KANT
Extrait du document
«
« J'accorde volontiers qu'aucun homme ne peut avoir conscience en toute
certitude d'avoir accompli son devoir de façon tout à fait désintéressée car cela
relève de l'expérience interne, et pour avoir ainsi conscience de l'état de son âme il
faudrait avoir une représentation parfaitement claire de toutes les représentations
accessoires et de toutes les considérations que l'imagination, l'habitude et
l'inclinaison associent au concept de devoir, or une telle représentation ne peut
être exigée en aucun cas; de plus l'inexistence de quelque chose (par conséquent
aussi d'un avantage qu'on a secrètement conçu) ne peut être de façon générale
l'objet de l'expérience.
Mais que l'homme doive accomplir son devoir de façon tout
à fait désintéressée et qu'il lui faille séparer complètement du concept de devoir
son désir de bonheur pour l'avoir tout à fait pur, c'est ce dont il est très clairement
conscient; ou alors s'il ne croit pas l'être, on peut exiger de lui qu'il le soit autant
qu'il est en son pouvoir de l'être : car c'est précisément dans cette pureté qu'est à
trouver la véritable valeur de moralité, et il faut donc également qu'il le puisse.
»
KANT.
Que la moralité, telle que Kant l'envisage, soit particulièrement exigeante vis-à-vis de l'individu et qu'il faille
constamment faire un effort pour être moral ou le devenir, voilà ce que ce texte confirme de manière impérative.
Lier le
devoir au désintéressement absolu, exiger d'un homme qu'il agisse sans le souci de son propre intérêt personnel peut
paraître excessif et même irréaliste.
N'est-ce pas trop réclamer de la nature humaine que de demander à l'homme de
faire taire son désir de bonheur au profit de la réalisation de son devoir? Et si Kant, à travers ces lignes, parvient à
définir avec précision ce que doit être le concept pur de devoir, ne court-il pas le risque de voir ses idées réussir d'un
point de vue théorique mais échouer radicalement dans leurs effets pratiques? Nous ne le croyons pas : car l'intérêt
philosophique de ce passage tient justement dans la distinction subtile qu'introduit Kant entre la conscience du devoir
accompli (jamais sûre d'elle-même) et l'intention d'agir moralement qui, seule, doit être l'objet de notre jugement.
Explication et commentaire
« J'accorde volontiers qu'aucun homme ne peut avoir conscience en toute certitude d'avoir accompli son devoir de
façon tout-à-fait désintéressée car cela relève de l'expérience interne...
»
Au début de ce passage, Kant examine donc la situation, du point de vue de la conscience de celui qui a agi, c'est-àdire du point de vue de la représentation et des jugements qu'il porte concernant son action.
Autrement dit, il ne s'agit
pas ici d'analyser la position de celui qui s'apprête à agir et d'évaluer ses fins et ses intentions, mais de se situer au
moment précis où l'homme se retourne sur l'action qu'il vient d'accomplir pour se demander si cet homme peut « avoir
conscience en toute certitude d'avoir accompli son devoir de façon tout à fait désintéressée ».
Or, selon Kant, cette
certitude est impossible à avoir : un homme peut avoir le sentiment d'avoir accompli son devoir mais il ne peut jamais
avoir la certitude que l'accomplissement de ce devoir s'est fait de manière désintéressée.
Le doute qui subsiste après
l'action et qui interdit une certitude absolue porte non pas sur la notion de devoir elle-même, mais sur celle de
désintéressement.
Car tout homme, même s'il a le sentiment intime d'avoir bien agi, peut pourtant s'interroger encore
sur les fins réelles qu'il poursuivait à travers sa bonne action.
Autrement dit, même en agissant bien apparemment ne
poursuivait-il pas un intérêt personnel qu'il espérait tirer de cette bonne action? Cette idée d'un désintéressement
absolu est fondamentale pour Kant car sans cela, toute action morale n'est morale qu'en apparence : ainsi, un homme
prend pourtant le temps de s'arrêter pour faire traverser la rue à un homme aveugle; en apparence il agit bien.
Mais s'il
agit ainsi avec l'espoir d'en retirer un satisfecit de la part des autres passants, s'il en espère une certaine
considération morale et sociale, alors, selon Kant, son action n'est plus véritablement désintéressée et ne répond donc
pas à une authentique moralité.
Mais comment puis-je être sûr, après coup, que l'action que je viens de faire n'avait
pas d'autre finalité que d'être bien moralement et ne présentait aucun intérêt personnel autre que celui du devoir? Ce
qui nous permettrait de répondre à cette question c'est, selon Kant, le recours à l'expérience interne : autrement dit, il
faudrait que nous ayons la faculté de plonger en nous-même pour analyser et évaluer les mobiles internes de notre
action.
« ...et pour avoir ainsi conscience de l'état de son âme il faudrait avoir une représentation parfaitement claire...
or une
telle représentation ne peut-être exigée en aucun cas...
»
En quoi peut consister cette « expérience interne » à laquelle Kant fait référence et qui pourrait, seule, nous donner la
certitude que nous avons agi par devoir et de façon désintéressée? Sans doute, peut-on penser ici à une analogie
avec ce que les psychologues appellent l'introspection et qui consiste dans l'opération par laquelle un homme « rentre
en lui-même » pour « inspecter » et analyser les raisons de son état ou de ses actions.
Quoi qu'il en soit, l'expérience
vise à produire un tableau de notre âme, une représentation de celle-ci, à un moment donné, de telle sorte que l'on
puisse comprendre les mobiles qui ont poussé notre esprit à vouloir et à décider telle ou telle chose : mais l'âme est
une chose complexe et pour la représenter de manière claire nous sommes contraints d'inclure dans notre tableau des.
»
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