KANT
Extrait du document
«
« Il arrive parfois sans doute qu'avec le plus scrupuleux examen de nous-mêmes
nous ne trouvons absolument rien qui, en dehors du principe moral du devoir, ait pu
être assez puissant pour nous pousser à telle ou telle bonne action et à tel grand
sacrifice; mais de là on ne peut nullement conclure avec certitude que réellement
ce ne soit point une secrète impulsion de l'amour-propre qui, sous le simple mirage
de cette idée, ait été la vraie cause déterminante de la volonté; c'est que nous
nous flattons volontiers en nous attribuant faussement un principe de
détermination plus noble; mais en réalité nous ne pouvons jamais, même par
l'examen le plus rigoureux, pénétrer entièrement jusqu'aux mobiles secrets; or,
quand il s'agit de valeur morale, l'essentiel n'est point dans les actions, que l'on
voit, mais dans ces principes intérieurs des actions, que l'on ne voit pas.
» KANT
Introduction.
«Je peux avoir bonne conscience, j'ai fait une bonne action»: quand on se fait ce genre de réflexion, lorsque l'on
estime avoir fait sa «B.A.», c'est que l'on considère que l'on a fait son devoir, autrement dit que l'on a fait ce qu'il
fallait faire.
Il reste à savoir si cette obligation que l'on estime avoir remplie est bien l'obligation morale, ou si au
contraire il ne s'agit pas d'un désir de confort moral, qui procède non plus du devoir mais bien plutôt de l'intérêt
égoïste.
En effet, la cause de notre action pourrait bien résider dans la crainte du remords ou encore dans le désir de
la satisfaction de soi et l'autoglorification, voire dans l'orgueil.
Dans ce texte, Kant examine la possibilité, pour le sujet,
de connaître les véritables mobiles de ses actions: si j'ai le sentiment d'avoir bien agi, si je n'ai conscience d'aucune
cause autre que le devoir comme principe de mon action, puis-je alors en déduire qu'effectivement j'ai agi par devoir?
1.
La conscience que nous avons de nos intentions nous fait croire en la moralité de nos actions
A.
L'introspection peut mener à la conclusion que nous avons bien agi
Kant commence par montrer qu'il est matériellement et logiquement possible de croire que nous avons bien agi.
«Il
arrive parfois sans doute» qu'une introspection «scrupuleuse» nous laisse penser que nous avons agi par devoir.
Un
seul mobile susceptible de nous «pousser» à agir se présente à notre conscience : «le principe moral du devoir».
Le
devoir, autrement dit l'obligation interne, nous paraît être à la fois la loi, la règle et le fondement de notre action
(«principe» a pour étymologie princeps, «premier»).
La métaphore mécanique qu'utilise Kant (« puissant», «pousser à»)
montre déjà qu'il semble y avoir un jeu de poids-contrepoids entre plusieurs mobiles d'action possibles.
B.
Le devoir moral doit être le principe de l'action morale
Mais qu'il soit possible que nous ayons la conviction subjective d'avoir agi par devoir ne permet pas d'en déduire que
notre action était effectivement et réellement morale.
Les expressions « bonne action» et «grand sacrifice» ellesmêmes sous-entendent déjà que l'on n'est pas loin de la satisfaction et de l'amour-propre: on se glorifie de notre
grandeur morale et de notre aptitude à renoncer à l'égoïsme.
Or pour qu'une action soit morale, elle doit être accomplie par devoir, c'est-à-dire par obéissance à la loi morale en
nous (dictée par la raison pure), et doit trouver en elle son unique motif.
Dès lors qu'un «sentiment» ou un mobile
sensible s'y trouve mêlés, la volonté qui doit être pure pour être morale devient «hétéronome».
2.
L'introspection est incapable de déceler les mobiles pathologiques qui peuvent se cacher derrière le motif
plus noble du devoir
A.
Notre volonté, qui doit être autonome pour être bonne, peut être déterminée en réalité par des intérêts égoïstes
Pour Kant, il faut reconnaître que la conscience subjective d'autonomie de la volonté ne peut assurer l'effectivité de
cette autonomie.
Le jugement que nous portons nous-mêmes sur nos actions ne peut être objectif.
Si la loi morale
rationnelle exige que le devoir soit la «cause déterminante de la volonté», nous sommes incapables de savoir s'il en a
été la «vraie» cause effective et réelle.
Autrement dit, nous avons conscience de ce que doit être l'action morale,
mais nous ne pouvons pas savoir si de fait notre action est morale.
Ainsi, nous pouvons croire avoir agi moralement
alors même que notre volonté a été déterminée par une «impulsion de l'amour-propre» masquée à notre conscience
immédiate.
B.
Soutenir qu'on est sûr d'avoir agi moralement relève au mieux de l'erreur, au pire de la mauvaise foi
C'est donc «faussement» que nous invoquons la stricte obéissance au principe moral du devoir, mobile rationnel «plus
noble» que l'impulsion ou le désir sensibles.
Le terme «faussement» peut s'entendre ici en deux sens: nous nous
«flattons» d'obéir au devoir soit parce que nous nous trompons en considérant comme objective ce qui n'est qu'une
conviction subjective, soit par «fausseté» et par mauvaise foi lorsque nous cherchons à (nous) masquer notre intérêt
égoïste.
Quoi qu'il en soit, que nous le voulions ou non, nous ne pouvons pas percer à jour nos intentions véritables.
Même en
toute bonne foi, nous ne pouvons pas avoir conscience des «mobiles secrets» qui sont, dans les faits, le «moteur» de.
»
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