Justice et violence ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
Violence: Mal physique ou moral infligé délibérément à autrui.
Violent: Qui s'impose à un être contrairement à sa
nature.
Qui s'exerce avec une grande force (une passion violente).
Justice:
a) Juste reconnaissance du mérite et des droits de chacun.
b) Caractère de ce qui est conforme au droit positif (légal) ou au droit naturel (légitime).
Chez Platon et Aristote, la justice est la vertu essentielle qui permet l'harmonie de l'homme avec lui-même et avec
ses concitoyens.
De façon plus moderne, la justice se confond tantôt avec l'idéal du droit naturel, tantôt, comme institution d'un
État, avec le droit positif.
A la brutalité spontanée, la justice substitue des institutions et des contrats susceptibles de régler pacifiquement
les relations entre personnes.
C'est là accorder évidemment, que le droit, pouvoir moral, se distingue du pouvoir physique, de la force.
Or, nous
rencontrons ici d'éminents théoriciens qui, de Hobbes à Marx, contestent cette distinction, et de manières diverses,
identifient le pouvoir physique et le pouvoir moral, pensent que le droit n'est que l'expression de la force.
Thomas Hobbes (1588-1679) développe cette thèse en son Léviathan.
Pour lui, le droit se ramène dans tous les cas
à la force, mais il distingue deux moments dans l'histoire de l'humanité : l'état de nature et l'état politique.
Dans
l'état de nature, pour Hobbes — comme pour Spinoza qui reprend ce thème — le droit de chacun est très
exactement mesuré par sa puissance ,réelle.
Spinoza dira ainsi que les poissons ont le droit de nager et les gros
poissons le droit de manger les petits; tout ce qui est possible est permis.
Le droit s'étend aussi loin que la
puissance et cela se justifie pour Spinoza dans un contexte panthéiste puisque Dieu est par lui identifié à la nature;
toute force naturelle n'est qu'une parcelle de la puissance même de Dieu.
Hobbes, quant à lui, ne se soucie pas de
métaphysique mais se contente d'analyser la nature humaine : l'homme, par nature, cherche à surpasser tous ses
semblables.
Dans l'état originel, il en a le droit s'il en a le pouvoir.
Ce que l'homme cherche d'ailleurs, c'est moins la satisfaction des besoins matériels que les joies de la vanité (pride).
Le plus grand plaisir de l'âme est l'opinion flatteuse qu'elle peut avoir de sa propre puissance.
La plus grande
souffrance est d'être méprisé.
Ainsi, l'offensé cherche-t-il à se venger — mais remarque Hobbes, anticipant ici sur
des thèmes hégéliens — il ne désire pas d'ordinaire la mort de l'adversaire, il veut sa captivité afin de lire en son
regard effrayé et soumis la reconnaissance de sa propre supériorité.
En fait, cet état de nature est pour tous un état d'insécurité et d'angoisse.
Celui-là même qui jouit d'une grande
force musculaire n'est pas à l'abri des ruses du plus malingre.
Le plus faible — par machination secrète ou à partir
d'habiles alliances — est toujours assez fort pour tuer le plus fort.
C'est la crainte de la mort violente (passion
encore plus forte que la vanité) qui va déterminer les hommes à sortir de l'état de nature.
Les hommes vont donc chercher la paix et la sécurité.
Il n'y a de paix réalisable que si chacun renonce au droit
absolu qu'il a sur toutes choses.
Cela n'est possible que si chacun abdique ses droits absolus entre les mains d'un
souverain qui, héritant des droits de tous, possède la puissance absolue.
Il n'y a pas là d'ailleurs l'intervention d'une
exigence morale.
Simplement la crainte de la mort l'a emporté sur la vanité et les hommes ont convenu de
transmettre tous leurs pouvoirs à un souverain.
Ce souverain lui-même — maître absolu désormais — ne s'est,
notons-le bien, engagé à rien envers ses sujets.
Son droit n'a d'autre limite que son pouvoir et son « bon plaisir ».
Dans l'état de société comme dans l'état de nature, la force est la seule mesure du droit.
Mais dans l'état de
société, le monopole de la force appartient au souverain.
Il n'y a eu ni pacte ni contrat.
C'est, dit Halbwachs, « une
aliénation, non une délégation » de pouvoirs.
Seulement, les sujets y gagnent la sécurité, car le souverain a tout
intérêt à faire régner l'ordre s'il veut rester au pouvoir.
Si un sujet tente de ravir le droit absolu du souverain, il
commet le crime de lèse-majesté, mais s'il réussit à s'emparer du pouvoir, c'est lui qui devient maître absolu; on ne
saurait mieux affirmer que le droit se confond avec la force.
La thèse qui soutient l'identité du droit.
et de la force a trouvé des expressions diverses au cours de l'histoire : la
pensée chrétienne (encore qu'il s'agisse d'un christianisme fort mal compris!) ne l'a pas ignorée.
Bossuet dans son
Histoire universelle a toujours tendance à identifier le droit et la puissance victorieuse.
Le monde n'est-il pas dirigé
par la Providence? Dieu permettrait-il au méchant de l'emporter? La non-résistance et la « fuite honteuse » des
pasteurs protestants prouve la justice de la Révocation de l'Édit de Nantes.
Les victoires militaires
de Louis XIV témoignent de son bon droit (comme dans la pratique du duel judiciaire au Moyen Age, Dieu est censé
donner le pouvoir de vaincre à celui dont la cause est juste).
Mais dans cette perspective, la force est plutôt le
signe du droit que le droit lui-même.
Chez Hegel et chez Marx, nous retrouvons l'idée du droit confondu avec la force, Dieu étant identifié, dans une
perspective panthéiste, avec le cours réel de l'histoire.
Pour Hegel, l'Idée, ou l'Esprit, c'est ce qui se réalise au cours
de l'histoire (Hegel disait que la lecture des journaux était sa « prière du matin quotidienne »).
Chaque peuple,
chaque civilisation qui, à son tour, triomphe dans l'histoire représente une étape dans le progrès de l'Esprit.
Tandis
que, pour les chrétiens, le Jugement Dernier est censé juger l'histoire et distinguer les bons des méchants quels que
fussent leurs succès en cette vie terrestre, pour Hegel, il n'est pas de jugement transcendant à l'histoire : « C'est
l'histoire du monde qui est le jugement dernier du monde ».
Et la puissance réelle est la seule mesure du droit.
C'est
ainsi que Hegel crut pouvoir saluer en Napoléon victorieux l'« Esprit universel à cheval » et — après la défaite de
Napoléon — a cru lire l'expression de l'« Esprit absolu » dans l'État prussien de son époque..
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