Jusqu'à quel point et par quelles méthodes l'homme peut-il conquérir sa liberté sur ses passions ?
Extrait du document
«
Le passionné se présente généralement comme un possédé, l'objet de s a passion mobilise tout son être psychologique, et si le pas sionné raisonne
beauc oup, il raisonne à faux ; la passion s'empare de l'intelligence, de l'imagination.
Le pas sionné subit sa passion, pers uadé que c'est une forc e étrangère,
une force dont il n'est pas maître.
A ussi les théories émises sur la sourc e des pas sions relèvent toutes de cette idée de contrainte et même de fatalité.
Pour
Freud et les ps ychanalystes, « c'est une force étrangère qui se déploie en nous, sans nous, malgré nous ».
P our A lquié, les passionnés sont prisonniers d'un
souvenir ancien et c ontraints par c e souvenir à mille gestes qu'ils recommencent toujours.
T out ceci nous conduit à voir la passion comme une aliénation de
l'individu ; mais c'est une superstition, dit A lain, d'attribuer au terme passion celui de fatalité.
Descartes pense de même lorsqu'il écrit dans le T raité des
passions « une âme bien conduite doit pouvoir acquérir un pouvoir abs olu sur s e s p a s s i o n s ».
Le problème est donc d e s avoir comment et dans quelle
mesure, l'homme peut se rendre maître de ses passions.
La passion s e manifes te non seulement comme une exagération d e nos tendanc e s fondamentales, m a i s encore elle mobilise toutes l e s facultés
intellectuelles, celles-ci se mettant au service de la passion.
Le mot passion implique de lui-même l'idée de passivité, le sujet est agi, sa passion le domine,
le tire, il s e lais se faire et, qui plus est, il en éprouve de la jouissance.
Si l'homme doit conquérir sa liberté sur ses passions, c'est que sa liberté est perdue
et remplacée par une contrainte ; m a i s c e t t e c ontrainte que le passionné s e représente comme une fatalité est en fait créée de toute pièce par lui.
Le
passionné se réduit lui-même à l'esclavage.
C royant vouloir ce qu'il fait, il ne fait que c e que sa passion dicte.
Le jaloux tout à coup se sent frustré d'un bien
qui, selon lui, doit lui revenir ; le désir de possession s'empare de lui et l'envahit.
Toutes les fac ultés asservies à la passion se cristallisent et c e rés eau va
cacher aux yeux du jaloux le but même de s a pas sion.
L'objet n'a été que prétexte, la passion est toute intérieure.
Sujet et objet ne font plus qu'un.
A utrui n'existe plus pour lui, inutile de le rais onner il n'entend
plus la raison des autres ; il ne peut plus comprendre ; sa raison, son jugement, sa volonté ne sont plus libres.
Le jaloux comme tous les autres passionnés :
amoureux, coléreux, ambitieux, il tisse lui-même le filet qui le réduit à l'esclavage.
Il évolue alors dans un monde c réé par lui-même, un monde qu'il désire
et refuse à la fois.
La passion se montre donc comme un déséquilibre car elle est le résultat du développement monstrueux d'un s entiment, développement
dont le passionné s e croit et se veut prisonnier.
Lorsqu'il c roit tendre toute sa volonté pour bannir sa passion, il n'aboutit qu'à une exaspération plus grande.
A uss i, nous pouvons conclure comme l'ont fait les psychanalystes : les vraies c a u s e s d e la passion sont en n o u s - m ê m e s , n o n d a n s l e s objets qui
paraissent les sollic iter.
Si l'homme veut se rendre maître de s es passions, « la méthode » et la seule qu'il peut trouver est en lui, il doit faire appel à toutes
ses facultés, c'est c e que pense D escartes et ce qu'il développe dans son traité.
»
Donc si l'homme veut c onquérir sa liberté, c'es t en lui-même et en lui seul qu'il doit chercher les moyens.
Son attitude doit donc être toute de volonté,
d'attention et d'activité cons tructrice.
La première condition pour espérer se rendre maître de s es passions, c 'est de les connaître aussi bien que possible.
La vérité est dans l'équilibre et l'homme doit avant tout avoir la volonté de chercher à se reconnaître ; il lui faut donc gouverner ses tendances et ne rien
laisser faire qu'il ne veuille.
Selon l'expression de D e s c artes quelles sont "les armes de la volonté" ? La volonté s e tend pour que l'intelligence établisse non
seulement des jugements fermes, mais libres.
L e s ujet qui juge doit être neutre.
En outre, s a c h a n t q u e l e s passions
mobilisent toutes l e s facultés d e l'âme et qu'ainsi e l l e s peuvent ôter ou pervertir l'usage de la raison, l'homme
s'appliquera à réfléchir, à être attentif et vigilant.
C eci n'est en fait qu'une méthode pour prévenir l'exaspération d'un
sentiment qui apporterait un déséquilibre.
M ais que faire lorsque la passion est déclarée, lorsque déjà elle mobilise toutes
les facultés et risque d'anéantir tout effort de libération ? La première attitude consis te à détourner l'esprit de cette idée
fixe.
N'y a-t-il pas pire méthode pour se libérer d'une idée fixe que de s e répéter qu'on doit tout oublier ? Jus tement les
psychanalystes voient là une source de passions ; tenter par tous les moyens d'anéantir ses pass ions en les refoulant,
c ' e s t s e c ondamner à vivre avec une force sournoise inconsciente prête à rejaillir s o u s n'importe quel prétexte, plus
violente encore.
C e n'es t pas se rendre libre de ses pass ions que de les anéantir par l'oubli.
En fait, comme le conseille
D e s c artes, la meilleure méthode est de tenter de rec onvertir l'intérêt de la passion afin que le passionné ne soit plus un
sujet a agi » mais un agent qui se sert de sa passion, qui la c onsidère comme un moyen pour l'action.
A insi Descartes,
considérant la peur chronique, la lâcheté, comme une passion écrit : « P our exciter la hardiesse et ôter la peur, il ne suffit
pas d'en avoir la volonté, il faut s 'appliquer à considérer les raisons, les objets, les exemples qui persuadent que le péril
n'est pas grand, et qu'ainsi on aura la gloire de la force d'avoir vaincu.
»
C ependant quels que soient les efforts de volonté et de lucidité acc omplis pour conquérir la liberté sur les pass ions , il n'en
reste pas moins qu'elles ont leur source dans les tendances fondamentales de l'homme.
A us si bonnes que soient les
démarches déc rites plus haut, elles ont une limite, cette limite c'est l'homme, et s a personnalité.
La passion est nous-mêmes, elle fait partie de l'être et représ ente une force indispens able au développement complet de
l'homme.
S a n s voir comme le fait A lquié (le désir d'éternité), dans l e s passions un transfert irrémédiable d'émotions
passées qui s'accumulent dans l'inconscient et dont nous ne pouvons nous rendre maîtres, il es t tout de même impossible
d'affirmer que nous pouvons c onquérir une liberté entière s ur nos passions.
Dans « le Désir d'éternité » (1943), A lquié distingue précisément la passion passive et la passion ac tive :
1 — La passion pas sive est caractérisée par le refus du temps.
Le passionné est l'homme qui préfère le présent immédiat au futur de sa vie.
« P our l'ivrogne,
l'essentiel est de boire s ur-le-champ, pour l'amoureux de retrouver sa belle au plus tôt, pour le joueur de c ourir au c asino.
Mais demain, voici l'amoureux au
déses poir, l'ivrogne malade, le joueur ruiné.
Ils ont sacrifié leur bonheur aux sollicitations immédiates , ils n'ont pas su se penser avec vérité dans le futur ».
C ette négation du temps comme avenir est ce que A lquié appelle « le désir d'éternité ».
O r c'es t du passé que le présent tient sa puissanc e de fascination,
dans cette forme de passion.
Elle est égocentrisme et résurgenc e du passé.
Le passionné aime dans l'objet de sa passion le symbole de son passé :
l'avarice a souvent pour cause une crainte infantile de mourir de faim, l'amoureux projette s ur la femme qu'il aime l'image du visage qui se penc hait sur s on
berceau etc.
De là cette « joie d'enfant » du passionné adorant l'objet passionnel.
Étant refus du temps, la passion passive es t vouée à
l'inefficacité.
2 — La passion active est unité de l'es prit et volonté réalisatrice.
Elle retrouve le sens du futur comme lieu de son action, elle es t autonomie du sujet.
P ar
exemple, loin d'être infantile, pos sessif et cruel comme l'amour-passion, l'amour-action sera oubli de soi, effort pour assurer l'avenir des êtres aimés,
charité.
— La différence nettement établie enfin entre les deux genres de passions es t inséparable, c omme on le voit, du plan moral.
A u fond la différence est surtout
entre l'égoïsme des unes et l'altruisme des autres.
L'ambition es t pensée du futur et sera pourtant rangée dans les pas sions pas sives, mais si cette
ambition prend la forme de la passion de l a s c ience, elle risque d'être rangée dans les passions actives.
La vraie différence est bien, comme le dis ait
D e s c artes, dans l'utilisation de ce dynamisme passionnel aveugle qui est tantôt ineffic ace, tantôt utilisé, s elon le sentiment au service duquel il est et selon
qu'il exclut ou intègre le discernement des valeurs.
La volonté, le jugement, l'attention qui peuvent sauver le passionné, peuvent aus si le perdre.
En effet, la volonté peut s'inc liner à réaliser les désirs de la
passion.
Le passionné raisonne, certes, mais ne connaît pas t o u t e s l e s données du problème, alors le jugement se dérègle.
La liberté de l'homme ne
c o n s i s t e p a s à nier l'existence des passions, ce serait nier l'homme lui-même, mais « à composer » avec elles en ac ceptant leur existence, en prenant
c o n s c ienc e de ce qu'elles sont et de ce que l'on peut en faire.
Il faut soumettre le dynamisme des passions à la personne.
L'herbe qui pousse, si elle pousse
toute seule devient herbe folle, mais s i on guide sa c rois sance, on en reste maître et l'on peut à sa guis e obtenir d'elle qu'elle devienne un beau gazon.
«
A gir, ne pas être agi, voilà notre liberté », c 'est aussi la s eule façon de la rec onquérir s i elle est perdue.
Nul homme n'est libre d'anéantir les passions mais
la passion exaspérée qui déséquilibrait la pers onnalité, anéantiss ait liberté, imagination, jugement, peut devenir, à travers la maîtrise de soi, un moyen
d'action, l'instrument d'un es prit libre.
Les tendances , les instincts sont des pass ions possibles , elles nous domineront si nous n'y prenons pas garde.
Elles seront à notre service si nous les
soumettons à notre volonté.
A insi que le torrent livré à lui-même a s a fantaisie, la pass ion si elle n'est pas guidée dans le cadre rigide de la volonté, dévaste
toute la personnalité.
La forc e, la source d'énergie qu'il y a dans chaque passion, doit être mise au service d'une volonté qui n'est pas pas sivité, mais
liberté..
»
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