KANT et la connaissance de l'ignorance
Extrait du document
«
"Toute ignorance est, ou bien ignorance des choses, ou bien de la
détermination et des limites de ma connaissance.
Quand l'ignorance est
accidentelle, elle doit me pousser dans le premier cas à une investigation
dogmatique concernant les choses (les objets), dans le second cas à une
investigation critique des limites de ma connaissance possible.
Mais que
mon ignorance soit absolument nécessaire, et donc me dispense de toute
autre investigation, c'est ce qu'on ne peut prouver empiriquement, par
l'observation, mais seulement de façon critique, en établissant les principes
des sources premières de notre connaissance.
La détermination des limites
de notre raison ne peut donc avoir lieu que par des principes a priori ;
cependant ses bornes peuvent être connues a posteriori, bien qu'il ne
s'agisse alors que de la connaissance indéterminée d'une ignorance qui ne
sera jamais entièrement surmontée, parce que, en tout savoir, il reste
toujours encore quelque chose à savoir.
La critique de la raison elle-même
est seule à nous donner la possibilité d'une connaissance de l'ignorance
comme une science, alors que l'autre connaissance de l'ignorance n'est rien
qu'une perception dont on ne peut pas dire à quelle conclusion elle parviendrait par elle-même." KANT
VOCABULAIRE:
EMPIRIQUE (adj.): Qui découle de l’expérience ou qui ne se règle que sur elle.
Le savoir empirique découle
largement de l’habitude, qui lui permet de repérer des régularités dans l’expérience (par exemple, telle plante
soulage toujours telle douleur).
Ce savoir s’obtient par tâtonnements, par essais et erreurs, mais ce n’est
pourtant pas un savoir scientifique ou expérimental.
En effet, il ne sait pas vraiment expliquer ce qu’il observe,
il ignore les causalités réellement agissantes (par exemple, l’action physique-chimique de la plante dans
l’organisme).
A priori: Ce qui précède l’expérience, et n’est tiré que de l’esprit ou de la raison.
Chez Kant, les formes a priori de la sensibilité (l’espace et le temps) et de l’entendement (les catégories)
rendent possible l’expérience (l’a priori est ici transcendantal).
Les marques de l’a priori sont l’universalité et la
nécessité.
L’expérience, quant à elle, n’offre que des généralisations et du contingent.
A posteriori: Ce qui découle de l’expérience ou d’une vérification empirique.
Le dogmatisme (rationalisme classique) prétend étendre la connaissance aussi loin que la pensée rationnelle.
A
l'inverse, le scepticisme fait porter le doute à la fois sur la pensée métaphysique et sur toute connaissance.
Avec la philosophie critique de Kant la raison prend conscience d'elle même, de ses pouvoirs et de ses limites.
Ainsi, la pensée philosophique se distingue de la connaissance, dont les limites sont celles de l'expérience
possible.
POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE
Par un paradoxe apparent, Kant se propose de faire de la connaissance de l'ignorance une véritable science
rationnelle caractérisée par sa nécessité et son universalité (mais non, bien sûr, au sens d'une science positive
expérimentale).
Cette science ne portera pas sur les faits, les objets de notre expérience, car leur examen
serait interminable et ne permettrait pas de conclure ; elle ne sera donc pas connue a posteriori (c'est-à-dire
tirée de l'expérience), mais elle portera sur les principes (en nombre restreint) qui rendent possible toute
connaissance quelle qu'elle soit (c'est le sens d'a priori).
Cette science de l'ignorance, c'est-à-dire des limites de notre connaissance, résulte de la critique de la raison
pure.
Critique se distingue ici tout autant de sceptique que de dogmatique.
En effet, le dogmatique, quand il
avance sans prendre conscience de son ignorance, et le sceptique, quand il s'arrête à cette prise de
conscience, ont en réalité partie liée.
Le scepticisme n'existe qu'en relation polémique avec le dogmatisme ; «
une simple censure ne peut jamais mettre fin à la querelle sur les droits de la raison humaine ».
Tout autre est
une pensée critique qui renvoie la raison à la connaissance d'elle-même et, pour reprendre l'image de Kant,
traduit la raison devant son propre tribunal.
C'est pourquoi il n'y a pas à craindre que la pensée critique, en
déterminant les limites de la connaissance, porte atteinte au progrès indéfini des savoirs scientifiques objectifs
(« il reste toujours encore quelque chose à savoir »).
Mais, si loin qu'elles aillent, les sciences n'atteignent jamais que des phénomènes, c'est-à-dire les choses telles
qu'elles apparaissent au sujet connaissant, tandis que les choses en soi restent inaccessibles, et cette
ignorance-là est irréductible.
Cependant, les choses en soi (réalités métaphysiques) peuvent être légitimement
pensées, et cette distinction entre connaître et penser sera importante pour la morale..
»
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