Jean-Paul SARTRE: On m'a reproché de demander si l'existentialisme est un humanisme
Extrait du document
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PRESENTATION DE "L'EXISTENTIALISME EST UN HUMANISME" DE SARTRE
Marqué comme oeuvre de circonstance et de vulgarisation, le texte est tiré d'une
conférence donnée à Paris en Octobre 1945, qui devait donner l'occasion à Sartre
(1905-1980) de répondre à une série d'objections.
Il montre que les accusations d'antihumanisme sont infondées, car sa philosophie ne conduit en rien au mépris de la
réalité humaine et de sa valeur.
La définition annoncée par le titre est donc en réalité
la défense d'une philosophie existentialiste dans sa version athée.
L'existentialisme'
est un courant philosophique, émergeant avec Kierkegaard au XIXe siècle ; son trait
caractéristique est d'enraciner l'investigation philosophique dans la considération de
l'existence, humaine en particulier.
Sartre résume le projet existentialiste en le
ramenant à « un effort pour tirer toutes les conséquences d'une position athée
cohérente ».
On m'a reproché de demander si l'existentialisme est un humanisme.
On m'a dit :
mais vous avez écrit dans La Nausée que les humanistes avaient tort, vous vous
êtes moqué d'un certain type d'humanisme, pourquoi y revenir à présent ? En
réalité, le mot humanisme a deux sens très différents.
Par humanisme on peut
entendre une théorie qui prend l'homme comme fin et comme valeur supérieure.
Il
y a humanisme en ce sens chez Cocteau, par exemple, quand dans son récit Le Tour
du monde en 80 heures, un personnage déclare, parce qu'il survole des montagnes
en avion : l'homme est épatant.
Cela signifie que moi, personnellement, qui n'ai pas construit les avions, je bénéficierais
de ces inventions particulières, et que je pourrais, en tant qu'homme, me considérer comme responsable et honoré par
des actes particuliers à quelques hommes.
Cela supposerait que nous pourrions donner une valeur à l'homme d'après
les actes les plus hauts de certains hommes.
Cet humanisme est absurde, car seul le chien ou le cheval pourraient porter
un jugement d'ensemble sur l'homme et déclarer que l'homme est épatant, ce qu'ils n'ont garde de faire, à ma
connaissance tout au moins.
Mais on ne peut admettre qu'un homme puisse porter un jugement sur l'homme.
L'existentialiste le dispense de tout jugement de ce genre : l'existentialiste ne prendra jamais l'homme comme fin, car il
est toujours à faire.
Et nous ne devons pas croire qu'il y a une humanité à laquelle nous puissions rendre un culte, à la
manière d'Auguste Comte.
VOCABULAIRE SARTRIEN:
Humanisme : Sartre oppose l'humanisme classique qui se prosterne devant la valeur absolue de l'homme et l'humanisme
existentialiste, qu'il entend promouvoir, pour lequel l'homme est à faire et n'a que la valeur qu'il atteste dans ses actes.
L'humanisme existentialiste est un humanisme dans la mesure où l'homme est bien le centre du dispositif, mais il refuse l'idée
classique d'une nature humaine (et d'une valeur de cette nature).
Responsabilité : découle de la liberté humaine et est aussi radicale que celle-ci.
Satire prend le mot au sens courant de «
conscience d'être l'auteur incontestable d'un événement ou d'un objet » (EN, p.
612), à condition d'ajouter que nous sommes
toujours, quoi qu'il nous arrive, responsables de nous-mêmes en tant que manière d'être et du sens que nous donnons au
monde par nos choix.
Existence : c'est le fait d'être là, de surgir dans le monde et d'avoir à assumer cette présence.
Dans cet extrait, Sartre répond au dernier reproche que lui font les adversaires de l'existentialisme, celui d'avoir
caractérisé cette philosophie comme humaniste alors que dans La Nausée, Sartre avait pris à parti les différents types
d'humanismes et leur culte commun de la « dignité humaine ».
Or, ce que souligne le philosophe français ici, c'est que le
concept d'humanisme n'est pas un concept univoque : il faut distinguer plusieurs sens de la notion d'humanisme.
Le premier sens est celui qui a été repris par l'humanisme classique et que critiquait justement La Nausée, à savoir la «
théorie qui prend l'homme comme fin et comme valeur supérieure » (lignes 4-5) : l'humanisme, en ce sens, est la doctrine
selon laquelle l'homme est supérieur aux autres réalités et aux autres animaux, soit parce qu'il est image de Dieu (cas de
l'humanisme chrétien) soit parce qu'il dispose de la raison (cas de l'humanisme laïc), soit parce qu'il est capable de faire des
choses inaccessibles aux autres êtres, comme des actes héroïques.
C'est ce dernier cas de figure que reprend Sartre pour
illustrer sa définition : chez Cocteau, on trouve un humanisme de ce genre, puisque le fait que l'homme, en tant qu'homo
faber, puisse produire des objets techniques comme les avions fait dire au personnage de l'un de ses récits que « les
hommes sont épatants ».
C'est bien là souligner la supériorité de l'homme sur les autres êtres vivants et considérer que «
nous pourrions donner une valeur à l'homme d'après les actes les plus hauts de certains hommes » (lignes 10-11).
Or, ce que démontre Sartre dans la dernière partie du texte, c'est qu'il est impossible de tenir ce genre de discours : en effet,
affirmer la valeur supérieure de l'homme, c'est supposer que l'on puisse « porter un jugement d'ensemble sur l'homme ».
Mais c'est précisément ce que l'homme ne peut faire, sauf à sortir de la condition humaine, ou ce que pourraient seuls faire le
cheval et le chien, bref des êtres vivants qui ne sont pas des hommes, si le jugement n'était pas une prérogative humaine et
s'il ne leur était pas interdit.
De plus, dire « l'homme est épatant » c'est penser que l'homme est fait alors qu'il reste toujours,
en vertu des principes mêmes de l'existentialisme, « à faire » : aussi ne saurait-il être question de 1 concevoir une « religion
de l'humanité », comme le philosophe positiviste Auguste Comte, car ce serait rendre un culte à ce qu'elle a été (à son
essence).
De ce point de vue, l'existentialisme n'est pas un humanisme..
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