KANT: concorde et discorde dans l'histoire
Extrait du document
«
PRESENTATION DE "IDEE D'UNE HISTOIRE UNIVERSELLE D'UN POINT DE VUE COSMOPOLITIQUE" DE
KANT
Cet opuscule marque la première intervention de Kant (1724-1804) dans les débats de ses contemporains sur
l'histoire.
Il défend la croyance au progrès de l'humanité contre les ennemis des Lumières, qui prônent le
conservatisme en affirmant la supériorité des traditions sur la raison (Burke) et contre certains penseurs des
Lumières, qui rejettent l'idée d'un progrès global et uniforme de l'humanité (Mendelssohn et Herder).
Il ne s'agit
pas d'affirmer dogmatiquement l'existence du progrès, mais d'adopter un point de vue philosophique sur
l'histoire pour conforter l'homme raisonnable dans ses efforts afin d'oeuvrer au bien de l'humanité.
"L'homme veut la concorde, mais la nature sait mieux que lui ce qui est bon
pour son espèce, elle veut la discorde ou de l'insociable sociabilité..." KANT
« L'homme veut la concorde, mais la nature sait mieux que lui ce qui est bon pour
son espèce, elle veut la discorde.
» écrit Kant (1724-1804) dans la quatrième
proposition de son Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique
(1784).
Ce texte forme l'un des écrits majeurs de Kant consacrés à l'histoire, et qui
sont la première approche de ce que l'on nomme les «philosophies de l'histoire ».
- On désigne par «philosophies de l'histoire », les tentatives pour retrouver, derrière
le cours apparemment absurde de l'histoire humaine, une rationalité, et plus
précisément encore pour y discerner et une direction ou un but, et une
signification.
D'une certaine façon, elles sont des laïcisations de l'idée- de Providence, c'est-à-dire de la
conception qui veut que le cours du monde et de l'histoire ne soit pas livré au hasard', mais dirigé par la
volonté divine.
Si les plus grands représentants de ce «mouvement» sont Hegel d'une part, Marx et Engels de
l'autre, Kant est le premier à s'être essayé à une lecture rationnelle de l'histoire.
Si l'idée d'une direction et d'une signification assignable aux bouleversements historiques naît au XVIII siècle
avec Kant, ce n'est pas un hasard.
La philosophie de Kant est en partie une réflexion sur la physique de
Newton, qui fait apparaître une unité entre toutes les lois physiques que l'on peut déduire de la loi mère qu'est
la formule de gravitation universelle.
La totalité de la nature est alors saisie comme ordonnée, soumise à des
lois que l'on peut rationnellement énoncer.
Or, tandis que le monde inanimé, celui de la matière inerte, privée de conscience et d'intelligence apparaît
comme un modèle d'ordre, faut-il constater que le monde humain et la scène historique où l'on voit agir des
êtres pensants, n'est que «bruit et fureur»?
Ainsi Kant, parlant des hommes, écrit-il :
«On ne peut se défendre d'une certaine humeur, quand on regarde la représentation de leurs faits et gestes
sur la grande scène du monde, et quand, de-ci de-là, à côté de quelques manifestations de sagesse pour des
cas individuels, on ne voit en fin de compte dans l'ensemble qu'un tissu de folie, de vanité puérile, souvent
aussi de méchanceté puérile, de soif de destruction.
»
La tentative de Kant est alors de chercher, derrière l'apparent chaos des phénomènes, un principe d'ordre.
«II lui faut rechercher du moins si l'on ne peut pas découvrir dans ce cours absurde des choses humaines un
dessein de la nature : ceci rendrait du moins possible, à propos de créatures qui se conduisent sans suivre de
plan personnel, une histoire conforme à un plan déterminé de la nature.»
Kant nomme « plan de la nature » un principe explicatif qui ordonne l'histoire et la fasse apparaître comme
sensée, et non plus comme « un tissu de folie ».
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre « L 'homme veut la concorde, mais la nature sait mieux que lui ce
qui est bon pour son espèce, elle veut la discorde.
» Ce qui signifie d'abord que la discorde est un
facteur positif dans l'histoire humaine.
Mais d'autre part, le divorce que la phrase fait apparaître entre l'homme
et la nature manifeste que si les hommes font l'histoire, et même une histoire sensée, leur réalisation est
inintentionnelle, involontaire.
S'il existe une histoire, c'est-à-dire un lieu où l'on voit agir librement les hommes, et où ils modèlent leur
société, et même s'il n'existe d'histoire que pour l'homme, c'est que :
« Chez l'homme (en tant que seule créature raisonnable sur terre), les dispositions qui visent à l'usage de la
raison n'ont pu recevoir leur développement complet dans l'individu, mais seulement dans l'espèce.»
L'histoire est le temps nécessaire pour que la raison de l'homme reçoive son plein développement, pour passer
de la nature à la culture.
Kant retrouve ici une thèse de Rousseau : l'homme est un individu historique, modelé par la société ; ses
facultés ne sont pas innées, mais acquises.
Alors qu'un animal adulte est tout ce qu'il peut être, et que la suite
des générations ne produit aucun changement chez les animaux, l'homme est perfectible, c'est-à-dire
susceptible d'acquérir et de développer des facultés.
Or, insiste Kant, ce n'est pas pendant la durée d'une vie,
à l'échelle d'un individu, que la raison peut recevoir son achèvement.
Si donc il y a un progrès possible des
dispositions rationnelles de l'homme, elle ne peuvent se faire jour que dans la suite des générations, dans
l'histoire.
L'histoire est donc le lieu où la raison de l'homme se développe et reçoit son plein achèvement, ce qui fait.
»
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