KANT et la domination du maître
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«
PRESENTATION DE "IDEE D'UNE HISTOIRE UNIVERSELLE D'UN POINT DE VUE COSMOPOLITIQUE" DE KANT
Cet opuscule marque la première intervention de Kant (1724-1804) dans les débats de ses contemporains sur l'histoire.
Il défend la croyance au progrès de l'humanité contre les ennemis des Lumières, qui prônent le conservatisme en
affirmant la supériorité des traditions sur la raison (Burke) et contre certains penseurs des Lumières, qui rejettent l'idée
d'un progrès global et uniforme de l'humanité (Mendelssohn et Herder).
Il ne s'agit pas d'affirmer dogmatiquement
l'existence du progrès, mais d'adopter un point de vue philosophique sur l'histoire pour conforter l'homme raisonnable
dans ses efforts afin d'oeuvrer au bien de l'humanité.
« L'homme est un animal qui a besoin d'un maître...» KANT.
Emmanuel Kant (1724-1804), philosophe allemand, a donné son nom au courant de la
philosophie critique, en mettant en évidence qu'il y a nécessité à établir, avant toute
vision du monde systématique, « les conditions, les présuppositions, la portée et les limites
de la connaissance ».
Une grande partie de son oeuvre est consacrée à la morale,
notamment les Fondements de la métaphysique des moeurs (1785) et la Critique de la
raison pratique (1788).
Mais, à côté d'oeuvres monumentales, Kant publie dans la presse
littéraire de nombreux articles qui popularisent son point de vue.
C'est le cas de l'Idée
d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, paru en 1784, dans une revue
berlinoise, et qui mêle une interrogation sur ce que pourrait être la finalité d'une histoire
universelle de l'humanité avec des considérations sur la morale.
On y trouve cette formule,
à première vue étonnante par sa fermeté :
« L'homme est un animal qui, du moment où il vit parmi d'autres individus de son espèce, a
besoin d'un maître.
»
C'est que, pour Kant, l'homme est double : il appartient à l'ordre du sensible, c'est-à-dire,
dans le vocabulaire de Kant, à l'ordre du « phénoménal » (« en tant qu'être sensible,
l'homme est phénomène »), mais il appartient aussi à l'ordre du rationnel, c'est-à-dire, dans
le vocabulaire de Kant, à l'ordre du « nouménal » (« en tant qu'être spirituel, raisonnable, posant des fins et se
donnant à soi-même des lois, doué d'une volonté libre, il est noumène, appartenant au monde intelligible »).
L'homme
est un animal, et à ce titre, dit Kant, un être de médiocre importance, « n'ayant en commun avec les autres animaux,
en tant que produits de la terre, qu'une valeur ordinaire ».
Cependant, c'est un animal différent de tous les autres
animaux en ce que la nature a placé en lui des dispositions qui visent à l'usage de la raison.
Autrement dit, l'homme est
un animal raisonnable.
Mais en même temps que la nature le dotait de raison, elle le privait de l'instinct qu'elle a
pourtant donné à l'animal, sans lui fournir non plus la connaissance innée dont aurait pu disposer une créature
absolument et parfaitement raisonnable : « L'homme se distingue de tous les autres animaux par la conscience qu'il a
de lui-même, qui fait de lui un animal raisonnable » (Annonce de la prochaine conclusion d'un traité de paix perpétuelle
en philosophie, 1796).
Homme double donc, puisque « la nature a ancré en nous deux dispositions orientées vers deux
fins différentes, à savoir l'humanité en tant qu'espèce animale et cette même humanité en tant qu'espèce morale ».
En tant qu'il est une personne, c'est-à-dire le sujet d'une raison moralement pratique, l'homme est au-dessus de tout
prix:
« Il faut l'estimer, non pas simplement comme un moyen pour les fins d'autrui — pas même pour les siennes propres —
mais au contraire comme une fin en soi-même, c'est-à-dire qu'il possède une dignité (valeur intérieure absolue) par
laquelle il force au respect de lui-même toutes les autres créatures raisonnables » (Métaphysique des moeurs).
Mais lorsqu'on regarde concrètement les actions humaines, on ne voit, sauf très rares exceptions, que des hommes qui
cherchent à accomplir « leurs fins particulières en conformité avec leurs désirs personnels, et souvent au préjudice
d'autrui ».
Ce qui, dans l'ensemble, ne donne « qu'un tissu de folie, de vanité, souvent aussi de méchanceté puérile et
de soif de destruction » (Idée d'une histoire universelle).
Le tableau que dresse Kant est particulièrement réaliste : ce
qui fait agir l'homme, c'est l'ambition, le goût de la domination, l'appétit insatiable de possession.
Tout cela le pousse «
à se frayer une place parmi ses compagnons qu'il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer ».
A tel point
que Kant en vient à penser que jamais une seule action morale, même si elle apparaît conforme au devoir, ait été faite
par devoir :
« Si nous appliquons notre attention à l'expérience de la conduite des hommes, nous nous trouvons en présence de
plaintes continuelles [...] et légitimes, sur ce fait qu'il n'y a point d'exemples certains que l'on puisse rapporter de
l'intention d'agir par devoir, que mainte action peut être réalisée conformément à ce que le devoir ordonne, sans qu'il
cesse pour cela d'être encore douteux qu'elle soit réalisée conformément à ce que le devoir ordonne » (Fondements de
la métaphysique des moeurs, 2° section).
Il y a chez l'homme, dit Kant dans La Religion dans les limites de la simple raison (1793), un réel penchant au mal, qui
est un défaut d'observance des maximes morales, ou bien une tendance à mélanger dans toute action les motifs
normaux et immoraux, ou même une méchanceté native qui l'amène à adopter d'emblée de mauvaises maximes.
Mais
alors, à quoi sert que la nature ait mis en l'homme « des dispositions naturelles qui visent à l'usage de sa raison », si
chaque homme ne cherche qu'à réaliser ses aspirations particulières ? A quoi cela sert-il, s'il faut « que chaque homme
jouisse d'une vie illimitée pour apprendre comment il doit faire un complet usage » de cette disposition à la raison ?
C'est qu'à l'idée de l'homme isolé, il faut substituer l'idée de l'homme en société.
D'où la « quatrième proposition » :
« Le moyen dont la nature se sert pour mener à bien le développement de toutes ses dispositions est leur antagonisme
au sein de la Société, pour autant que celui-ci est cependant en fin de compte la cause d'une ordonnance régulière de
cette Société.
».
»
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