KANT
Extrait du document
«
« La métaphysique, cette science tout à fait à part qui consiste dans des
connaissances rationnelles spéculatives et qui s'élève au dessus des instructions
de l'expérience en ne s'appuyant que sur de simples concepts (et non pas comme
les mathématiques en appliquant ces concepts à l'intuition) et où par conséquent
la raison n'a d'autre maîtresse qu'elle même, cette science n'a pas encore été
assez favorisée du sort pour entrer dans le sûr chemin de la science.
Et pourtant
elle est plus vieille que toutes les autres et elle subsisterait toujours alors même
que celles ci disparaîtraient toutes ensemble dans le gouffre de la barbarie.
La
raison s'y trouve continuellement dans l'embarras...
Quant à mettre ses adeptes
d'accord dans leurs assertions, elle en est tellement éloignée qu'elle semble n'être
qu'une arène exclusivement destinée à exercer les forces des jouteurs et où aucun
champion n'a jamais pu se rendre maître de la plus petite place...
» KANT.
(Introduction)
Les premières pages de la préface à la deuxième édition (1787) de la Critique de /a raison pure rappellent les
conquêtes solides de la raison humaine au cours de l'histoire ; d'abord la logique inchangée depuis Aristote qui doit sa
rigueur et sa certitude à
ceci que « l'entendement ne s'y occupe que de lui-même et de sa forme ».
Puis les mathématiques qui travaillent sur
un objet (par exemple la géométrie étudie des figures dans l'espace) mais de telle sorte que le mathématicien construit
a priori son objet et n'en « dégage que ce que lui-même y fait entrer par la pensée »; enfin la physique qui suppose
l'expérience, mais une expérience ordonnée, rationalisée par des concepts de sorte que « la raison prend les devants
avec les principes qui déterminent ses jugements selon des lois constantes et force la nature à répondre à ses
questions ».
En logique, en mathématiques, en physique tous les esprits compétents parviennent à un accord,
aboutissent aux mêmes théorèmes, ou au mêmes lois; et cet accord est un signe ou tout au moins une solide
présomption de vérité.
Mais que dire de la métaphysique?
(Explication et commentaire)
...
La métaphysique qui consiste dans des connaissances rationnelles spéculatives...
Expliquons ces termes qui cernent
le champ de la métaphysique avec rigueur.
Bien que la métaphysique soit apparentée à la religion par son objet (il
s'agit de l'âme, du monde comme totalité, de Dieu) elle en diffère par sa méthode.
La religion repose sur la révélation
(c'est-à-dire sur le témoignage des textes sacrés) alors que la métaphysique prétend nous enseigner par les seules
forces de la raison ce que sont l'âme, le monde et Dieu.
Les prétendues connaissances métaphysiques sont des
connaissances rationnelles.
C'est la prétention de la raison à connaître l'absolu que Kant va soumettre à sa critique.
Précisons encore qu'il s'agit de connaissances spéculatives, théorétiques qui se proposent simplement de déterminer
leur objet, tandis qu'une discipline pratique (et non spéculative) comme la morale veut réaliser son objet, traduire dans
une action concrète une idée de la raison.
...
La métaphysique qui s'élève au-dessus des instructions de l'expérience en ne s'appuyant que sur de simples
concepts (et non pas comme les mathématiques en appliquant ces concepts à l'intuition).
Rappelons que pour Kant il y a trois sortes de jugements : Des jugements analytiques qui sont a priori (quand je dis
que les corps sont étendus il me suffit pour trouver l'étendue d'analyser le concept de corps : l'étendue s'y trouve
impliquée) des jugements synthétiques a posteriori (quand je dis cette boîte est rouge le prédicat rouge ne saurait être
tiré du concept général de boite; ce jugement est synthétique et ne peut être posé qu'après l'expérience et selon
l'instruction de l'expérience) et enfin des jugements synthétiques a priori.
Par exemple
quand je dis que la somme des angles du triangle vaut deux droits ou que l'âme est immortelle, j'attribue au triangle et
à l'âme des propriétés qui enrichissent leur concept (synthétiques) et qui cependant ne sont pas données dans
l'expérience (a priori).
Pour affirmer que la somme des angles du triangle vaut deux droits, en effet, je n'ai pas eu
besoin de consulter l'expérience, de mesurer chacun des trois angles avec un rapporteur et d'en faire la somme.
Car j'ai
démontré le théorème au lieu de constater un résultat empirique.
En ce sens une proposition mathématique (la somme
des angles du triangle) et une proposition métaphysique (l'âme est immortelle) s'élèvent l'une et l'autre « au-dessus
des instructions de l'expérience ».
Elles sont l'une et l'autre des jugements synthétiques a priori.
Cependant elles
diffèrent sur un point qui suffit à fonder la légitimité des mathématiques et à montrer le vide de la prétendue
connaissance métaphysique.
C'est que les mathématiques supposent non seulement des concepts a priori, mais une
intuition de l'espace qui est une « forme a priori de notre sensibilité » c'est-à-dire un cadre universel, et nécessaire de
notre faculté humaine de perception.
Le géomètre, par exemple, qui construit à partir de concepts, de définitions des
figures dans l'espace, « applique les concepts à une intuition ».
Or la métaphysique ne repose que sur des concepts.
Nous n'avons en effet d'intuitions que sensibles.
Nous ne connaissons le monde que réfracté à travers les cadres
subjectifs de l'espace et du temps.
Nous ne connaissons que des « phénomènes ».
L'absolu, le «noumène» échappe
aux prises de notre connaissance spéculative.
Certes, l'entendement (Verstand) grâce à ses catégories peut « épeler
les phénomènes », peut mettre de l'ordre dans les apparences et construire une science.
Mais au-delà de ce « rêve.
»
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