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Juge-t-on du beau ou le perçoit-on ?

Extrait du document

« VOCABULAIRE: BEAU - BEAUTÉ (adj.

et n.

m.) 1.

— Norme permettant le jugement esthétique ; cf.

valeur.

2.

— Sens concret : objet du jugement esthétique ; ce qui provoque une émotion esthétique par l'harmonie des formes, l'équilibre des proportions.

3.

— (Par ext.) Ce qui suscite une idée de noblesse, de supériorité morale (un beau geste).

4.

— Pour KANT, le jugement de goût ne détermine pas son objet en le pensant sous un concept universel, puisqu'il porte toujours sur un cas particulier ; c'est un jugement réfléchissant dont l'universalité réside dans l'accord des sujets ; c'est pourquoi le beau est défini comme « ce qui plaît universellement sans concept » ; « la beauté est la forme de la finalité d'un objet en tant qu'elle est perçue en lui sans représentation d'une fin.

» Introduction L'expérience du beau semble toujours se fonder sur une perception.

Je trouve beau un objet ou un être que je vois ou que j'ai vu.

Il m'est impossible de me prononcer sur la beauté d'une personne dont on m'a seulement parlé.

Le beau se perçoit donc.

Mais en quoi consiste cette beauté ? S'il s'agit de la présence en l'objet d'une certaine forme perceptible, alors il faut en conclure que la beauté est exclusivement sensible ou encore esthétique (du grec aesthesis, « sensation »).

La seule perception de cette forme sensible suffit alors à provoquer le sentiment du beau. En revanche, si l'expérience du beau consiste en la reconnaissance, dans le bel objet, d'un concept ou d'une idée, il faut admettre son caractère intellectuel: la beauté fait l'objet dans ce cas d'un jugement, d'une identification.

La question est donc de savoir ce qui se passe en moi quand je trouve qu'une chose est belle.

Suis-je seulement attiré et captivé par son apparence physique, par sa forme ? Ou bien suis-je satisfait de retrouver dans ce que je perçois un exemplaire parfait d'une chose dont j'ai l'idée ? Si la chose en question est une église, je dirai dans le premier cas : « cette église est belle » ; dans le second, je dirai plutôt : « c'est une belle église ».

Notre langue prend ainsi acte de cette dualité de conception du beau à laquelle renvoie notre sujet.

Le beau se perçoit-il ou se juge-t-il ? 1.

La beauté comme forme esthétique A.

En quoi la beauté est-elle formelle ? En interrogeant aussi bien les auteurs, les dictionnaires que l'expérience commune, on se rend compte que la beauté est toujours de l'ordre de la forme, et plus précisément de la forme visuelle.

C'est l'oeil qui saisit la beauté en distinguant une certaine forme dans ce qu'il voit.

Une ligne ne peut pas être belle ; seule peut l'être la figure qu'elle dessine en se refermant sur elle-même, en limitant un espace.

Certes toute forme n'est pas belle.

La beauté qualifie la forme pure, évidente, qui saute aux yeux.

Le regard est comme captivé par la beauté : il ne parvient pas à s'échapper de cette forme parfaite qui, par ses rapports de symétrie, ne cesse de renvoyer à elle-même.

C'est en quoi l'expérience du beau est nécessairement contemplative.

Le cercle, la sphère sont des représentants exemplaires de la belle forme.

À quoi tient la beauté de l'arc-en-ciel ? À lui seul, l'effet d'irisation ne suggère pas de manière aussi ferme l'idée de beauté.

La beauté des cieux n'est-elle pas liée à l'idée d'une voûte céleste ? Équilibre, symétrie, accord, harmonie...

autant de termes avec lesquels on a pendant très longtemps tenté d'expliciter l'expérience du beau. B.

La beauté est ineffable Contemplative, l'expérience esthétique est également muette.

Les mots sont tout à fait étrangers à cette circulation fascinée du regard dans la forme pure.

Parler, c'est forcément rompre le charme de la beauté.

La parole réintroduit en effet la succession, le temps que précisément le beau abolit.

Le mouvement circulaire du regard donne le sentiment, par sa cyclicité, d'un temps suspendu.

Si la perception de la forme parfaite se vit comme un moment d'éternité, c'est que la beauté est aussi une suspension de la vie.

La vie réclame en effet le temps, la perspective d'un après qui donne sens au présent, qui l'oriente.

Ce dynamisme de la vie qui nous pousse vers l'avenir est comme mis en question dans l'expérience contemplative.

Le beau semble nous confronter à quelque chose de sacré, nous révélant un au-delà de l'exigence vitale.

L'expérience de la beauté ne fait donc pas appel au jugement ; au contraire, avec le jugement et la parole, c'est toute la magie de la beauté qui s'évanouit. 2.

La beauté comme reconnaissance intellectuelle A.

En quel sens la beauté se juge-t-elle ? Pourtant il n'est pas impossible de considérer que le jugement est à l'oeuvre dans l'expérience du beau.

Comment en effet la perception parviendrait-elle à elle seule à susciter cette expérience ? Les sens discernent des formes, c'est un fait.

Mais ce discernement serait-il possible sans l'intelligence ? Distinguer une forme, belle ou non, c'est en effet toujours reconnaître quelque chose, c'est-à-dire retrouver un concept dans le perçu, identifier.

Quand je passe devant n'importe quelle église par exemple, je peux me dire : « c'est une église ».

Mais de quelle reconnaissance s'agit-il en face du beau ? Quand je passe devant une église que je trouve belle, je ne me contente pas de reconnaître une église : j'ai l'impression d'être en face de l'église par excellence, l'église parfaite, exemplaire.

On retrouve donc encore ici l'idée de perfection mais cette fois elle n'est plus exclusivement formelle ; il s'agit de la perfection du rapport entre un concept et un des objets auxquels il se réfère.

L'église parfaite est en réalité totalement conforme à une certaine idée que je me fait des églises.

Pour être sensible à la beauté des églises, il ne suffit donc pas d'avoir l'idée générale de ce qu'est une église, il faut aussi et surtout savoir reconnaître cette idée dans le perçu.

La beauté n'est pas une affaire de connaissance mais de jugement.. »

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