KANT: Civilisation, culture et moralité
Extrait du document
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Nous sommes hautement cultivés dans le domaine de l'art et de la science.
Nous sommes civilisés, au point d'en être accablés, pour
ce qui est de l'urbanité et des bienséances sociales de tout ordre.
Mais quant à nous considérer comme déjà moralises, il s'en faut
encore de beaucoup.
Car l'idée de la moralité appartient encore à la culture; par contre, l'application de cette idée, qui aboutit
seulement à une apparence de moralité dans l'honneur et la bienséance extérieure, constitue simplement la civilisation.
Mais aussi
longtemps que des États consacreront toutes leurs forces à des vues d'expansion chimériques et violentes, et entraveront ainsi
sans cesse le lent effort déformation intérieure de la pensée chez leurs citoyens, les privant même de tout secours dans la
réalisation de cette fin, on ne peut escompter aucun résultat de ce genre; car un long travail intérieur est nécessaire de la part de
chaque communauté pour former à cet égard ses citoyens.
Par contre, tout bien qui n'est pas greffé sur une disposition
moralement bonne n'est que pure chimère et faux clinquant.
KANT
Introduction
Une société peut être parfaitement raffinée dans certains domaines sans être à proprement parler « moralisée ».
Importance de
l'environnement politique pour la moralisation de l'être humain.
I.
Différence entre culture et moralité
— Kant distingue trois aspects dans la réalisation d'une société :
• la culture (art et science);
• la civilisation dans le savoir-vivre;
• la moralité.
— C'est cette dernière qui fait encore défaut dans la société et il y a ainsi dysharmonie.
Une société peut donc être parfaitement raffinée sur le plan de l'art
ou des modes de vie sans être morale.
C onfirmation historique : la surenchère esthétique peut accompagner une authentique décadence des mœurs.
— Situation réelle de la moralité:
• elle (n')est (qu')une idée, une représentation théorique et, à ce titre, fait bien partie de la culture, au même sens que la science et l'art.
O bjet de discours
ou de «savoir» abstrait;
• dans ses applications extérieures, elle aboutit à des mœurs policées, aux règles de la bienséance.
Mais ceci ne constitue qu'une apparence de moralité,
un vernis superficiel.
— La véritable moralité doit donc être tout intérieure.
II.
Rôle de l'État
— Il est actuellement tout à fait négatif:
• il consacre ses forces à la conquête et à la violence ;
• il empêche ainsi la pensée intérieure de se former chez le citoyen.
— L'État juste aurait a contrario pour tâche de favoriser la pensée de ses citoyens en établissant d'abord la paix et en montrant l'exemple d'une conception
harmonieuse de l'existence.
— Comment concilier ce rôle de l'État avec l'habituelle thèse kantienne sur l'autonomie de la volonté ?
On ne saurait interpréter ce passage dans le sens d'une pure et simple hétéronomie : l'État ne produit pas directement la moralisation.
Mais on doit lui
demander d'en permettre la réalisation (intérieure) en en garantissant les conditions, c'est-à-dire, au minimum, en n'amenant pas chaque sujet à devoir
adopter, comme citoyen, une attitude contraire à celle que lui ordonne la morale.
— L'État doit donc instaurer un cadre général susceptible non seulement de ne plus contredire la pensée intérieure de chaque citoyen, mais bien d'en
encourager le développement.
Dans cette optique, la paix universelle n'est pas seulement le but lointain à atteindre politiquement, elle est aussi une
condition générale de la moralisation.
III.
Critique des apparences
— On peut repérer dans cet extrait un point de vue quelque peu rousseauiste (ce qui n'a rien de surprenant : on sait que Kant admire Rousseau).
— (Dernière phrase).
En l'absence de la disposition morale que la nature des États actuels empêche précisément de se former, c'est le règne de la seule
apparence et du faux-semblant.
— C'est par la moralisation souhaitée que les relations sociales deviennent authentiques, que le développement de l'art et de la science trouve son sens.
La
moralisation constitue ainsi le pivot à partir duquel tous les aspects de la
société peuvent changer de signification en trouvant un fondement sûr.
Conclusion
Effort pour lier morale et politique : il s'agit non seulement de rendre la politique plus morale, mais bien d'y trouver ce qui conditionne, positivement ou
négativement, la réalisation de la moralité.
Une mauvaise politique pervertit tous les aspects du social, et les citoyens eux-mêmes.
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Articulation des idées
1.
Kant part d'une distinction entre culture et civilisation.
— La civilisation, c'est l'ensemble des phénomènes sociaux, des usages et des codes par lesquels l'homme s'oppose à la nature.
—- La culture, selon l'idéal
de la philosophie des Lumières (A ufklärung) du 18e siècle, c'est le développement de l'esprit (de la pensée) fondé sur le savoir et la raison.
2.
Il pose ensuite que la moralité relève de la culture (la morale pour Kant est en effet fondée uniquement sur la raison et ses impératifs catégoriques, non
sur les conventions sociales comme la bienséance, l'honneur, etc., qui relèvent de la civilisation).
3.
Il constate alors que notre moralité ne correspond pas au degré de culture atteint dans le domaine de l'art et de la science (car notre morale, ne
s'appuyant pas sur la raison et la connaissance du Devoir, reste conventionnelle, sociale, et donc vaine, « pure chimère et faux clinquant »).
4.
Une remarque finale : une véritable moralisation implique une éducation des hommes (des citoyens) que les États devraient prendre en charge, ce qu'ils
ne peuvent pas faire tant qu'ils gaspillent leurs forces dans les guerres.
Intérêt philosophique du texte
L'intérêt philosophique de ce texte tient d'abord à ce qu'il souligne nettement la nécessité de différencier la morale de l'apparence (celle qui se constitue
des conventions sociales formant la civilisation) de la véritable morale, fondée sur la Raison, qui ressortit à la culture et à l'éducation ; ensuite, au fait qu'il
invite à repenser la fonction et la fin de l'État qui ne serait pas simplement de gouverner des citoyens mais de former des êtres moraux..
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