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KANT

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Si l'on demande quelle est donc à proprement parler la pure moralité, à laquelle, comme à une pierre de touche, on doit éprouver la valeur morale de chaque action, alors je dois avouer que seuls des philosophes peuvent rendre douteuse la solution de cette question; car dans la raison commune des hommes elle est, non à la vérité par des formules générales abstraites, mais cependant par l'usage habituel, résolue depuis longtemps comme la différence entre la main droite et la gauche. Aussi voulons-nous avant tout montrer le critère distinctif de la pure vertu sur un exemple, et en nous représentant qu'il se trouve proposé au jugement d'un enfant de dix ans, voyons si de lui-même et sans être dirigé là-dessus par son maître, il ne devrait pas juger nécessairement de la façon suivante. Qu'on raconte l'histoire d'un honnête homme qu'on veut déterminer à se joindre aux calomniateurs d'une personne innocente, et de plus sans aucun pouvoir (comme ce fut le cas d'Anne de Boleyn lors de l'accusation d'Henri VIII d'Angleterre). On lui offre des gains, c'est-à-dire de riches présents ou un haut rang, il les repousse. Ce geste produira simplement assentiment et approbation dans l'âme de l'auditeur parce qu'il s'agit de gain. Alors on commence à le menacer d'une perte. Il y a parmi ces calomniateurs ses meilleurs amis qui lui refusent maintenant leur amitié, de proches parents qui le menacent (lui qui est sans fortune) de le déshériter, des personnages puissants qui en tout lieu et toute circonstance peuvent le persécuter et l'humilier, un prince qui le menace de lui faire perdre la liberté et même la vie. Mais qu'on lui représente, afin que la mesure de la souffrance soit pleine, et aussi pour lui faire ressentir la douleur que seul un coeur moralement bon peut ressentir au plus intime de lui-même, sa famille, menacée de la misère et de l'indigence la plus extrême, le suppliant de se montrer accommodant; qu'on le représente lui-même, bien qu'honnête, comme n'étant pas pourtant rigoureusement insensible au sentiment de la pitié aussi bien qu'à son propre malheur, dans le moment où il souhaite à n'avoir jamais vécu le jour qui le soumette à une si inexprimable douleur, restant néanmoins fidèle à sa résolution d'honnêteté sans hésiter ni même douter; alors mon jeune auditeur s'élèvera par degré de la simple approbation à l'admiration, puis à l'étonnement, enfin jusqu'à la plus haute vénération et à un vif désir de pouvoir être lui-même un tel homme (bien qu'assurément sans être dans sa situation); et pourtant la vertu n'a ici tant de valeur que parce qu'elle coûte beaucoup, et non parce qu'elle rapporte quelque chose. Toute l'admiration et même tout effort pour ressembler à ce caractère reposent ici entièrement sur la pureté du principe moral, qui ne peut être représentée de manière à sauter aux yeux que si l'on écarte des mobiles de l'action tout ce que les hommes peuvent mettre au compte du bonheur. Donc la moralité doit avoir sur le coeur humain d'autant plus de force qu'elle est représentée comme plus pure. D'où il suit que si la loi de la morale et l'image de la sainteté et de la vertu doivent exercer en toute circonstance quelque influence sur notre âme, elles ne peuvent l'exercer que dans la mesure où elle est posée en tant que mobile du coeur comme pure et lion mélangée de visées vers notre intérêt personnel, parce que c'est dans la souffrance qu'elle se montre dans toute son excellence. KANT

« « Si l'on demande quelle est donc à proprement parler la pure moralité, à laquelle, comme à une pierre de touche, on doit éprouver la valeur morale de chaque action, alors je dois avouer que seuls des philosophes peuvent rendre douteuse la solution de cette question; car dans la raison commune des hommes elle est, non à la vérité par des formules générales abstraites, mais cependant par l'usage habituel, résolue depuis longtemps comme la différence entre la main droite et la gauche. Aussi voulons-nous avant tout montrer le critère distinctif de la pure vertu sur un exemple, et en nous représentant qu'il se trouve proposé au jugement d'un enfant de dix ans, voyons si de lui-même et sans être dirigé là-dessus par son maître, il ne devrait pas juger nécessairement de la façon suivante.

Qu'on raconte l'histoire d'un honnête homme qu'on veut déterminer à se joindre aux calomniateurs d'une personne innocente, et de plus sans aucun pouvoir (comme ce fut le cas d'Anne de Boleyn lors de l'accusation d'Henri VIII d'Angleterre).

On lui offre des gains, c'està-dire de riches présents ou un haut rang, il les repousse.

Ce geste produira simplement assentiment et approbation dans l'âme de l'auditeur parce qu'il s'agit de gain.

Alors on commence à le menacer d'une perte.

Il y a parmi ces calomniateurs ses meilleurs amis qui lui refusent maintenant leur amitié, de proches parents qui le menacent (lui qui est sans fortune) de le déshériter, des personnages puissants qui en tout lieu et toute circonstance peuvent le persécuter et l'humilier, un prince qui le menace de lui faire perdre la liberté et même la vie.

Mais qu'on lui représente, afin que la mesure de la souffrance soit pleine, et aussi pour lui faire ressentir la douleur que seul un coeur moralement bon peut ressentir au plus intime de lui-même, sa famille, menacée de la misère et de l'indigence la plus extrême, le suppliant de se montrer accommodant; qu'on le représente luimême, bien qu'honnête, comme n'étant pas pourtant rigoureusement insensible au sentiment de la pitié aussi bien qu'à son propre malheur, dans le moment où il souhaite à n'avoir jamais vécu le jour qui le soumette à une si inexprimable douleur, restant néanmoins fidèle à sa résolution d'honnêteté sans hésiter ni même douter; alors mon jeune auditeur s'élèvera par degré de la simple approbation à l'admiration, puis à l'étonnement, enfin jusqu'à la plus haute vénération et à un vif désir de pouvoir être lui-même un tel homme (bien qu'assurément sans être dans sa situation); et pourtant la vertu n'a ici tant de valeur que parce qu'elle coûte beaucoup, et non parce qu'elle rapporte quelque chose.

Toute l'admiration et même tout effort pour ressembler à ce caractère reposent ici entièrement sur la pureté du principe moral, qui ne peut être représentée de manière à sauter aux yeux que si l'on écarte des mobiles de l'action tout ce que les hommes peuvent mettre au compte du bonheur.

Donc la moralité doit avoir sur le coeur humain d'autant plus de force qu'elle est représentée comme plus pure.

D'où il suit que si la loi de la morale et l'image de la sainteté et de la vertu doivent exercer en toute circonstance quelque influence sur notre âme, elles ne peuvent l'exercer que dans la mesure où elle est posée en tant que mobile du coeur comme pure et lion mélangée de visées vers notre intérêt personnel, parce que c'est dans la souffrance qu'elle se montre dans toute son excellence. » KANT. La distance que prend ici Kant d'emblée d'avec les philosophes a de quoi étonner, mais ce fut pour lui une sorte de conversion, dont il a fait lui-même l'aveu.

« Il fut un temps, dit-il, où je méprisais le peuple, qui est ignorant de tout. C'est Rousseau qui m'a désabusé.

Cette illusoire supériorité s'évanouit; j'apprends à honorer les hommes ».

C'est la lecture de la Profession de foi du vicaire savoyard qui fut pour Kant décisive, et en particulier la fameuse prosopopée de la conscience, à la suite de laquelle Rousseau s'écrie : «Grâce au Ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie : nous pouvons être hommes sans être savants; dispensés de consacrer notre vie .

à l'étude de la morale, nous avons à moindres frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines ».

C'est «aux lumières de la raison» que la voix de la conscience se fera entendre dans sa pureté.

Si dans les Fondements Kant à ce propos ne fait allusion qu'à l'enseignement de Socrate, sans doute parce qu'il lui apparaissait comme plus rationnel, son ton et son langage évoquent irrésistiblement ceux de Rousseau : « Il n'est besoin ni de science ni de philosophie pour savoir ce qu'on a à faire pour être honnête et bon, même sage et vertueux.

L'on pouvait même bien supposer déjà d'avance que la connaissance de ce qu'il appartient à tout homme de faire, et par conséquent encore de savoir, doit être aussi le fait de tout homme, même le plus commun ».

Kant y voit même en l'espèce une supériorité marquée de la raison commune.

«Ici l'on ne peut point considérer sans admiration combien, dans l'intelligence commune de l'humanité, la faculté de juger en matière pratique l'emporte de tout point sur la faculté de juger en matière théorique ». La philosophie, toutefois, reprend ses droits dans l'édification de la morale comme science.

En analysant la connaissance morale de la raison humaine commune, Kant en a extrait le principe qu'elle emploie bien d'elle-même comme règle de jugement, mais qu'elle est incapable de concevoir séparément sous sa forme universelle.

C'est à la philosophie qu'il appartient d'exposer le système de la moralité d'une façon complète et claire.

«C'est une belle chose que l'innocence, dit Kant; le malheur est qu'elle sache si peu se préserver, et qu'elle se laisse si facilement séduire. Voilà pourquoi la sagesse elle-même — qui consiste d'ailleurs bien plus dans la conduite que dans le savoir — a cependant encore besoin de la science, non pour en tirer des enseignements, mais pour assurer à ses prescriptions l'influence et la constance ».

C'est en quoi consiste la philosophie pratique. Dans l'exemple qu'il imagine, Kant va encore plus loin que l'appel à la raison morale commune, puisque le jugement moral doit être prononcé par un enfant de dix ans, âge choisi sans doute parce qu'il représente ce que nous appelons l'âge. »

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