d'y mener et de mettre fin à
la conduite de la guerre dépourvue de salut, vers laquelle tous les États sans
exception ont jusqu'à maintenant dirigé leurs préparatifs intérieurs, comme vers leur
fin suprême.
Et si notre fin, en ce qui concerne sa réalisation, demeure toujours un
voeu pieux, nous ne nous trompons certainement pas en admettant la maxime d'y
travailler sans relâche, puisqu'elle est un devoir.
KANT
Introduction
La guerre n'a cessé d'ensanglanter l'Histoire et de renaître tel un Phoenix.
L'idée d'une paix perpétuelle seraitelle pure chimère ? Il n'y a pas loin du constat à l'interprétation fataliste, qui voit dans les faits passés et
présents la nécessaire conséquence de la méchanceté naturelle de l'homme, donnée comme évidente.
Ce «
diagnostic » apparemment lucide n'annonce rien de bon pour l'avenir, si les mêmes causes produisent les
mêmes effets.
La disqualification d'une espérance, lorsqu'elle conduit l'homme à renoncer à son devoir, et
justifie son cynisme en le donnant comme réalisme, relève d'une approche critique rigoureuse, car elle atteste
une certaine confusion.
Le doute quant à l'existence future d'un monde sans guerre justifie-t-il ce qui, sous
prétexte de réalisme politique, maintient entre les États une logique de rapports de forces ? Le paradoxe
habituel, « si tu veux la paix prépare la guerre », est-il aussi évident qu'on le prétend ? L'idée d'un droit
international permettant de s'acheminer vers la paix entre les États est-elle si chimérique ? L'étude d'un texte
de Kant va nous permettre de prendre en charge ces questions, dont l'enjeu est décisif pour définir le sens de
l'idéal de paix.
Étude ordonnée du texte
Aucun homme, lorsqu'il dispose de sa raison, et prend lucidement la mesure de ce qu'est une guerre, ne peut
réellement la vouloir.
Certes, il croit devoir s'y résoudre dans des cas où elle lui semble nécessaire pour
recouvrer une liberté, pour résister à une agression.
Mais alors il ne la saisit que comme moyen, et veut bien
sûr en limiter la réalité au strict nécessaire pour atteindre la fin visée.
C'est dire qu'aucun homme ne peut,
lorsqu'il se comprend lui-même comme sujet rationnel et partie prenante de l'humanité, vouloir la guerre pour
elle-même.
La guerre ne peut jamais être une fin en soi, sauf peut-être pour ceux qui la valorisent en tant
qu'aventure, et ne la valorisent ainsi que tant qu'ils n'en sont pas les victimes.
En fait, la guerre n'est tout au
plus que le substitut déplorable d'une autre façon de faire de la politique (cf.
la célèbre affirmation de
Clausewitz : « La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens »).
Le sens qu'il faut donner à
la maxime qui ouvre le texte est très clair : « Il ne doit y avoir aucune guerre.
» Le thème du texte est ici
dessiné : il s'agit de la paix comme fin idéale.
La maxime évoquée par Kant est envisagée dans son application
parallèle aux relations entre individus, et aux relations entre États.
Le caractère très personnalisé de la
formulation mérite ici l'attention : « entre toi et moi dans l'état de nature, entre nous en tant qu'États » : Kant
n'écrit pas « entre les hommes », qui seraient alors entendus de façon anonyme.
S'il envisage tour à tour les
hommes dans l'état de nature et les hommes dans l'exercice de la citoyenneté, comme partie prenante des
États, ne cherche-t-il pas à faire éprouver, par sa formulation, que chaque personne est une fin, en tant
qu'elle est comprise comme humanité, et, inversement, que l'humanité est en jeu dans chaque personne ? C'est
toujours une personne qui meurt, et non un homme abstrait : et c'est justement pour cela que toute mort me
touche, car elle pourrait être celle d'un proche.
Le point de vue de l'universel est d'emblée en jeu dans la prise
en considération de la personne en tant que telle.
Ceux qui envisagent sans cas de conscience une guerre
n'appréhendent le plus souvent que la figure la plus impersonnelle de la mort des autres.
L'admettraient-ils
aussi facilement si la perspective de la mort de leurs proches se présentait à leur esprit ? La pensée de ta mort
(la mort en « deuxième personne », selon Jankélévitch (cf La Mort, Éd.
Champs Flammarion), lorsqu'elle me sert
à saisir ce que peut être la mort de tout homme, me la rend insupportable : les morts anonymes des guerres
(en « troisième personne » dirait Jankélévitch), reconsidérées à travers cette pensée, constituent un scandale
permanent, trop souvent banalisé, et auquel on ne peut ni ne doit s'habituer.
Kant évoque donc très fortement
le refus de la guerre, comme refus d'un état de nature, c'est-à-dire d'un état où règne le seul rapport de
forces, où le droit n'existe pas.
Mais c'est pour souligner aussitôt une sorte d'anomalie : pour mettre fin à l'état
de nature et à ce qui pourrait bien être, selon la formule de Hobbes, un « état de guerre de tous contre tous »,.
»
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