KANT
Extrait du document
«
L'objet tourne autour du sujet...
La révolution copernicienne.
Le premier travail de la philosophie consiste à explorer les conditions et les
limites du savoir véritable.
Telle est la tâche de la critique.
« Que toute notre connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève
aucun doute.
En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé
et mis en action, si ce n'est par des objets qui frappent nos sens et qui, d'une
part, produisent par eux-mêmes des représentations et, d'autre part, mettent
en mouvement notre faculté intellectuelle, afin qu'elle compare, lie ou sépare
ces représentations, et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles
pour en tirer une connaissance des objets, celle que l'on nomme l'expérience?
Ainsi, chronologiquement, aucune connaissance ne précède en nous l'expérience
et c'est avec elle que toutes commencent.
Mais si toute connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle
dérive toute de l'expérience, car il se pourrait bien que même notre
connaissance par expérience fût un composé de ce que nous recevons des
impressions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître
(simplement excité par des impressions sensibles) produit de lui-même : addition
que nous ne distinguons pas de la matière première jusqu'à ce que notre
attention y ait été portée par un long exercice qui nous ait appris à l'en séparer.
C'est donc au moins une question qui exige encore un examen plus approfondi et que l'on ne saurait résoudre du
premier coup d'oeil, que celle de savoir s'il y a une connaissance de ce genre, indépendante de l'expérience et même
de toutes les impressions des sens.
De telles connaissances sont appelées a priori et on les distingue des empiriques
qui ont leur source a posteriori, à savoir dans l'expérience.
(...)
Si l'on veut un exemple pris dans les sciences, on n'a qu'à parcourir des yeux toutes les propositions de la
mathématique ; et si on en veut un tiré de l'usage plus ordinaire de l'entendement, on peut prendre la proposition : «
tout changement doit avoir une cause ».
Qui plus est, dans cette dernière, le concept même d'une cause renferme
manifestement le concept d'une liaison nécessaire avec un effet et celui de la stricte universalité de la règle, si bien
que ce concept de cause serait entièrement perdu, si on devait le dériver, comme le fait Hume, d'une association
fréquente de ce qui arrive avec ce qui précède et d'une habitude qui en résulte (d'une nécessité, par conséquent,
simplement subjective) de lier des représentations.
On pourrait aussi, sans qu'il soit besoin de pareils exemples pour
prouver la réalité des principes purs a priori dans notre connaissance, montrer que ces principes sont indispensables
pour que l'expérience même soit possible, et en exposer, par suite, la nécessité a priori.
D'où l'expérience, en effet,
pourrait-elle tirer sa certitude, si toutes les règles, suivant lesquelles elle procède, n'étaient jamais qu'empiriques, et
par là même contingentes? »
VOCABULAIRE:
EMPIRIQUE (adj.): Qui découle de l’expérience ou qui ne se règle que sur elle.
Le savoir empirique découle largement
de l’habitude, qui lui permet de repérer des régularités dans l’expérience (par exemple, telle plante soulage toujours
telle douleur).
Ce savoir s’obtient par tâtonnements, par essais et erreurs, mais ce n’est pourtant pas un savoir
scientifique ou expérimental.
En effet, il ne sait pas vraiment expliquer ce qu’il observe, il ignore les causalités
réellement agissantes (par exemple, l’action physique-chimique de la plante dans l’organisme).
A priori: Ce qui précède l’expérience, et n’est tiré que de l’esprit ou de la raison.
Chez Kant, les formes a priori de la sensibilité (l’espace et le temps) et de l’entendement (les catégories) rendent
possible l’expérience (l’a priori est ici transcendantal).
Les marques de l’a priori sont l’universalité et la nécessité.
L’expérience, quant à elle, n’offre que des généralisations et du contingent.
A posteriori: Ce qui découle de l’expérience ou d’une vérification empirique.
Pour comprendre notre pouvoir de connaître, il convient de savoir d'où viennent nos connaissances.
La réponse la plus immédiate à cette question consiste à affirmer qu'elles viennent de l'expérience.
En effet, ce sont
les exemples qui permettent d'accéder à l'idée (voir texte 1).
L'esprit ne peut inventer ses objets ou, s'il le fait, c'est
en imaginant, sans le secours des données sensibles : il ne s'agit alors pas d'une connaissance mais d'une production
fictive, qui intéresse l'artiste et non le scientifique ou le philosophe.
De ce fait, il ne faut toutefois pas tirer des conséquences hâtives : « Si toute connaissance débute avec l'expérience,
cela ne prouve pas qu'elle dérive toute de l'expérience.
» En effet, les impressions sensibles sont données sans liaison,
sans ordre : or connaître n'est pas simplement constater mais relier un phénomène à un principe explicatif; cela
suppose un dépassement de l'expérience immédiate ; mais est-ce possible? Le philosophe écossais Hume (1711-1776)
a montré dans Enquête sur l'entendement humain les difficultés auxquelles on se heurte si l'on veut répondre oui.
L'idée
de causalité, par exemple, n'a aucune légitimité : chaque phénomène est situé dans un temps et un espace particuliers
; ainsi, rien ne peut nous autoriser à tirer des règles universelles.
Il y a un fossé que l'on ne pourra jamais combler
entre ce que l'expérience offre, des faits singuliers, et ce que la connaissance exige, des règles universelles et
nécessaires..
»
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