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Jusqu'où peut-on opposer l'artiste et l'artisan ?

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« Introduction La réflexion sur le travail a acquis dans la philosophie moderne une place capitale, à partir du moment où s'affirme l'idée d'une auto-production de l'homme par son activité laborieuse.

Elle s'accompagne bien souvent d'un point de vue critique, à propos des conditions dans lesquelles le travail est effectué, et de son « aliénation ».

Le concept d'« oeuvre» paraît en général échapper à cette critique, dans la mesure où il est le plus souvent réservé à une production individuelle qui semble moins soumise aux processus d'aliénation.

Cette distinction n'a-t-elle de sens que dans le langage quotidien? Est-elle au contraire philosophiquement justifiée? Peut-on, à l'inverse, identifier oeuvre et travail? I.

La condition de l'artiste Les lieux communs sur l'artiste. Évitez de tomber dans la mythologie de l'artiste : génial, libre sous tous rapports, « créant » sous le coup de l'inspiration, puis reprenant aussitôt une vie nonchalante et bohème. La réalité de la condition de l'artiste. Les grands artistes ont presque toujours fait preuve : a) d'un travail acharné — parfois pressés par des commandes qui leur permettaient de subsister, sinon contraints par un puissant (cf.

Michel-Ange, retenu à Rome par le pape Jules II et peignant le plafond de la chapelle Sixtine, 1609/1611); b) d'un intérêt pour les œuvres de leurs prédécesseurs (les jeunes peintres s'exercent à reproduire les tableaux des grands maîtres) avant de se forger un style.

C'est en ce sens qu'il faut comprendre la formule de Malraux : « De même qu'un musicien aime la musique et non les rossignols, un poète des vers et non des couchers de soleil, un peintre n'est pas d'abord un homme qui aime les figures et les paysages.

C'est un homme qui aime les tableaux » (Les Voix du silence); c) d'un acharnement à acquérir non seulement une culture artistique mais aussi la maîtrise d'un ensemble de techniques (ex.

: la gravure a burin ne pose pas les mêmes problèmes que l'eau-forte, etc.). Le statut social de l'artiste. Il a évolué (on parle de création; du divin Michel-Ange; etc.), alors qu les sculpteurs des cathédrales médiévales étaient traités comme de simple compagnons ou artisans. Le rapport de l'art et de la religion. L'art s'est dégagé de la tutelle de la théologie, qu'il s'était borné à illustre jusque-là (on dit que la cathédrale fut, avec ses vitraux et ses figures, un véritable Bible de pierre — et de verre — pour le peuple illettré) : avar l'artiste moderne qui peut choisir de ne rechercher que la beauté dans son œuvre (= l'art pour l'art), il y eut donc des foules d'« artistes pour que l'idée même de l'art n'existait pas » (Malraux, La Métamorphose de dieux, 1957). II.

Oppositions apparentes — Évoquer le travail, c'est le plus souvent faire allusion à un ensemble de contraintes peu agréables pour le travailleur lui-même, à l'insatisfaction que ces contraintes déterminent.

Au point que Marx soulignait que le travailleur industriel ne se retrouve (ne redevient un être humain) qu'en dehors de son temps de travail, après en être délivré. — A l'inverse, le terme d'«oeuvre» paraît réservé à des activités dans lesquelles l'individu, parce qu'il se sent davantage responsable de ce qu'il produit, trouve un certain plaisir, de la fierté, et le sentiment de s'être lui-même, au moins partiellement, réalisé (activités artistiques par exemple). — De surcroît, l'oeuvre semble, sinon unique, au moins singulière et non répétitive — alors que le produit du travail industriel obéit aux règles d'une production sérielle et répétitive.

Aussi trouve-t-on normal d'entendre un écrivain ou un peintre évoquer son oeuvre alors que cela paraîtrait incongru dans la bouche d'un ouvrier montrant les 475 poêles à frire qu'il a embouties dans sa journée en appuyant sur le bouton de sa machine. — Autre opposition possible: l'oeuvre paraît soumise à la volonté de son auteur — qui l'élabore, semble-t-il, comme il l'entend et quand il l'entend, alors que le travailleur au sens habituel obéit à une organisation (de son temps) qui ne dépend pas de lui (on parle ainsi de «poste de travail», mais non de «poste d'oeuvre»). III.

Leurs effets — Parce qu'on survalorise aisément la liberté apparente dans laquelle l'oeuvre est accomplie, on oublie qu'elle est néanmoins prise dans un réseau de contraintes dont le producteur doit nécessairement tenir compte.

L'écrivain, le peintre, le musicien, doit d'abord survivre — d'où la complexité historique des relations qui le lient aux différents pouvoirs (politique, économique) dont il dépend quand même (mécénat, marché de l'art ou de l'édition, etc.).

L'art lui-même est un travail, sur des «matières» spécifiques (le marbre, l'espace, le langage) et les artistes sont au XXe siècle les premiers à revendiquer la qualité de « travailleurs ».

Hegel disait déjà que "l'art est la mise en forme. »

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