KANT ET BENJAMIN CONSTANT
Extrait du document
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Dans le recueil : La France en l'an 1797 (...) : Des réactions politiques, par
BENJAMIN CONSTANT (...), on lit ce qui suit : "Le principe moral que dire la vérité
est un devoir, s'il était pris de manière absolue et isolée, rendrait toute société
impossible.
Nous en avons la preuve dans les conséquences directes qu'a tirées de
ce (...) principe un philosophe allemande qui va jusqu'à prétendre qu'envers des
assassins qui vous demanderaient si votre ami qu'ils poursuivent n'est pas réfugié
dans votre maison, le mensonge serait un crime."
Le philosophe français réfute ce principe de la manière suivante : "Dire la vérité est
un devoir.
Qu'est-ce qu'un devoir ? L'idée de devoir est inséparable de celle de
droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d'un autre.
Là où
il n'y a pas de droit, il n'y a pas de devoirs.
Dire la vérité n'est donc un devoir
qu'envers ceux qui ont droit à la vérité.
Or nul homme n'a droit à la vérité qui nuit à
autrui."
Il faut d'abord remarquer que l'expression : avoir droit à la vérité, est dépourvue de
sens.
Il faut dire plutôt que l'homme a droit à sa propre VÉRACITÉ, c'est-à-dire à la
vérité subjective dans sa personne (...).
La véracité dans les déclarations qu'on ne peut éluder est le devoir formel de l'homme envers chacun, si grave
soit le préjudice qui puisse en résulter pour lui ; et encore que je ne commette aucune injustice à l'égard de
celui qui, de façon injuste, me force à faire des déclarations, en les falsifiant, je n'en commets pas moins une
injustice certaine à l'endroit de la partie la plus essentielle du devoir EN GÉNÉRAL par une telle falsification qui,
de ce fait, peut également être appelée mensonge (...) : c'est-à-dire que je fais, autant qu'il dépend de moi,
que des déclarations de façon générale ne trouvent aucune créance et que par suite aussi tous les droits qui
sont fondés sur des contrats deviennent caducs et perdent vigueur : ce qui est une injustice commise à l'égard
de l'humanité en général.
Ainsi, il suffit de définir le mensonge comme une déclaration intentionnellement fausse et point n'est besoin
d'ajouter cette clause qu'il faut qu'elle nuise à autrui (...) Car il nuit toujours à autrui : même si ce n'est pas à
un autre homme, c'est à l'humanité en général, puisqu'il disqualifie la source du droit.
Si l'illusion est la réalisation hallucinée d'un désir, on comprend qu'elle puisse aider à vivre : une espérance
illusoire ne vaut-elle pas mieux qu'une vérité désespérante ? Plus : n'existe-t-il pas des vérités nuisibles ? Ces
interrogations posent un problème moral: n'y a-t-il pas des circonstances qui légitiment le droit de mentir ? En
répondant à cette question, Kant s'oppose au philosophe français Benjamin Constant.
La position de Benjamin Constant est la suivante : il serait absurde d'affirmer que la vérité est toujours
moralement exigible.
Le mensonge est légitime quand il vise à éviter de nuire à autrui (« nul homme n'a droit à
la vérité qui nuit à autrui »).
La réponse de Kant est la suivante :
1.
Il vaut mieux parler ici de véracité que de vérité : la question n'est pas de savoir si on doit dire la vérité mais
si on doit dire ce que l'on croit être la vérité.
Je puis me tromper ; mais puis-je tromper ?
2.
Or la véracité est un devoir universel, car elle est source du droit : ériger en principe la possibilité d'une
fausse déclaration ou d'une fausse promesse ruinerait les engagements et les contrats réciproques entre les
hommes.
3.
Le mensonge nuit donc toujours : sinon à un particulier, au moins à l'humanité en général.
Il faut bien
comprendre ici que pour Kant, les conséquences particulières d'une vérité dite relèvent du fait, et sont
toujours, en bien comme en mal, imprévisibles et contingentes.
On ne saurait donc s'en autoriser pour une
justification morale du mensonge.
Celle-ci est, dans l'ordre du droit, impossible.
KANT (Emmanuel).
Né et mort à Königsberg (1724-1804).
Fils d'un sellier d'origine écossaise, il fit ses études à
l'Université de Königsberg, et s'intéressa davantage à la physique et à la philosophie qu'à la théologie.
En 1755, il est.
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