Justice et force
Extrait du document
«
Force ne fait pas droit
Rousseau établit dans ce texte qu'il n'y a pas de droit du plus fort.
On
remarquera d'abord la distinction qu'il trace entre « forcer » et « obliger » : je
suis forcé de donner ma bourse au brigand à cause du pistolet qu'il tient, mais
rien ne m'y oblige moralement.
C'est la force qui force, mais c'est le droit qui
oblige.
Le devoir est une puissance morale, intérieure ; la force, « une
puissance physique » ou extérieure.
Cette distinction faite, le texte va
démontrer par l'absurde que de la force, ou contrainte extérieure, ne saurait
résulter aucun devoir, ou contrainte intérieure.
Instaurer un droit du plus fort,
c'est avouer sa faiblesse : la force en effet n'a pas besoin du droit pour
s'imposer, si elle est véritablement force.
Le droit du plus fort est donc en
réalité un droit du plus faible ; le plus fort d'un moment veut être le plus fort
toujours, mais craint de ne l'être pas.
En introduisant le droit dans la force, il
nie le règne de la force pure : il nie que le droit doive revenir au plus fort,
alors qu'il l'affirme.
C'est cette contradiction qui grève le principe du droit du
plus fort.
Par ailleurs, le droit ne doit-il pas être immuable ? Or, si l'on admet
un droit du plus fort, « l'effet, dit Rousseau, change avec la cause », c'est-àdire : le droit (effet) change avec celui qui détient la force (cause du droit).
La conclusion de Rousseau est demeurée célèbre : « Force ne fait pas droit ».
"Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne
transforme
sa force en droit et l'obéissance en devoir.
De là le droit du plus fort .
Mais ne
nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut
résulter de ses effets.
Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c'est tout au plus un acte de
prudence.
En quel sens pourra-ce être un devoir ?
Supposons un moment ce prétendu droit.
Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable.
Car sitôt que c'est la
force qui fait le droit, l'effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit.
Sitôt
qu'on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de
faire en sorte qu'on soit le plus fort.
Or qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse ? S'il faut obéir par force
on n'a pas besoin d'obéir par devoir, et si l'on n'est plus forcé d'obéir on n y est plus obligé.
On voit donc que ce
mot de droit n'ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout (...) Convenons donc que force ne fait pas droit."
J.-J.
ROUSSEAU, Du Contrat Social, livre 1, chap.
m, Garnier-Flammarion, 1966, pp.
44-45.
Fortifier la justice ou justifier la force ?
Pascal, qui va établir ici la même distinction entre force et justice, trouve
cependant, contrairement à Rousseau, une justification au droit du plus fort.
L'opposition de la force et de la justice trouble selon lui la paix civile par des
contestations réciproques : il faut donc les associer.
Mais comme on ne sait
pas ce qui est juste, alors que l'on reconnaît la force, il faut, pour rétablir la
paix, dire que ce qui est fort est juste.
Alors que Rousseau sous-entendait
que le droit au fort est source de tous les troubles, Pascal voit dans le droit
au fort la source de la paix civile.
L'opposition véritable entre Rousseau et
Pascal vient cependant de ce que l'un pense que nous savons ce qui est
juste, alors que l'autre affirme que nous l'ignorons.
C'est le paradoxe de la
grandeur et de la misère de l'homme selon Pascal : la grandeur de l'homme est
de savoir qu'il y a une justice, sa misère d'ignorer en quoi elle consiste.
A
défaut d'établir la justice sur la terre, l'on peut toujours établir la paix.
"Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le
plus fort soit suivi.
La justice sans la force est impuissante : la force sans la
justice est tyrannique.
La justice sans force est contredite, parce qu'il y a
toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée.
Il faut donc
mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste
soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans
dispute.
Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était
injuste, et a dit que c'était elle qui était juste.
Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que
ce qui est fort fût juste.
Sans doute, l'égalité des biens est juste ; mais, ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice, on a fait qu'il
soit juste d'obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent
ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien." BL.
PASCAL, Pensées, « Pensées 298-299 », GarnierFlammarion, p.
137-138.
SUPPLEMENT:.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- commentaire philo Leibniz Monadologie et la justice
- Chapitre 5 : Quelles inégalités sont compatibles avec les déférentes conceptions de la justice sociale ?
- Ch7 : Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ?
- La Justice (cours complet)
- Un monde sans justice est il humain?