KANT: art et nature
Extrait du document
«
"Devant une production des beaux-arts, on doit avoir conscience que
c'est de l'art et non de la nature, mais il faut aussi que la finalité dans la
forme de l'oeuvre paraisse aussi libre de toute contrainte de règles
arbitraires que si c'était un produit pur et simple de la nature.
C'est sur ce
sentiment de liberté – liberté jointe à la finalité–que repose la sorte de
plaisir qui est seule universellement communicable, sans cependant se
fonder sur des concepts.
La nature était belle quand elle avait l'aspect
d'une oeuvre d'art ; l'art à son tour ne peut être appelé beau que si, tout
en nous laissant conscients qu'il est de l'art, il nous offre pourtant l'aspect
de la nature.
En effet, qu'il s'agisse d'art ou de nature, nous pouvons dire en général :
est beau ce qui plaît dans le simple jugement (non dans la sensation ni
par un concept).
Or, l'art a toujours un certain dessein : produire quelque
chose.
Si c'était une simple sensation (purement subjective) qui soit
accompagnée de plaisir, cette production ne plairait dans le jugement
que par l'intermédiaire de la sensibilité.
Si le dessein était de produire un
objet déterminé, l'objet produit par l'art ne plairait qu'au moyen de
concepts : ce ne serait plus l'un des beaux-arts, mais un art mécanique.
Ainsi la finalité dans les productions des beaux-arts, quoique produite à
dessein, ne doit pas le paraître ; autrement dit, l'art doit avoir l'apparence
de la nature, bien que l'on ait conscience qu'il est de l'art.
Or, une
production de l'art paraît naturelle à la condition que les règles, qui seules
lui permettent d'être ce qu'elle doit être, aient été observées exactement, mais que cet accord ne soit pas
acquis péniblement, qu'il ne laisse pas soupçonner que l'artiste avait la règle sous les yeux et les facultés de
son âme entravées par elle." KANT
Kant examine ici les conditions dans lesquelles l'art parvient à susciter le sentiment esthétique.
Bien que les merveilles
de la nature diffèrent des oeuvres d'art, l'art doit d'une certaine manière prendre modèle sur la nature.
Les beaux-arts atteignent leur but, provoquent le plaisir esthétique, quand ils parviennent à faire oublier les
contraintes et les procédés dont l'oeuvre procède et le travail concret de l'artiste, même si ces contraintes sont
indispensables.
L'oeuvre d'art doit paraître naturelle, la beauté suppose un oubli de l'artifice.
C'est en ce sens que l'art doit prendre modèle sur la nature ; « la sorte de plaisir qui est seule universellement
communicable, sans cependant se fonder sur des concepts » est atteinte, nous l'avons vu, dans la contemplation
libérée de l'intérêt et des contraintes logiques, quand l'objet n'est pas appréhendé du point de vue des sens ni de la
connaissance.
Cependant, nos facultés de connaître sont sollicitées dans le plaisir esthétique : l'imagination, grâce à
laquelle nous nous représentons les choses, et l'entendement, qui les pense à l'aide de concepts, s'exercent sans
aboutir à définir objectivement la raison du plaisir éprouvé.
Dans l'objet technique, au contraire, l'objet produit par les «
arts mécaniques », la satisfaction sera conditionnée par des concepts, des notions d'usage, d'utilité, la
correspondance à une fin déterminée.
Toute oeuvre d'art ne vise pas le beau.
Or, la nature peut plaire esthétiquement quand elle se donne à contempler, quand elle donne l'impression qu'une liberté
s'y est exprimée.
L'oeuvre d'art doit ressembler à la nature en donnant également cette impression de liberté,
lorsqu'elle fait oublier les contraintes du travail et de la raison, même si ces contraintes ont été choisies par l'homme
lui-même.
L'oeuvre d'art ne doit pas laisser voir qu'elle a comme dessein de produire le beau, elle ne doit pas, dans cet
esprit, laisser soupçonner que l'artiste a travaillé, qu'il a voulu bien faire, qu'il s'est imposé des contraintes.
L'oeuvre
doit se laisser contempler comme la nature, sans que l'idée du but poursuivi et des moyens employés viennent
perturber le libre jeu des facultés.
Autant la maîtrise de l'artisan et l'adéquation de son oeuvre à une idée préalable
sont satisfaisantes, autant, dans les beaux-arts, il est pénible de percevoir d'abord le métier et le désir de plaire..
»
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